de Juan José Lozano, avec Hollman Morris. Suisse-Colombie, 2008.

Résidant depuis une décennie en Suisse, le cinéaste et vidéaste colombien Juan José Lozano est en train de tourner, en 2006 en Colombie, Hasta la ultima piedra (Jusqu’à la dernière pierre). Pour ce documentaire sur une communauté de paysans dans une zone stratégique de guerre, il a besoin d’images et d’archives que les journaux télévisés colombiens sont incapables de lui fournir puisque les patrons de ces chaînes ont décidé de ne plus envoyer de reporters dans ces zones à risques. Le cinéaste constate avec effroi que la guerre a totalement disparu des écrans de télévision et que rien ne transparaît des exactions commises durant ces dernières années. Ses recherches le conduisent à l’émission hebdomadaire de Hollman Morris, Contravia. Qu’il réalise et produit, risquant sa vie au cœur des conflits.
Hollman Morris lui ouvre ses archives. Quand, quelques mois plus tard, Juan José Lozano apprend que l’émission Contravia n’est plus diffusée faute de financement, Lozano décide de réaliser un film sur ce journaliste qui refuse de museler les minorités, qui pousse ses limites à l’extrême, risquant constamment sa vie pour traiter de sujets complexes, politiquement incorrectes, pour donner voix aux oubliés des conflits, pour que la barbarie qui ravage la Colombie depuis des années ne sombre pas dans l’oubli.

Présenté lors de la dernière édition du Festival Filmar en América latina, Témoin indésirable a permis à Hollman Morris de venir parler de ses convictions, de ses doutes, de ses engagements, de ses motivations, de sa volonté inébranlable de dénoncer les conflits qui font rage en Colombie, avec une attention toute particulière pour le thème des droits de l’homme.
Au-delà du drame humanitaire, le film brosse le portrait sans concession d’un homme qui poursuit, à contre courant, la réalisation de ses reportages dans le cadre de son émission, Contravia, unique émission socio-politique dans un paysage télévisuel peuplé de télénovelas et de potins du showbiz latino.

Cet engagement maintenu depuis plus de quinze ans a valu à Morris des reconnaissances multiples au niveau international – il a reçu de prestigieux prix comme, en 2007, le Human Rights Watch Defender Award – mais aussi des menaces de mort pour sa famille et lui. Devant ces intimidations et ces menaces croissantes, Hollman Morris hésite à quitter le pays pour offrir à sa femme et ses deux enfants sécurité et tranquillité. Même si la femme du journaliste, pomponnée et tirée à quatre épingles, sanglotant délicatement dans un bar chic face une amie, peut paraître déplacée par rapport aux horreurs que Morris recueille dans chacun de ses reportages, le film de Lozano montre toute la complexité du personnage à travers ce portrait exhaustif, dévoilant ses paradoxes entre ses convictions journalistiques et humaines, et ses craintes pour les siens. Témoin indésirable rappelle tristement que la Colombie figure parmi les pays en tête de l’autocensure de la liberté d’expression et demeure un pays à haut risque pour les journalistes, tant les pressions des forces obscures (guérillas, paramilitaires, narcotrafiquants, politiciens, fonctionnaires corrompus) sont fortes. Et même si les enlèvements et les assassinats ont diminué, force est de constater à travers ce portrait vertigineux de vérité que prendre la parole, sous certaines latitudes, est un défi mortel de tous les instants.

Firouz-Elisabeth Pillet