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Film de mai 2010 : “Ajami“

L’exploration des territoires israéliens continue, avec la visite d’un quartier bigarré de Jaffa.

Article mis en ligne le mai 2010
dernière modification le 24 septembre 2011

par Firouz Elisabeth PILLET

Ajami


de Scandar Copti et de Yaron Shani. Israël, 2009.

Le cinéma israélien se plaît à explorer ses territoires, dans ses infimes méandres, à y déceler la violence qui ne demande qu’à exploser au moindre prétexte. Après le quartier juif ultraorthodoxe de Méa Shéarim d’Amos Gitaï (Kadosh, Tu n’aimeras point), la “bulle“ de Tel Aviv, insouciante et bourgeoise (The Bubble, de Eytan Fox) et les faubourgs populaires d’Haïfa (Zion et son frère), c’est Jaffa la mélangée qui se voit filmée pour la deuxième fois – de Keren Yedaya - après Jaffaen il y a quelques mois, au travers d’un film choral puissant et très abouti.
Ajami est un quartier bigarré de Jaffa, où les diverses communautés – juive, musulmane, chrétienne, maronite – cohabitent tant bien que mal. Dans ce microcosme dense, plusieurs destinées se croisent : celle d’Omar, Arabe israélien dont la vie est menacée par des voyous depuis que son oncle a tiré sur l’un de ceux qui tentait de le racketter ; celle de Malek, ouvrier clandestin qui trime pour payer les frais d’opération de sa mère ; celle de Binj, un Arabe amoureux d’une Juive ; celle, enfin, de Dando, un policier juif qui souhaite venger la mort de son frère soldat.

« Ajami » de Scandar & Shani Copti & Shani

Sept ans de labeur ont été nécessaires à l’élaboration du film, car les réalisateurs souhaitaient peaufiner la documentation. Très travaillé, très écrit, Ajami aurait pu être étouffé par une mise en scène statique ; les deux cinéastes ont, au contraire, su y mettre de la spontanéité, et par là-même de la fraîcheur malgré la gravité des situations. A l’image du maître cinématographique qu’il admire – Ken Loach – Yori Shani ne livrait le scénario qu’au dernier moment aux acteurs – non-professionnels – pour instaurer et conserver la fraîcheur de la découverte. Le résultat de cette méthode est probant puisque le film retranscrit parfaitement l’atmosphère foisonnante mais aussi tendue de ce quartier.
On savait les tensions fratricides entre communautés exacerbées ; on découvre que, même au sein d’une communauté, les coups bas sont légion : mis à part les sempiternels check-points à passer, certains protagonistes doivent faire face à la maffia palestinienne. Et cette pègre peut se targuer de valoir la maffia italienne ou russe.
Dans ce microcosme houleux, où les déchirures se succèdent, l’espoir d’une improbable trêve semble illusoire. Le personnage de l’Arabe israélien (interprété par Scandar Copti) en est l’exemple poignant : en couple avec une Juive, il n’appartient plus à aucun des deux mondes. Mais oser faire un film sur un sujet si délicat, avec autant de justesse, n’est-ce pas déjà là une avancée vers la paix ?
Il y a matière à réflexion et Ajami avait marqué les esprits l’an dernier à Cannes. On lui souhaite de poursuivre sa tournée des salles européennes en suscitant des questions multiples, culturelles et identitaires, afin qu’un terrain d’entente soit trouvé.

Firouz-Elisabeth Pillet