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Films de mars 2008 - I partie

Commentaires sur : Le Voyage du Ballon RougeJunoPromets-moiNight Train.

Article mis en ligne le mars 2008
dernière modification le 4 mars 2012

par Charlotte BUISSON-TISSOT, Firouz Elisabeth PILLET

Le Voyage du Ballon Rouge


de Hou Hsiao Hsien. Avec Juliette Binoche, Simon Iteanu, Song Fang, Hippolyte Girardot, Louise Margolin, Anna Sigalevitch. France, Taiwan, 2007.

Hou Hsiao Hsien, grand cinéaste taïwanais, propose une relecture du film d’Albert Lamorisse, Le Ballon Rouge (1956). Le film de Lamorisse raconte l’histoire d’un petit garçon de Ménilmontant qui trouve un ballon rouge accroché à un réverbère et qui va le suivre partout, suscitant la convoitise des garçons du quartier. Le film a obtenu la Palme d’or du meilleur court métrage au festival de Cannes en 1956, ainsi que l’Oscar du meilleur scénario la même année. C’est un des films préférés de Hou Hsiao Hsien et 52 ans après, il lui rend hommage en réalisant Le Voyage du Ballon Rouge.

« Le Voyage du Ballon Rouge » de Hou Hsiao Hsien

L’apparition du ballon ouvre et clôt le récit, nous introduisant dans un Paris actuel, avec sa circulation, son métro aérien, ses rues animées et ses cafés. Song (Song Fang), jeune étrangère, étudiante en cinéma (le double du réalisateur ?), est la baby-sitter de Simon (Simon Iteanu), petit garçon doux et rêveur. Sa mère, Suzanne (Juliette Binoche), est marionnettiste.
Le film s’inscrit dans un mouvement de va-et-vient entre le documentaire (Paris aujourd’hui) et la fable (Simon et son ballon rouge). Nous assistons à une succession de scènes quotidiennes, complètement improvisées par les acteurs. Et c’est là tout l’intérêt du film.
Quelle liberté, mais aussi quel piège, que de laisser un acteur jouer sans dialogue écrit, avec comme seul cadre une situation donnée ! Cela crée une tension, car l’expérience peut rater, la magie ne pas apparaître. Mais, ici, cela marche, et en grande partie grâce à Juliette Binoche. Nous sommes à l’affût de la moindre chose que peut dire l’actrice, la frontière entre elle et le personnage devient floue, et chaque parole donnée est doublement reçu, car l’actrice qui improvise, peut-être…, est mise à nue. Son jeu est parfois exaspérant, mais il offre des moments de grâce, surtout lorsqu’elle ose le silence et l’immobilité. Quand à la douce présence de Song, elle permet de dédoubler l’histoire, et de créer un film dans le film. Durant tout le récit, elle suit Simon avec sa caméra, et fabrique un mystère autour de l’apparition du ballon rouge. Sort-il de l’imagination de l’enfant ou est-ce sa création pour le film qu’elle est en train de tourner ? Sans cesse, Hou Hsiao Hsien démonte les mystères de la création, et nous fait voir l’envers des choses : le doublage des marionnettes, le piano raccordé par un réparateur aveugle, la maîtresse d’école qui décrit un tableau avec ses élèves, Song qui transfert un film en pellicule sur un support numérique, et Suzanne qui va jusqu’à demander à Simon s’il est content d’être dans le film…
Le regard que pose le réalisateur sur Paris semble curieux, à l’affût du moindre détail, il n’hésite pas à détourner sa caméra du récit pour scruter les détails de la vie parisienne, et dresse un portrait vivant des lieus qu’il visite. Malheureusement, les trois dernières minutes endommagent ce beau film, avec une chanson de la Française Camille, qui édulcore les images de Paris et donne l’impression d’une publicité pour agence de voyage. Dommage, car cet hommage à Lamorisse était jusque-là beau et intéressant.
Charlotte Buisson-Tissot

Juno


de Jason Reitman, avec Ellen Page, Michael Cera, Jennifer Garner. Canada, 2007.

Juno McGuff, adolescente au caractère trempé de 16 ans, n’a ni la langue dans sa poche ni froid aux yeux ; mais, sous ses airs de dure, elle se cherche, entre jeu de séduction et doutes existentiels, comme toutes les adolescentes de son âge. Alors que la plupart de ses copines de lycée passent leur temps sur Internet ou au centre commercial, Juno ne fait rien comme les autres. C’est ainsi qu’un jour où elle s’ennuie, elle couche avec Bleeker, garçon aussi charmant que timide et peu prétentieux.

