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Film de mars 2008 : “1 journée“

Jacob Berger nous livre un film-puzzle où chaque protagoniste nous livre sa version des faits.

Article mis en ligne le mars 2008
dernière modification le 4 mars 2012

par Sylvia MEDINA-LAUPER

1 journée


de Jacob Berger, avec Bruno Todeschini, Natacha Régnier, Noémie Kocher, Louis Dussol, Hiro Uchiyama et Zinedine Soualem. France-Suisse, 2007.

Si l’histoire est simple – un homme, sa femme, son fils et une amante – le procédé de narration est lui, plus complexe, il répond à une question qui revient comme un leitmotiv : « Que se passe-t-il dans une pièce, une fois que je la quitte ? ». Dans ce film composé à la manière d’un puzzle, on assiste à un assemblage progressif d’événements survenus durant une journée, comme le titre l’indique sans détour. Mais que se passe-t-il donc durant cette journée ? Tour à tour, les trois protagonistes nous livrent leur version selon trois perspectives personnelles.

« 1 journée », avec Serge (Bruno Todeschini) avec Mathilde (Noémie Kocher) 

Il y a d’abord la journée de Serge (Bruno Todeschini), le père, qui triche sans cesse ; il trompe Pietra avec Mathilde, shoote quelqu’un (quelque chose ?) avec sa voiture puis s’enfuit, et fait écrire ses articles – il est journaliste à la radio – par son autre amante et collègue. Bref, Serge s’emmêle dans son trop plein de vie, dans ses multiples existences, au lieu de se dépêtrer.
Ensuite, la même journée s’écoule, vécue cette fois par Pietra (Natacha Régnier), sa femme qui, à l’inverse, peine à remplir sa vie, comme absente à elle-même. D’ailleurs lorsque son mari quitte le lit, tôt le matin (en tant que spectateur on sait qu’il va rejoindre Mathilde), elle se demande : « Et moi ? Qu’est-ce que je vais faire maintenant ? ». Dans une passivité absolue, contemplative, elle ne prend jamais part aux jeux de la vie, ni avec son fils lorsqu’il la provoque avec du yaourt, ni surtout avec son homme pour des jeux amoureux. Elle est désertée par le désir, son tableau fétiche n’est-il pas une femme livide approchée par la mort ? Le choix de sa déco, le beige monochrome, que l’on peut opposer aux couleurs chatoyantes de l’appartement de Mathilde, en témoigne. Pietra est dépendante de la vie qui déborde chez les autres. Lorsqu’elle rentre à l’improviste et découvre son mari enlacé à une autre, elle trouve beau leurs halètements, mais se voit dans l’impossibilité d’en éprouver elle-même.
Enfin Vlad (Louis Dussol), le fils très observateur, complète la vision de cette journée. Son évolution sera la plus rapide puisqu’il passe de la candeur de l’enfant (avec cette pensée magique où l’on compte 1, 2, 3, 4, etc. jusqu’à ce que le miracle se produise), au constat de la triste vérité, à savoir que sa famille se disloque peut-être et que l’hippocampe qu’il avait dans une boule de verre ne ressuscitera pas, comme l’avait promis son père !
Le point commun de tout ce petit monde ? Le choc. Tous trois vont subir un choc, comme une parabole cathartique dévoilant une vérité dérangeante qui était là, sous le nez et que l’on faisait mine d’ignorer. Il y a d’abord l’accident de voiture qui met Bruno face à ces responsabilités, va-t-il se dénoncer ou non ? Le choc de Pietra contre une porte vitrée juste après avoir appris qu’elle est trompée, va-t-elle le quitter ou non ? Et enfin la prise de conscience brutale du petit Vlad qui se prend dans la figure la confirmation de ce qu’il savait déjà. Mais lui, il choisira d’aimer malgré tout.
Le personnage de Mathilde (Noémie Kocher, qui a co-écrit le scénario avec Jacob Berger), sert de détonateur. C’est grâce à elle que Bruno va au poste de police et finalement se dénonce pour son délit de fuite. C’est aussi elle qui préconise de dire la vérité même quand elle est moche, et ne cache rien sur sa liaison au fils de son amant… qui lui en est fort reconnaissant à voir une scène digne de Préparez vos mouchoirs de Bertrand Blier.

Tout au fil de cette journée revue par trois fois, le décor qui porte l’histoire est la cité de Meyrin et ses façades vitrées. Si le sujet traité n’est pas purement local puisqu’il aurait très bien pu se dérouler à Sydney, Moscou ou Pittsburgh, il n’en demeure pas moins que Meyrin constitue l’occasion idéale d’exposer cette histoire. Parce que, comme le dit si bien le réalisateur, Jacob Berger : « Le décor, dans le cinéma, c’est un endroit qui raconte l’intériorité des êtres ». D’abord parce que Meyrin propose une atmosphère cinématographique de périphérie urbaine, elle représente n’importe quelle cité satellite. Ensuite parce que Jacob Berger, qui connaît très bien le lieu pour y avoir grandi en partie, voit Meyrin comme «  une cité filmique à l’architecture pure, digne d’un Le Corbusier », avec des transparences qui permettent le voyeurisme. Le choix s’arrête sur une cité où tout le monde passe sans s’arrêter, alors que la population recèle, de manière insoupçonnable, une vie intéressante.
C’est là toute l’histoire racontée, une architecture qui permet le voyeurisme, comme dans Fenêtre sur cour, d’Alfred Hitchcock, mais où finalement on ne fait que se croiser, sans vraiment se connaître. D’ailleurs, durant tout le long de 1 journée, Pietra ne fera que croiser sans les voir, les deux hommes qui remplissent sa vie, son mari, lors de l’accrochage avec le bus, et son fils lors de la sortie scolaire…
Jacob Berger, que l’on connaît surtout pour Aime ton père en 2002, où il avait réussi l’exploit de rassembler le fils et le père Depardieu (dont on connaît la tendresse qu’ils se portent mutuellement !), signe ici un film exécuté avec maestria, d’ailleurs il a remporté le Prix de la mise en scène au Festival de Montréal en 2007.
Pour l’amusement, les spectateurs les plus observateurs pourront voir son portrait laissé dans la scène (autre clin d’œil au grand maître, Alfred Hitchcock !) où le petit Vlad est recueilli par l’amante de son père, Mathilde, qui justement se trouve être Noémie Kocher, compagne du réalisateur et mère de leur petit garçon !

Sylvia Medina-Lauper