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Film de décembre 2010 : “La Mirada invisible“

A travers la Mirada invisible, Diego Lerman nous offre une page de l’histoire argentine.

Article mis en ligne le décembre 2010
dernière modification le 15 décembre 2011

par Firouz Elisabeth PILLET

La Mirada invisible


(l’œil invisible), de Diego Lerman, avec Julieta Zylberberg, Omar Núñez, Marta Lubos, Gaby Ferrero. Argentine, 2010.

Buenos Aires, en mars 1982, la dictature militaire est contestée sur la Place de Mai. María Teresa est surveillante au Lycée National de Buenos Aires, l’école qui forme les futures classes dirigeantes du pays. A 23 ans, elle habite avec sa mère et sa grand-mère et vit un amour platonique pour un lycéen. M. Biasutto, le surveillant en chef, apprécie tant l’employée zélée que les charmes délicats de la jeune femme. Il recherche sa compagnie pour faire d’elle l’œil qui voit tout, mais qui échappe aux regards des autres : l’œil invisible. Mais aussi à des fins plus personnelles. María Teresa s’investit avec rigueur, tel un militaire, dans une surveillance acharnée de ce petit monde clos, imaginant, décelant, traquant, supposant.

« La Mirada invisible » de Diego Lerman
© trigon-film

Présenté en compétition dans la 42e édition de la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes 2010, la Mirada invisible s’inscrit dans la nouvelle Argentine qui ne cesse de nous séduire par des œuvres majestueuses et abouties, tant sur le plan formel que sur le fond. Basé sur la nouvelle Sciences morales, de Martin Kohan – pour lequel l’écrivain fut récompensé en recevant le Prix Herralde de Novela -, le film explore les méandres relationnels d’un petit groupe de surveillant, à travers la figure centrale de Marita, une jeune femme disciplinée, intransigeante avec les élèves et en apparente errance affective. Dans le contexte de la Guerre des Malouines, la population argentine commence à manifester et à se rebeller contre le gouvernement. Dans l’enceinte des murs de l’école, on entend retentir des coups de feu et des les cris d’une foule.

« La Mirada invisible »
© trigon-film

Des propres mots du réalisateur, il avoue avoir voulu un angle de vue nouveau sur la décadence de la dictature, un point de vue novateur sur cette année charnière que lui laissait entrevoir la nouvelle de Kohan. Plus que la ferveur nationale et le patriotisme, Lerman s’intéressait à cette décadence et aux tentatives des militaires de se maintenir au pouvoir. A travers ce microcosme scolaire, Diego Lerman trouva le lieu idéal pour illustrer les soubresauts moribonds de ce patriotisme en fin de course. Dès la séquence d’ouverture, des élèves avancent au pas, en rang, précédé par une jeune femme à la silhouette austère. La photographie, magnifiquement travaillée, met en valeur des décors épurés. Tout est sobre et contenu, à l’instar de la discipline de fer qui règne au sein du collège. Álvaro Gutiérrez, le chef de la photographie, a choisi d’accentuer cette atmosphère pesante, aseptisée humainement parlant, dans les murs de l’école, filmée dans des tonalités pâles et froides alors que le monde extérieur apparaît dans des couleurs chaudes et pastelles, y compris la maison de Marita. Le jeu des acteurs est travaillé dans les moindres détails et la bande-son comporte quelques chants patriotiques qui rappellent tristement les années de plomb. Le film s’achève sur une terrible scène de viol et d’assassinat, symboliquement très forte par rapport aux événements que le réalisateur suggère sans jamais les filmer, par un bande son ingénieuse.
Une page de l’histoire argentine, si tragique mais si magnifiquement relue !

Firouz-Elisabeth Pillet