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Films d’octobre 2007

Commentaires sur les films : 99 francs - La vérité ou presque - Shut up and sing – La face cachée - La fille coupée en deux

Article mis en ligne le octobre 2007
dernière modification le 4 mars 2012

par Firouz Elisabeth PILLET

99 francs


de Jan Kounen, avec Jean Dujardin, Jocelyn Quivrin, Patrick Mille. France, 2006.

Octave est le maître du monde : il exerce la profession de rédacteur publicitaire. Il décide aujourd’hui ce que vous allez vouloir demain, et surtout ce que vous allez consommer. Pour lui, "l’homme est un produit comme les autres". Octave travaille pour la plus grosse agence de pub du monde : Ross & Witchcraft, surnommée "La Ross". Il est couvert d’argent, de filles, donc sexe à gogo, et de cocaïne. Pourtant, il doute. Sa vie a-t-elle un sens ? Lequel ? Ce sens semble être trouvé le jour où sa petite amie, Sophie, lui annonce qu’elle est enceinte. Comme pas mal d’hommes, il prend ses jambes à son coup.

« 99 Francs »
© crédit photos : Bernard Benant

Deux événements vont bouleverser le cours de la vie d’Octave. Son histoire d’amour avec Sophie, la plus belle employée de l’agence, et une réunion chez Madone pour vendre un film de pub à ce géant du produit laitier. Arrivé à saturation, le fringant Octave déjante et se rebelle contre le système qui l’a créé, en sabotant sa campagne la plus juteuse.
Adaptation du best-seller éponyme de Frédéric Beigbeder sorti en 2000 aux Editions Grasset et vendu à plus de 500 000 exemplaires, ce film ne s’inspire que succinctement de l’ouvrage. Les lecteurs seront certainement déconcertés par une fin bien éloignée de celle de la chute du livre. Si ce portrait sous acide du monde de la pub, inspiré de la propre expérience de l’auteur, est ensuite ressorti sous les titres de 14,99 euros puis de 6,20 euros, les producteurs du film ont préféré garder le titre original pour son adaptation cinématographique un titre resté dans l’inconscient collectif vu son succès.
Jan Kounen avoue avoir choisi Jean Dujardin pour sa capacité à faire aimer un personnage arrogant qui sait se rendre détestable. Le résultat à l’écran est époustouflant : on croirait voir évoluer Beigbeder en personne, son ego dégoulinant inondant l’écran à chaque séquence. Dujardin est purement méconnaissable, excellent dans le registre de l’humour cynique. Parfaite description du monde de la consommation jusqu’auboutiste, 99 francs laisse espérer une échappatoire Octave : Octave cherche une issue à son (in)existence dénuée de sens : la fuite, l’exil, le bonheur assumé. Pour d’autres, ce sera le suicide.
Le projet avait du bon mais Jan Kounen, voulant s’approprier un peu trop 99 francs, en fait vraiment trop : des scènes psychédéliques à répétition, avec des personnages animés grotesques, le tout couvert par une musique abrutissante. Dommage, un peu de retenue aurait servi la cause de ce projet audacieux mais peu abouti.
Firouz Elisabeth Pillet

La vérité ou presque


de et avec Sam Karmann, avec André Dussollier, Karin Viard, François Cluzet. France, 2006.

