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Film de novembre 2008 : “Snow“

Premier film produit par une femme en Bosnie. Poétique et remarquable !

Article mis en ligne le novembre 2008
dernière modification le 20 février 2012

par Firouz Elisabeth PILLET

Snijeg


(Snow) de Aïda Begic, avec Zana Marjanovic, Jasna Ornela Bery, Sadzida Setic. Bosnie-Herzégovine, 2008. Semaine de la Critique, Cannes 2008

Six femmes, un grand-père, quatre petites filles et un garçon vivent à Slavno, village isolé et dévasté par la guerre. Leurs familles et amis ont été tués et leurs corps n’ont jamais été retrou-vés. Le temps semble suspendu, chaque membre de ce petit noyau survit tant bien que mal malgré le poids de ce deuil impossible à faire. Les premières neiges vont les couper du monde et risquent de mettre la vie des villageois en danger. Tandis que la menace se rapproche, les villageois, menés par Alma, tentent d’échapper à la misère en vendant des confitures, des fruits et des légumes en conserves, qui ont fait la réputation du village.
Deux hommes d’affaires serbes débarquent à Slavno en leur demandant d’abandonner leurs terres et maisons moyennant une coquette somme d’argent. Les villageois se trouvent face à un dilemme : doivent-ils accepter une offre qui pourrait leur sauver la vie, mais leur faire perdre leur âme ? Une tempête soudaine piège les visiteurs dans le village, les contraignant à affronter un problème plus grave – un problème occulté, refoulé depuis trop longtemps : la vérité.

« Snow » de Aïda Begic

Snow est le premier long métrage d’Aida Begic mais aussi le premier film produit par une femme en Bosnie, pays en guerre dans les années 90 et où la tradition musulmane relègue souvent la femme au foyer. C’est cette période innommable de l’histoire que la réalisatrice a voulu exhumer et immortaliser, en réaction au silence qui entoure ces événements tant dans son pays qu’auprès des gouvernements européens qui ont préféré fermer les yeux pendant que l’épuration ethnique décimait tant d’innocents. On pourrait s’attendre à un scénario larmoyant ou violent, voire sensationnaliste comme dans de nombreux films abordant ce sujet. Il n’en est rien. La réalisatrice suggère une vision pudique et féminine de la guerre. L’accent est mis sur les conséquences humaines et psychologiques, et non sur les combats, la lutte même.
Dès la première scène, la camera plonge au cœur d’un petit village isolé de la ville et de la guerre, où l’attente, le doute, l’absence des disparus rongent le quotidien des quelques femmes et enfants restés sur place. Entraînés dans ce quotidien grâce à la récurrence et la simplicité des actions, les spectateurs ne peuvent que les suivre dans leurs interrogations. Entre élaboration de compotes de prunes et tissage de tapis, une tranquillité pesante s’installe, laissant le spectateur et les personnages dans le doute. Qu’est-il arrivé aux hommes qui sont partis au combat ? Aux enfants emmenés de nuit en simple pyjama ? Tant que cette question restera sans réponse, l’impossibilité, pour ces femmes, de faire leur deuil continuera de les oppresser.
Remarquable par le traitement quasi impeccable d’un sujet si délicat, Snow est un film poétique et atemporel dont la maîtrise de la lumière et des paysages touche le spectateur. Son réalisme nous donne un aperçu saisissant de la situation méconnue de ce pays et du drame qui s’y est déroulé. D’abord assez lent, voire statique, le film prend de l’ampleur visuelle et de l’amplitude émotionnelle dès lors que le destin de ces personnages est bouleversé par l’arrivée de deux hommes – détenteurs de la vérité tant attendue et recherchée – qui vont accélérer dramatiquement la tournure des événements. La certitude que leurs maris, pères et fils ne rentreront pas n’ôtera pas le chagrin mais permettra enfin d’officialiser leur disparition en les enterrant. Comme le titre le suggère, la neige engourdit la nature, paralyse la vie des villageois et obscurcit l’horizon.
Quand le printemps viendra-t-il, et avec lui, la renaissance ?

Firouz-Elisabeth Pillet