« Juno » de Jason Reitman, avec Ellen Page, Allison Janney et J.K. Simmons
© Twentieth Century Fox France

Quand elle réalise qu’elle est tombée enceinte accidentellement, elle décide de trouver le couple de parents adoptifs idéal qui pourra s’occuper de son bébé. Avec l’aide de sa meilleure amie Leah, elle repère dans les petites annonces du journal local, Mark et Vanessa Loring qui rêvent d’adopter leur premier enfant. Soutenue par sa famille, Juno fait la connaissance des Loring, un couple stérile qui désire ardemment un bébé. C’est du moins le cas de Vanessa. Car Mark, avec qui Juno se lie d’amitié grâce à leur passion commune pour la musique, doute de vouloir un enfant. Il doute également de ses sentiments envers son épouse. Tandis que le terme de sa grossesse approche, Juno va devoir faire preuve de maturité et de courage face à un couple en pleine rupture.
Sujet déjà vu, certes … Grossesse d’adolescentes délurées, couple en mal d’enfant, maux de notre société… La fraîcheur de l’interprétation, en particulier de l’actrice-phare, Ellen Page, la contemporanéité du sujet, l’humour omniprésent, même dans les moments plus délicats, cet harmonieux mélange a tôt fait de convaincre et on se laisse porter par les émotions de la protagoniste, ses gentils coups de gueule et ses états d’âme si proches des nôtres. Difficile de ne pas tomber sous le charme de Juno. Autant le personnage principal aux répliques juteuses, que le film en général, qui témoigne du plaisir de faire un film.
Signant un scénario intelligent et sensible, s’entourant d’un casting judicieux, à l’interprétation juste et mémorable, le réalisateur Jason Reitman nous plonge dans un univers auquel il est facile de s’accrocher et de s’identifier… un univers qui raconte si bien les petits et grands tracas du quotidien, avec luminosité, avec humour et sur un ton enjoué, comme l’était Little Miss Sunshine ! Outre-Atlantique, le film fera certainement couler beaucoup d’encre face à l’attitude de Juno, jeune adolescente mature qui assume sa grossesse pour en faire don à ceux qui souffrent de ne pouvoir enfanter… les féroces adversaires de l’avortement verront peut-être en Juno une nouvelle héroïne de leur cause. Quels que soient les débats, le film laisse un sentiment de bonheur simple et authentique.
Tandis qu’Ellen Page et Diablo Cody (cette dernière signe avec Juno son premier scénario) ont respectivement reçu les prix du Meilleur espoir féminin et du Meilleur scénario aux Satellite Awards, de la part du jury du Festival du Film d’Hollywood et du National Board Review, Juno a été désigné Meilleur Film aux Festivals de Rome et de Saint-Louis, avant de se voir décerner le Prix du Public à l’issue du Festival de Stockholm. Poursuivant sur cette brillante ascension, Ellen Page, qui vient de fêté ses vingt-et-un ans, a été élue Meilleure Actrice par le Las Vegas Film Critics Society, le Toronto Film Critics Assocation et le Chicago Film Critics Association, lors des derniers Critics Choice Awards ; la jeune actrice est également nominée, dans la même catégorie, aux Screen Actors Guild Awards, aux côtés de Cate Blanchett, Julie Christie, Angelina Jolie et Marion Cotillard. Jolis débuts pour une comédienne qui peut d’ores et déjà se vanter de tutoyer les « grandes dames » de Hollywood.
Firouz-Elisabeth Pillet

Promets-moi


(Promise me this), de Emir Kusturica avec Marija Petronijevic, Uros Milovanovic, Ljiljana Blagojevic

Au sommet d’une colline isolée au fond de la campagne serbe vivent Tsane, son grand-père et leur vache Cvetka. Avec leur voisine l’institutrice à l’allure plantureuse, ce sont les seuls habitants du village. Un jour, le grand-père de Tsane lui annonce qu’il va bientôt mourir et lui fait promettre qu’il franchira les trois collines pour rejoindre la ville la plus proche et vendre Cvetka au marché et de rentrer avec sa promise au bras. Comme toujours, le point de départ est simple : une jeune garçon part à la ville après avoir promis à son grand-père de se trouver un femme. Et comme toujours, ça part très vite en vrille.

