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En marge du Festival de Cannes
Film de septembre 2010 : “Cleveland versus Wall Street“

Quelques mots sur le documentaire de Jean-Stéphane Bron.

Article mis en ligne le septembre 2010
dernière modification le 23 septembre 2011

par Firouz Elisabeth PILLET

Cleveland versus Wall Street


de Jean-Stéphane Bron. France, 2010. Documentaire, Suisse

Depuis quelques années, la ville de Cleveland aux États-Unis vit la plus stupéfiante vague d’expulsions jamais connue, suite à la crise des subprimes. Cleveland accuse Wall Street d’avoir profité de la faiblesse des gens à faibles revenus pour faire une fortune. C’est alors le combat de David contre Goliath mais les victimes des subprimes n’ont pas perdu l’énergie nécessaire pour livrer ce combat, qui semble perdu d’avance. Des milliers de familles ont été mises à la rue. Tout un quartier est devenu inhabitable, fait de maisons condamnées, abandonnées, devenues insalubres car inoccupées. Boutés hors de leur logis, les victimes montent aux barricades ; Cleveland et ses habitants souhaitent que justice soit faite mais Wall Street empêche par tous les moyens qu’un procès soit entamé. Sans procès, pas de justice pour ces gens démunis.

« Cleveland versus Wall Street »
© Christopher First

Parcourant un quotidien, Jean-Stéphane Bron (voir entretien) lit une brève relatant la situation des victimes des subprimes. Il décide alors de suivre un procès-fiction avec les protagonistes réels. L’avocat des victimes, Josh Cohen, et les collaborateurs de son étude, acceptent de jouer leur propre rôle. Le cinéaste décide de s’immerger dans le milieu des victimes, passant plusieurs mois à leurs côtés.
Alors que la 63e édition du festival de Cannes s’est ouverte sur la projection de Wall Street, Money Never Sleeps, d’Oliver Stone, assez prévisible, la section des Cinéastes du Présent accueillait le cinéaste lausannois qui avouait être comblé par la visibilité que lui offrait le festival. Le 11 janvier 2008, Josh Cohen et ses associés, avocats de la ville de Cleveland, assignent en justice les vingt et une banques qu’ils jugent responsables des saisies immobilières qui dévastent leur ville. Mais les banques de Wall Street qu’ils attaquent s’opposent par tous les moyens à l’ouverture d’une procédure.
Cleveland vs Wall Street raconte l’histoire d’un procès qui aurait dû avoir lieu. Un procès de cinéma, dont l’histoire, les protagonistes et leurs témoignages, sont bien réels. Jean-Stéphane Bron suit trois avocats en procès avec des banques qui ont participé à la création de cette crise et qui nient toute implication. Dans une société capitaliste et libérale à outrance comme celle des États-Unis, les banques possèdent les pleins pouvoirs.

« Cleveland versus Wall Street »
© Christopher First

Après avoir dépeint, dans la comédie Mon frère se marie (Festival de Locarno 2006, Piazza Grande), l’éclatement des cellules familiales comme le phénomène des boat people, le cinéaste s’attaque aujourd’hui à un documentaire sur les origines de la crise, et les victimes collatérales, majoritairement occultées par les médias. Bron revient au genre dans lequel il excelle, pour le plus grand bonheur des spectateurs. Il faut reconnaître que son film de fiction n’avait guère convaincu. Bron l’admet volontiers : il est avant tout documentariste.
Dans ce documentaire, mise en scène aux propos engagés, Bron livre une étude sociologique à la Bourdieu de la société nord-américaine, et de ses rouages financiers viciés et vicieux d’un capitalisme exacerbé à l’américaine ; présentés sans concession ni détour, ces mécanismes permettent de dévoiler la crédulité des gens pauvres pour leur soutirer encore un peu plus d’argent, au risque de les ruiner. Les coursiers ont ainsi fait fortune au détriment des personnes surendetées, sont être alarmés par les lois qui les confortent dans leurs pratiques. Le documentaire de Bron souligne qu’aux États-Unis économie rime avec profit, donc avec irresponsabilité et inhumanité. Et le gouvernement de Barak Obama, héritier d’un pays en friche, supplicié sous l’ère Bush, livre déjà de multiples combats : sécurité sociale et accès aux soins pour tous, éducation pour les couches les plus faibles, et plus récemment, la marée noire en Mer du Mexique.
Ainsi, le film de Bron illustre ce cercle vicieux, insurmontable : à l’heure de rembourser, les petites gens, démunis, ne peuvent pas s’acquitter de leurs dettes. Par conséquent, tous leurs biens sont saisis, y compris leur maison. Malgré ces procédés inhumains, les banques ne récupèrent pas l’argent prêté et n’accordent désormais plus de prêts ; leurs clients ruinés n’ont plus d’argent pour consommer et leur niveau de vie chute.

« Cleveland versus Wall Street »
© Christopher First

Le film rappelle les mécanismes qui engendre la baisse de consommation, aggravée par l’inflation (hausse des prix) qui va empêcher d’autres gens de consommer. L’engrenage s’est mis en place… et se poursuit inexorablement : les gens consomment moins, donc les bénéfices s’amenuisent, entraînant des suppressions d’emplois. La situation décrite est celle de Cleveland mais le propos demeure universel.
Le synopsis tient donc en quelques mots : des crédits mal accordés et non remboursés ont entraîné une véritable catastrophe économique. Jean-Stéphane Bron se réjouit de sa présence sur La Croisette et confesse pudiquement que son attachée de presse a réalisé le travail de plusieurs mois en trois heures, nouant des contacts propices à de futurs contrats. Mais le cinéaste lausannois rappelle aussi que les sources de financement de son film sont majoritairement française. Le film est coproduit par une société suisse, Saga Productions, par Les films Pelléas et par Arte France. Canal + l’a préacheté. Enfin, Pyramide se chargera de la distribution en France. Ce financement européen est sans doute la garantie d’une impartialité et d’une objectivité tout au long du film.

Firouz-Elisabeth Pillet