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Film de mai 2010 : “White Material“

Avec ce film, Claire Denis nous entraîne dans une Afrique noire vue par des Blancs.

Article mis en ligne le mai 2010
dernière modification le 24 septembre 2011

par Firouz Elisabeth PILLET

White Material


de Claire Denis, ave Isabelle Huppert. France, 2010.

Depuis plus de vingt ans, Claire Denis titille, voire bouscule le cinéma hexagonal. Avec White Material, la cinéaste nous entraîne dans une Afrique noire vue a travers les yeux de Blancs, dans un amas de résistance farouche et aveugle et de sentiment d’abandon. Le continent africain vu par un regard de Blanc aurait pu connaître bien des écueils : folklore exacerbé, néocolonialisme latent inavouable, nostalgie de l’époque coloniale ou Mea Culpa solitaire.
Fille d’administrateur colonial ayant grandi entre le Cameroun, le Burkina-Faso et Djibouti, Claire Denis connaît l’Afrique, c’est un fait. Sa filmographie frappe par sa capacité à faire entrer Africains (ou plus généralement les noirs : le duo de “dompteurs“ de coqs dans S’en fout la mort, les Antillais de 35 rhums) d’Afrique ou de France dans son œuvre, avec une facilité déconcertante, affirmant sa volonté d’offrir la part belle aux minorités souvent mal décrites.
Par le biais de White Material, Claire Denis et sa caméra reposent pied en terre africaine, ce qui n’avait plus été le cas depuis Beau travail (1999) qui se passait en grande partie à Djibouti, après un premier long-métrage, Chocolat (1988), marqué par des souvenirs d’enfance dans un Cameroun aux portes de l’indépendance. Dans son dernier film, tourné dans ce même pays, le récit parle d’une Afrique sans jamais mentionner le pays concerné.
On retrouve ce même sentiment dans White Material où évolue Isabelle Huppert, propriétaire de champs de cannes à sucre, qui s’obstine à vouloir récolter, malgré les difficultés à trouver de la main-d’œuvre en cette période de chaos socio-politique.

« White Material » de Claire Denis

L’intrigue se déroule donc quelque part sur le continent noir, dans un état en proie au chaos d’une guerre civile. Ce pourrait être la Côte d’Ivoire lors des troubles de 2002, occasionnant le rapatriement des ressortissants européens, ou bien le Zimbabwe quand les fermiers blancs furent expropriés sur décision de Robert Mugabe au début des années 2000. Les interventions radiophoniques rappellent le triste et macabre rôle qu’a joué la radio Mille Collines lors du déclenchement du génocide des Tutsis au Rwanda en avril 1994.
Portant à bout de bras le film, avec véhémence, Isabelle Huppert endosse ici un rôle qu’elle s’est déjà un peu approprié dans Un Barrage contre le Pacifique (2008), de Rithy Panh, où elle interprétait une propriétaire terrienne en Indochine se battant pour sauver ses terres des inondations. Cette fois-ci, la Blanche s’obstine à vouloir sauver ses récoltes de café.
Dans ce pays qui frise la guerre civile, où errent des enfants soldats, Claire Denis tisse un récit qui s’ébauche sous nos yeux, nous présentant progressivement chaque membre de ce drame génocidaire : Henri Vial (Michel Subor), le patriarche vieillissant, Maria et Henri Vial (Isabelle Huppert et Christophe Lambert), un couple désuni qui cohabite et leur fils d’une vingtaine d’années, le désœuvré Manuel (Nicolas Duvauchelle).
Comme à son habitude, Claire Denis s’immisce peu à peu dans le quotidien mouvementé de ses personnages, faisant de ses spectateurs des voyeurs surpris mais consentants. Entre l’atmosphère qui règne tout au long du film et l’interprétation grandiose des divers acteurs, il faut un temps pour récupérer post projection.

Firouz-Elisabeth Pillet