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Film de mars 2011 : “Même la pluie“

Le film de Iciar Bollain est marqué, aussi bien stylistiquement qu’idéologiquement, par l’empreinte de Ken Loach.

Article mis en ligne le 1er mars 2011
dernière modification le 29 novembre 2011

par Firouz Elisabeth PILLET

La lluva tambien (Même la pluie)


de Iciar Bollain, avec Gael Garcia Bernal, Luis Tosar. France/Mexique/Espagne, 2010.

Même la pluie a été écrit par Paul Laverty, scénariste attitré de Ken Loach depuis quinze ans. Il est réalisé par son épouse, Icíar Bollaín, qui, avant de signer plusieurs œuvres politiquement engagées, a notamment joué dans Land and Freedom, l’un des plus beaux films de Loach (dont elle a par ailleurs écrit une biographie, publiée en 1996). Rien d’ étonnant que Même la pluie soit marqué, aussi bien stylistiquement qu’idéologiquement, par l’empreinte du cinéaste britannique.

« Même la pluie » de Icíar Bollaín

Admiratrice inconditionnelle de Ken Loach, la réalisatrice Iciar Bollaín suit les pas du maître en puisant son inspiration dans un contexte socioculturel houleux où les plus démunis et les marginalisés paient un lourd tribut. S’attardant sur des événements survenus en 2000 en Bolivie, une révolte des habitants de la troisième ville du pays rationnés en eau, la cinéaste plante le décor de son premier film quelques jours avant le soulèvement du peuple. Un jeune réalisateur, interprété par Gael Garcia Bernal, choisit cette région pour tourner un film qui retrace la résistance des Indiens au XVIe siècle face aux Conquistadors et exploiteurs espagnols, rappelant ce génocide des tribus indiennes orchestré par la couronne et l’Eglise espagnoles.
Sebastian, jeune réalisateur passionné, et son producteur arrivent à Cochabomba, dans le décor somptueux des montagnes boliviennes pour entamer le tournage d’un film relatant l’arrivée de Colomb. Les budgets de production sont serrés et Costa, le producteur, se félicite de pouvoir employer des comédiens et des figurants locaux à moindre coût, en les rémunérant deux dollars par jour. Au bout de quelques jours de tournage, ce dernier est interrompu par la révolte menée par l’un des principaux figurants contre le pouvoir en place qui souhaite privatiser l’accès à l’eau courante et priver ainsi les Indiens de leur droit fondamental à l’eau. Costa et Sebastian se trouvent malgré eux emportés dans cette lutte pour la survie d’un peuple démuni. Ils devront choisir entre soutenir la cause de la population et poursuivre leur propre entreprise, sur laquelle ils ont tout misé. Ce combat pour la justice va les impliquer en première ligne et bouleverser leur existence. Le sujet du film a une résonance toute particulière puisque le gouvernement d’Ugo Chavez tente d’instaurer un régime socialiste en Bolivie, rationnant la population pour des denrées de première nécessité, comme le blé, le riz, et ce alors même que la Bolivie en produit en abondance.

« Même la pluie »
© Haut et Court

L’habileté de la réalisation consiste en la mise en parallèle des deux histoires et aboutit à la conclusion affligeante que, si l’époque a changé, les habitudes demeurent et l’asservissement a pris d’autres formes. Même la pluie brosse des portraits inattendus et dévoile, au cours des événements, la face cachée des personnages, face déconcertantes que l’on n’aurait jamais soupçonnée : le réalisateur que l’on croit sensible à la cause des opprimés ne cherche qu’à sauver son film du naufrage et son producteur que l’on devine plus détaché va se révéler plus humain.
Ce film a été présenté au Festival de Toronto en 2010, a fait l’ouverture de la 55e Semaine Internationale de Cinéma de Valladolid et a été choisi par l’Espagne dans la course à l’Oscar du Meilleur Film Étranger. Il s’agit du cinquième long-métrage de la réalisatrice, qui s’est déjà illustrée avec quatre films encensés par la critique et maintes fois récompensés. Même la pluie se lit à plusieurs niveaux et poursuit le spectateur bien après le générique de fin, suscitant de multiples questions éthiques et déontologiques ; en effet, le parallélisme entre les faits historiques et les conflits sociaux qui éclatent donnent au film une autre dimension, plus documentaire, qu’Icíar Bollaín enregistre avec sa caméra.

« Même la pluie »
© Haut et Court

Les trois niveaux narratifs se répondent ainsi sans cesse : « Maintenir la tension et faire progresser le récit à travers les trois histoires en maintenant l’intérêt du spectateur était un challenge » rapporte la réalisatrice. Sa maîtrise de la caméra lui a permis l’audace d’oser des scènes difficiles, telle l’éprouvante mise à mort de douze Indiens, symbolisant le Christ et ses apôtres, crucifiés et brûlés sur un bûcher. La symbolique de ces diverses scènes comporte une résonance d’une cruciale contemporanéité avec la situation bolivienne actuelle.

Firouz-Elisabeth Pillet