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Film de février 2010 : “Le concert“
Article mis en ligne le février 2010
dernière modification le 26 novembre 2011

par Firouz Elisabeth PILLET

Le concert


de Radu Mihaileanu, avec Mélanie Laurent, François Berléand, Miou-Miou, Lionel Abelanski, Jacqueline Bisset. France/ Roumanie, 2008.

Sous le régime de Brejnev, Andrei Filipov était le plus grand chef d’orchestre d’Union soviétique et dirigeait le célèbre Orchestre du Bolchoï. Peu sympathisant du régime en place, le chef d’orchestre est brisé en public par le chef d’état devant son parterre de musiciens et le public du théâtre moscovite. Cette faille poursuit le chef d’orchestre depuis des années. Il ne regrette bien sûr pas d’avoir refusé de se séparer de ses musiciens juifs, dont son meilleur ami Sacha, mais ne se relève pas de ce licenciement en pleine gloire. Trente ans plus tard, il travaille toujours au Bolchoï mais... comme homme de ménage. Ainsi fonctionne le système pour museler et dompter les réfractaires. Un soir, alors qu’Andrei est resté très tard pour nettoyer le bureau du maître des lieux, il tombe sur un fax adressé à la direction du Bolchoï : il s’agit d’une invitation du Théâtre du Châtelet conviant l’orchestre officiel à venir jouer à Paris. Soudain, Andrei a une idée de folie : pourquoi ne pas réunir ses anciens copains musiciens, qui vivent aujourd’hui de petits boulots, et les emmener à Paris, en les faisant passer pour le Bolchoï, ce dernier étant au plus mal de sa forme depuis de nombreuses années ? Les Parisiens n’y verront que du feu puisque d’excellents musiciens donneront le concert demandé. L’heure tant attendue de prendre enfin une revanche a enfin sonné.

« Le Concert » de Radu Mihaileanu

A l’origine du ’Concert’, il y a un homme qui puise dans son itinéraire personnel la source de son inspiration : Radu Mihaileanu, juif roumain, qui a grandi sous l’enclume de l’ex-bloc soviétique. Comme toute personne issue de cette société, le réalisateur vit un paradoxe : celui d’une société russe moderne encore tiraillée entre la nostalgie du vieux communisme – où la société égalitaire offrait travail, logement, éducation à tous – et la volonté d’intégrer le cercle mondial du capitalisme consumériste – où les disparités accroissent le fossé entre les riches à l’opulence indécente et les pauvres, qui alimentent toujours plus le quart-monde d’une Europe qui préfère se voiler la face plutôt que d’affronter ces démons. Ce fossé est omniprésent dans tous les pays de l’ex-bloc soviétique et est matière propice à une trame à la fois tragique et comique dont le cinéaste roumain a su s’emparer pour en faire un récit cocasse, plein de clins d’œil savoureux et comique de situations – l’arrivée des musiciens à Paris, terre promise de tous les business. Derrière les apparences de la comédie primesautière, le réalisateur évoque le souvenir douloureux et encore bien vivace de l’URSS de Brejnev il y a trente ans. De cette Russie humiliée, sacrifiée sur l’autel des convictions utopiques, passant ses artistes et ses intellectuels à la trappe, quand ce n’est au goulag sibérien.
Ces artistes, ces intellectuels brisés, brimés, oubliés, ont attendu que la situation politique leur redevienne favorable pour se relever. Une aspiration incarnée par le personnage d’Ivan, l’ancien chef d’orchestre du prestigieux Bolchoï, qui se rend à Paris, accompagné de ses anciens compagnons de partition, pour jouer Tchaïkovsky au Théâtre du Châtelet afin de panser ces blessures toujours sanguinolentes. Radu Mihaileanu parle d’un drame humain à large échelle, au travers de ces destinées personnelles, mais il y met de l’extravagance, de l’humour, de l’autodérision et du burlesque. Les personnages semblent sortir d’un roman picaresque, quitte à friser le caricaturale sans jamais tomber dans l’excès : quand les musiciens moscovites débarquent dans la ville-lumière, c’est la rencontre explosive entre l’âme slave, avec ses soubresauts inattendus et la civilisation guindée à la française. Le Russe est indiscipliné, alcoolique et obsédé par l’argent et par les combines, habitué depuis des décennies au système D. Le Parisien est sérieux, guindé et respectueux des règles, manquant parfois sérieusement de fantaisie. De cette rencontre improbable naît une harmonie dans la communion artistique, lors du concert tant attendu, tant fantasmé par ce chef d’orchestre, point d’orgue final du film, mis en scène avec une incroyable virtuosité. Un face à face saisissant entre le soliste et l’orchestre, entre le désarroi initial du chef d’orchestre, presque abattu par l’indiscipline de ses musiciens, et l’apothéose finale où la symbiose musicale unit chaque artiste, sublimant les dissonances de chacun pour atteindre l’excellence en jouant à l’unisson.
Le film séduit d’autant plus les spectateurs qui auront pu s’aventurer au-delà du mur de fer avant l’effondrement du bloc dans les années 90.

Firouz-Elisabeth Pillet