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Film de septembre 2008 : “Caos calmo“

Le film traite des fractures de la vie : mort d’un proche, douleur ou absence de douleur...

Article mis en ligne le septembre 2008
dernière modification le 23 mai 2012

par Firouz Elisabeth PILLET

Caos calmo


de Antonio Luigi Grimaldi, avec Nanni Moretti, Isabella Ferrari, Valeria Golino, Hippolyte Girardot, Charles Berling, Denis Podalydès. Italie, 2008.

La mort soudaine de Lara, son épouse, bouleverse la vie heureuse de Pietro Paladini, jusque-là comblé par sa famille et son travail. Le jour de la rentrée, Pietro accompagne à l’école sa fille Claudia, âgée de 10 ans et lui fait la promesse de l’attendre. Il se réfugie dans sa voiture, garée en face de l’école primaire. Il fait de même le lendemain et les jours suivants. Il passe ses journées sur un banc, face aux fenêtres de la classe de sa fille, ponctuant la vacuité de son attente par de petits rendez-vous anodins : la belle jeune fille blonde qui promène son chien, le jeune garçon handicapé qui s’amuse à saluer sa voiture croyant qu’elle lui répond par un coup de klaxon. Il attend que la douleur se manifeste et observe le monde. Il découvre petit à petit les facettes cachées des gens qui l’entourent et l’abordent. Ses chefs, ses collègues, ses parents, ses amis, tous cherchent à comprendre ce drôle de « chaos calme » qui l’habite et surtout, tous viennent défiler auprès de Pietro, venant chercher réconfort au creux de ses bras, une étreinte fraternelle, un conseil judicieux, une écoute attentive. Les rôles sont inversés : celui qui devrait pleurer accueille les larmes d’autrui, celui qui devrait s’effondrer recueille les confidences douloureuses des amis, des collègues, des proches. Pietro reste impassible, imperturbable, dans l’attente de cette douleur censée se manifester. Par mimétisme, il lui semble que sa fille n’arrive pas à pleurer non plus ni à parler de cette mère absente.

« Caos calmo » de Antonio Luigi Grimaldi

Le film est inspiré du roman éponyme de Sandro Veronesi, et la difficulté de l’adaptation a été de rendre les nombreuses pensées, abondamment décrites dans le livre, sur la toile. Le réalisateur a dû en quelque sorte extérioriser l’intériorité du protagoniste, grâce au recours de la voix hors champ. Le monde intérieur de Pietro se construit alors, par une énumération choisie et marquée de lieux, de noms, de faits que le protagoniste se repasse, comme pour combler l’absence de douleur. Le jeu même de Nanni Moretti ramène le film de Grimaldi à l’œuvre de Moretti, inscrivant le cinéma dans un système de signes, qui s’emboîtent pour constituer un langage filmique. La mort d’un proche, la douleur ou l’absence de douleur, pendant ce laps de temps suspendu, alors que l’esprit comme le corps semblent anesthésiés face à cette absence. Le film traite avec pudeur de ces fractures de la vie de manière délicate, cependant parfois un peu trop ethnocentriste. En effet, le film de Grimaldi résonne étrangement avec celui de Moretti, La stanza del figlio (la chambre du fils), dans lequel la douleur du père demeure asociale.
Dans Caos calmo, l’absence de douleur s’affiche dans un lieu public, elle est médiatisée et la douleur finit par jaillir tel un geyser au vu et au su de tous. Là où il y avait fermeture et nihilisme il y a maintenant ouverture et possibilité. Après avoir énuméré moult listes et faits les comptes des choses accomplies et de celles qui restent à faire, Pietro pourra enfin trouver quelle signification la douleur a pour lui.
Mauvais point pour ce film : la scène de sexe d’une vulgarité et d’une gratuité extrême entre Nanni Moretti et Isabella Ferrari, qui a divisé le public italien. Bon point pour le cinéaste : Grimaldi a eu l’audace simple et géniale de faire entrer en scène Roman Polanski comme chute à son film… Tout simplement parce que la présence de Polanski est une image qui parle.

Firouz-Elisabeth Pillet