Anne, journaliste dans une chaîne de télévision locale à Lyon, est mariée à Thomas, qui a un faible pour Caroline, la jeune femme enceinte de Marc, l’ex-mari d’Anne, elle-même sensible au charme de Vincent, terriblement jalousé par Lucas. Quant à Rose-Marie, elle sait que lorsque le désir sonne, c’est souvent le mensonge qui ouvre la porte. Ou est la vérité ? Vérité des sentiments ? Des attirances, des paroles ? On peut aimer toujours mais pas pour toujours, voilà sans doute la seule vérité admise de tous. Anne la journaliste rencontre Vincent, professeur universitaire invité à Lyon, par l’intermédiaire de son mari. Vincent souhaite profiter de son séjour dans les traboules pour se consacrer à un livre biographique au sujet d’une chanteuse jazz des années 60, Pauline Anderton, rapidement disparue, et dont les chansons ont bercé son adolescence rebelle. Même si cette chanteuse française n’a pas marqué les mémoires vu sa courte carrière, elle n’en demeure pas moins intéressante puisqu’elle a fréquenté les plus grands noms du jazz. Anne, dans une impasse professionnelle et en panne d’inspiration, jette son dévolu sur Vincent afin de récupérer son projet pour un documentaire.
Troisième long métrage de l’acteur-réalisateur Sam Karmann après Kennedy et moi (1999) et A la petite semaine (2003), La vérité ou presque est l’adaptation du roman True enough de l’Américain Stephen McCauley, lauréat du Prix Fémina étranger 2002 (paru en France sous le titre La Vérité ou presque). C’est la deuxième fois que Karmann porte un livre à l’écran après Kennedy et moi, qui, malgré ce que le titre suggère, était inspiré d’un best-seller français de Jean-Paul Dubois.

« La vérité ou presque »

Le cinéaste s’est entouré d’une magnifique palette d’acteurs, d’une complémentarité très homogène à l’écran. Pour les mélomanes, le rôle de Pauline Anderton dans les images d’archives est tenu par la compagne du réalisateur, Catherine Olson, qui interprète les chansons. Pour le trio de tête, Viard et Cluzet s’étaient déjà donné la réplique dans plusieurs films, et Dussollier était un des nombreux partenaires du césarisé Cluzet dans Ne le dis à personne de Guillaume Canet. Porté par de tels acteurs, le film est tout simplement un pur bijou. Reste une question de taille : comment un livre nord-américain, inscrit dans une culture si éloignée, voire aux antipodes de la nôtre, a-t-il pu séduire un auteur français ? La réponse sort de la bouche du cinéaste qui s’est passionné par le livre : « Cynthia Liebow, l’éditrice de Stephen McCauley en France depuis bientôt vingt ans, sait qu’il aime beaucoup le travail d’Agnès Jaoui, et a l’idée d’envoyer son livre La Vérité ou Presque aux productions Les Films A4. Agnès aime le livre, mais prise par un autre sujet, me conseille le bouquin. Au départ, je me demande comment un roman américain, et donc inscrit dans une culture américaine, pourrait être proche de moi. Mais il s’avère que McCauley est de Boston et sans doute influencé par cette ville qui a gardé une très forte influence européenne, j’ai retrouvé à la lecture dans sa façon d’aborder ce thème une vraie proximité. De son côté, Stephen voit mes films et les apprécie. Nous nous rencontrons. Je l’apprécie aussi. Je peux me lancer dans l’adaptation. »
La gageure majeure relevée par Karman est la destinée fulgurante et remarquable de Pauline Anderton, chanteuse à la voix mémorable, oubliée de tous sauf des inconditionnels de la première heure du jazz. Hommage enfin rendu à cette figure énigmatique disparue trop tôt… ou presque. A vous de juger où se situe la vérité. Seule certitude : on sort de la salle de projection en extase, imprégné par un nuage de nostalgie douce et euphorisante. Le film porte bien son titre… des jours après, on se questionne encore sur les frontières de cette vérité si troublante.
Firouz Elisabeth Pillet

Shut up and sing


de Cecilia Peck et Barbara Kopple, avec Martie Maguire, Natalie Maines, Emily Robison. Usa, 2006.

