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Film de février 2009 : “Die Welle“
Article mis en ligne le février 2009
dernière modification le 20 février 2012

par Antoine GOECKING

Die Welle


de Dennis Gansel, avec Jürgen Vogel, Frederick Lau, Jennifer Ulrich, Christiane Paul, Cristina Dorego, … Allemagne, 2008

Il ne faut pas vendre son âme au diable. Ni à qui que se soit d’autre d’ailleurs !
En automne 1967, Ron Jones, un professeur d’histoire du lycée Cubberley à Palo Alto (Californie), conduit une expérience avec sa classe. À l’occasion d’un cours sur le nazisme, un de ses élèves lui pose une question à laquelle il est incapable de répondre : « Comment le peuple allemand pouvait-il ignorer le génocide des juifs ? Comment les citadins, les cheminots, les enseignants, le corps médical, comment tout ce monde-là a-t-il pu revendiquer ne rien savoir des camps de concentration ? Comment des gens qui étaient les voisins, et peut-être les amis des citoyens juifs, ont-il pu prétendre qu’ils n’avaient rien vu ? »
Ron Jones décide alors, sur un coup de tête, de mener une expérience. Il instaure dans la classe un régime de stricte discipline, restreignant la liberté de ses élèves et transformant la masse en un seul corps. Le mouvement est appelé La troisième vague. À la grande surprise du professeur, la classe réagit plutôt bien à la contrainte d’obéissance qui lui est imposée. L’expérience, qui ne devait durer qu’une seul journée, va répandre son emprise sur l’école toute entière. Les membres du mouvement commencent à s’espionner les uns les autres, et les réfractaires se retrouvent stigmatisés et même tabassés. Au bout du cinquième jour, Ron Jones est contraint de mettre un terme à l’expérience.

« Die Welle » de Dennis Gansel

Cette histoire vraie a inspiré le roman de Todd Strasser, The Wave, qui est, depuis vingt ans, un classique de la littérature de jeunesse et qui figure toujours au programme de nombreuses écoles. Et aux yeux de l’auteur, “Le plus important, c’est le message de cette histoire, qui doit servir à la fois de souvenir à propos de ce qui s’est passé et d’un avertissement à propos de ce qui peut se reproduire.” Véritable phénomène de société, l’adaptation cinématographique de Dennis Gansel, qui a transposé l’expérience californienne dans un gymnase allemand, a réuni plus de deux millions de spectateurs outre-Rhin.
Les scénaristes du film savaient évidemment combien la question du nazisme est un sujet de premier ordre dans les écoles allemandes. Ils sont partis de ce constat : “Quand j’allais à l’école, dit Peter Thorwarth, la question des nazis et du IIIème Reich revenait constamment dans les cours, aussi bien en Histoire qu’en sciences politiques, dans les cours de religion, de littérature, ou même de biologie. Au bout d’un moment, en tant qu’élève, vous commencez à en avoir marre, vous avez le sentiment d’en avoir assez entendu sur le sujet. Il y a une lassitude qui en découle, et même une certaine arrogance. On se dit : « On a compris, c’est quelque chose qui n’arrivera plus ». Et c’est là que se situe le danger selon moi”.
La quadruple énonciation du propos de ce film – à savoir un phénomène réel reconstitué en jeu de rôles qui inspire le contenu d’un roman (sans compter qu’il a été écrit sous un pseudonyme), lui-même adapté à l’écran – est une jolie parabole de notre impuissance à enrayer une catastrophe annoncée, l’arrivée d’un totalitarisme dévastateur. La question de la soumission volontaire est posée ici avec férocité puisque même en plein cœur d’une institution d’instruction publique efficace, au sein de la jeunesse la mieux éduquée et la plus instruite du pays, les protagonistes n’ont pas vu venir le drame ! Malaise… “Je veux une jeunesse athlétique qui n’aurait pas reçu la moindre éducation intellectuelle, si ce n’est l’apprentissage à l’obéissance”, disait Hitler. Nous assistons dans La Vague à un rassemblement d’élèves derrière Rainer Wenger dans une sorte d’extase amoureuse, les élèves le suppliant de commander, l’identité de groupe leur donnant un sentiment de puissance et d’euphorie dont ils ne peuvent/veulent plus se passer. Et nous assistons, impuissants, à cette montée de fascisme. Et même si nous étions puissants, bien malin celui qui arriverait à éradiquer le mouvement. Quelle loi adopter ?
Boris Cyrulnik nous enseigne qu’”obéir n’est pas se soumettre : Dans la soumission, je suis contraint à faire ce que veut l’Autre, alors que dans l’obéissance, je veux bien faire ce qu’il veut, j’y consens.
Le problème dans La Vague, c’est précisément qu’il n’y a pas de contrainte. “J’étais heureux à Auschwitz”, a dit Rudolf Hess.
Non décidément, la question de savoir comment empêcher l’avènement d’un totalitarisme ne trouve pas sa réponse dans un corps de lois, tant il est vrai que ce n’est pas en votant des lois que les Hommes deviennent meilleurs. Tous les anciens nazis et collaborateurs ont dit la bouche en coeur : “Je n’ai fait qu’obéir”. Donc l’obéissance délègue un pouvoir à autrui de façon parfaitement légitime, et cet autrui ne devient un tyran que lorsqu’il abuse de ce pouvoir, pas avant ! Les régimes totalitaires et leurs dérives sont-elles donc inévitables ?
Vite, un bon bol d’air du large à respirer par les yeux pour prendre une grosse vague d’intelligence dans les sens !

Antoine Goecking