« Promets-moi » d’Emir Kusturica

La scène d’ouverture (avec un papy inventeur incroyable) donne le ton – soutenu par un musique tsigane frénétique – et on ne peut que s’en réjouir dans la seconde. C’est décalé, absurde, hilarant, endiablé ; c’est bigarré, stylé, enlevé par une bande son de génie, … C’est vrai, on use et abuse de ces adjectifs chaque fois qu’on évoque le travail excellent de Kusturica. Pourtant, les superlatifs ne sont pas de trop pour qualifier le travail de ce réalisateur génial, inventif, et surtout déjanté. On pensait qu’il avait atteint les limites de sa folle imagination avec Underground ou Chat noir, chat blanc. Que nenni. C’est toujours un plaisir de retrouver l’univers hors du commun d’Emir Kusturica. Un univers fait de personnages hauts en couleurs interprétés par des acteurs qui semblent habités, des musiques à la joie communicative, des images magnifiques, telle est la recette qui fait le succès du réalisateur, et cette fois encore il ne l’a pas oubliée. Comme toujours, il nous régale aussi de scènes plus drôles les unes que les autres. Malgré la drôlerie de surface, les sujets abordés restent sérieux, voire dramatiques : la pauvreté, le trafic d’armes et de drogue, la traite des femmes, la prostitution.
Mais, on doit le dire, si les scénarios de ses films partent dans tous les sens, celui-là atteint peut-être des sommets en la matière, et le risque pour les spectateurs non avertis est de décrocher rapidement. Les gags nous semblent manquer de légèreté, l’histoire paraît caricaturale. La scène de la fin particulièrement part vraiment dans tous les sens, entre un convoi funéraire aux prises avec un cortège de mariage, le tout pris d’assaut par les maffieux débarqués de la ville. Tout cela manque d’invitation à réfléchir, de morale, d’un sens plus profond. Kusturica qui, en habitué de La Croisette, a déjà reçu de multiples récompenses palmées, n’a plus besoin de brider son imagination ; il semble qu’il soit arrivé au stade où il se fait plaisir, un point c’est tout.
Mais à force de réutiliser les mêmes éléments, Kusturica ne parvient plus autant à nous surprendre. Alors, si vous souhaitez poursuivre dans la veine habituelle du réalisateur serbe, courez voir ce film ; vous ne serez pas déçus. Si vous espériez un soupçon de nouveauté, abstenez-vous ou contentez-vous de la bande originale, un pur régal qui surpasse les compositions précédentes !
Firouz-Elisabeth Pillet

Night train


de Yi Nan Diao, avec Liu Dan, Qi Dao, Xu Wei. Chine, 2007.

Hongyan travaille dans un tribunal, exerçant le métier peu gratifiant de flic et bourreau, où elle n’exécute que les femmes condamnées à la peine de mort. Régulièrement, elle prend le train pour participer à des soirées organisées par une agence matrimoniale. En quête du grand amour, sa vie affective reste désespérément sordide, jusqu’au jour où elle rencontre le mystérieux Li Jiun. Loin d’imaginer le lien qui unissait cet homme à la dernière femme qu’elle a exécutée, Hongyan se laisse porter par cette passion brutale.

« Train de nuit / Night train » de Yi Nan Diao

Le jeune réalisateur, qui réalise avec ce premier long métrage, un véritable coup de maître, parvient à créer une atmosphère étrange, entre onirisme et cinéma social. C’est un sentiment de spleen qui se dégage de ce portrait de femme, à la fois solitaire et intègre. Le parcours de ce personnage permet à Yinan Diao d’aborder très discrètement la difficile question de la peine de mort en Chine. Il élabore un film esthétique dont l’intérêt est avant tout suscité par le lien tragique qui lie Hongyan et Li Jiun et par la somptuosité du décor : les Trois Gorges, les raffineries, le ciel immense.
Présenté dans la section A suivre du dernier Festival Black Movie (1er au 10 février 2008), à Genève, le film a enthousiasmé. Les organisatrices du festival ne s’y sont pas trompées et ont décidé de consacrer toute leur attention à suivre les prochains films de ce jeune réalisateur qui a choisi de tourner dans sa région natale, dans le Sud de la Chine.
Lors de son bref passage à Genève, Diao Yi Nan avouait avoir pour maîtres spirituels cinématographiques Bresson et Antonioni. L’Occident s’est déjà enthousiasmé pour ce train de nuit insolite. En 2007, Night Train était également présenté dans la prestigieuse sélection ’un certain regard’ du Festival de Cannes La même année, Il était également sélectionné pour participer au Festival International du Film de Vancouver, au Festival d’Athènes, au BFI London Film Festival et a été récompensé au Grand Prix ’Nouveaux réalisateurs / Nouveaux films’ du Festival International du Film de Varsovie. Tout prochainement, il est attendu à Buenos Aires. Alors, décidez-vous à prendre de train de nuit et laissez-vous porter !
Firouz-Elisabeth Pillet