« Juste pour information, nous avons honte que le président des Etats-Unis soit originaire du Texas", lance la chanteuse du groupe texan The Dixie Chicks à l’ouverture de leur concert à Londres en 2003. Le lendemain, les États-Unis envahissent l’Irak. Ce documentaire suit la façon dont ce trio va surmonter la tourmente dans laquelle il se trouve depuis l’énoncé de cette phrase, d’autant que l’Amérique de l’Oncle George Walker suit de manière grégaire et aveugle les directives de la Maison Blanche. Pas de remise, pas de doute, et surtout pas de pitié pour les réfractaires, dont ce groupe de musiciennes texanes fait partie, elles qui osent critiquer ouvertement les décisions présidentielles.
Cecilia Peck fait ses débuts en tant que réalisatrice pour Shut up & Sing, Barbara Kopple est en revanche l’un des grands noms du documentaire américain, et récompensée à moult reprises. En 1977, elle remporte l’Oscar du meilleur documentaire pour Harlan County USA, qui relate les conditions très dures d’une grève de mineurs survenue dans le Comté de Harlan dans le Kentucky, en juin 1973. En 1990, elle remporte son second Oscar du Meilleur documentaire, avec American Dream.

Les Dixie Chicks, héroïnes de « Shut Up And Sing »

Avec de telles réalisatrices aux commandes, le documentaire entraîne le public dans les méandres d’un parcours chaotique durant lequel les trois jeunes femmes poursuivent, guitares grinçant, leurs enregistrements et leurs tournées, malgré les critiques croissantes, et ce au niveau national. Contre vents et marées, elles composent, arrangent, interprètent, enregistrent, tout en se prêtant au jeu de conférences de presse parfois délicates, affrontant avec sérénité une horde de fanatiques pro Bush survoltés. Le choix du titre du film n’est pas anodin. Shut up & Sing est aussi le titre d’un best-seller écrit par l’animatrice de radio américaine et conservatrice Laura Ingraham, qui vilipende ouvertement le groupe des Dixie Chicks et d’autres, qui se servent de leurs tournées et apparitions à la télévision comme d’une tribune politique.
Que l’on aime ou pas la country music (d’ailleurs, les Dixie Chicks y ont passablement ajouté de rock pour se mettre au goût du jour et surtout des distributeurs), le film porte littéralement les spectateurs par son rythme soutenu, sa bande originale envolée et le choix particulièrement judicieux de moments choisis d’un parcours épineux. La réaction ne s’est pas fait attendre puisque Shut up & Sing a été récompensé à de nombreuses reprises. Le documentaire a remporté le Prix spécial du Jury au Festival International du film de Chicago en 2006 ; le Prix du meilleur documentaire décerné par la Boston Society of Film Critics Awards ainsi que par San Diego Film Critics Society Awards. Il est parfois bon de ne pas respecter le silence, surtout quand il s’agit de dénoncer une injustice.
Firouz Elisabeth Pillet

La face cachée


de et avec Bernard Campan, avec Karine Viard, Jean-Hugues Anglade. France, 2007.

Après des années de vie commune, François et Isa se sont enfoncés dans une routine qui semble étouffer François. Mais il se pourrait que la personne qui souffre le plus ne soit pas la plus démonstrative. Après des années de vie commune, ils finiront enfin par se rencontrer, puisant leurs ressources dans le soutien constant des amis et dans l’introspection.

« La face cachée »
Crédit photo Chantal Thomine Desmazures © Wild Bunch Distribution

Pour son premier scénario en solo, Bernard Campan a été conseillé par le philosophe suisse Alexandre Jollien qui l’a exhorté à aller au plus près de lui-même, à ne pas se trahir. L’acteur-réalisateur d’ajouter : « Il m’a encouragé à être ouvert à tout ce qui se passe, m’a guidé vers des lectures, a fait mon éducation. C’est justement lui qui m’a dit que l’écriture était une rééducation, un réapprentissage." Pour peaufiner son écriture, Campan a puisé dans les leçons d’un monument du cinéma français pour mettre en scène : "Les idées, les cacher, mais de manière à ce qu’on les trouve. La plus importante sera la mieux cachée," écrit Robert Bresson dans ses Notes sur le cinématographe. Cependant, la source d’inspiration principale est Campan, encore Campan et toujours Campan. Bernard est partout : de face, s’énervant de manière peu convaincante sur le clavier d’un piano dont la bande-son s’égrène alors que les doigts ne suivent pas ; de profil, accablant sa compagne de questions futiles et harcelantes ; de dos, affichant son allopétie et ses petites oreilles d’alien. Campan est dans tous les plans. Pourtant le spectateur a une longueur d’avance sur ce scénario narcissique et nombriliste : on sait qu’Isa souffre, physiquement et moralement. Elle se débat avec les affres de l’alcoolisme, sombrant dans un néant existentiel sans pouvoir y résister.
Ce n’est pourtant pas la première fois que Bernard Campan passe derrière la caméra : Il a co-réalisé plusieurs longs métrages avec Didier Bourdon (Les Trois Frères, Le Pari, Les Rois Mages), pas tous réussis d’ailleurs. Est-ce le changement de registre qui n’a pas réussi à Bernard Campan ? Est-ce l’aventure en solo ? Est-ce tout simplement le sujet ? Car, il vrai que si la meilleure inspiration reste sa propre personne, il est toujours préférable de prendre une certaine distance, exercice auquel Campan n’a pas souhaité se soumettre.
Firouz Elisabeth Pillet

La fille coupée en deux


de Claude Chabrol, avec Ludivine Sagnier, François Berléand, Benoît Magimel. France, 2007.

« La fille coupée en deux »
Crédit photo Moune Jamet

Une jeune femme, animatrice dans une télévision régionale, qui veut réussir dans la vie et dont le rayonnement séduit ceux qui l’entourent, s’éprend d’un écrivain prestigieux et pervers qui pourrait être son père, et épouse un jeune milliardaire déséquilibré. La fille coupée en deux s’inspire d’un fait divers retentissant : l’assassinat du célèbre architecte new-yorkais Stanford White en 1906. Cet homme à (jeunes) femmes a été tué, à l’âge de 52 ans, alors qu’il assistait à un spectacle. Son meurtrier est Harry Thaw, un playboy millionnaire, qui était l’époux de son ex-maîtresse, Evelyn Nesbit, une jolie mannequin et actrice de music-hall, alors âgée de 22 ans. Les jurés n’ayant pu se prononcer sur la culpabilité de Thaw au terme du premier procès, un deuxième procès a suivi, et cette fois les jurés ont déclaré le prévenu non-coupable, attribuant son geste à sa "démence". Cette histoire a déjà passablement inspiré le septième art.
La fille coupée en deux signe le retour du grand Chabrol, qui a su s’entourer d’une équipe familiale, au vu de tous les « Chabrol » du générique. Chabrol aime tourner en famille, avec les siens. Pour la musique, il a ainsi une fois de plus fait appel à son fils Matthieu. Devant la caméra, dans le rôle de l’avocat, malicieusement nommé Maître Stéphane Lorbach, on retrouve son autre fils Thomas. Quant à Cécile Maistre, la fille de son épouse Aurore, elle est à la fois co-scénariste (pour la première fois), première assistante réalisatrice, assistante casting... et comédienne : elle incarne la serveuse ; le thème du double, des apparences trompeuses, est au coeur du film. Le cinéaste donne quelques exemples. Tout d’abord, la maison de l’écrivain : "C’est un monde en trompe-l’oeil où règne une atmosphère sexuelle qui livre une clé au spectateur sur les événements qui vont suivre." Le film révèle une Ludivine Sagnier méconnue, tantôt angélique, tantôt arriviste et calculatrice.
Comme souvent chez Claude Chabrol, on assiste dans La Fille coupée en deux à une opposition entre différents milieux sociaux. On a ici affaire à deux classes sociales qui s’affrontent à pas feutrés : celle des anciens possédants représentés par les personnages de Caroline Silhol et Benoît Magimel et celle des faux puissants - les gens de la télévision et de l’édition qui ne maîtrisent que le pouvoir temporel. La morale de l’histoire semble donner raison aux riches déchus plus qu’aux nouveaux parvenus. Mais les apparences sont-elles trompeuses ?
On aime ou on déteste mais on ne peut rester indifférent face à un tel condensé d’émotions et de sentiments.
Firouz Elisabeth Pillet