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Film de décembre 2007 : “Eastern Promises“

David Cronenberg nous offre une éprouvante descente dans les bas-fonds de la maffia russe.

Article mis en ligne le décembre 2007
dernière modification le 4 mars 2012

par Firouz Elisabeth PILLET

Eastern Promises


(Les Promesses de l’ombre) de David Cronenberg, avec Viggo Mortensen, Naomi Watts, Vincent Cassel. USA / G.-B., 2007.

Bouleversée par la mort d’une jeune adolescente qu’elle aidait à accoucher, Anna tente de retrouver la famille du nouveau-né en s’aidant du journal intime de la disparue, écrit en russe. Au lieu de solliciter l’ami de sa mère, Russe, elle choisit de confier le journal intime à un propriétaire d’un restaurant luxueux, Semyon, qui lui semble de toute confiance. En remontant la piste de l’ouvrage qu’elle tente de faire décrypter, la sage-femme réalise que cet homme avenant et paisible cache bien son jeu. Semyon, redoutable chef de gang, est directement concerné par le document qu’Anna possède. Le chemin de la jeune femme croise aussi celui de Nikolai, chauffeur et homme de main de la toute puissante famille criminelle de l’Est, qui entame une remise en cause. Entre Semyon et son fils Kirill, prêts à tout pour récupérer le journal, et l’innocente Anna, sa loyauté va être mise à rude épreuve. Autour d’un document qui se révèle de plus en plus explosif, plusieurs vies sont en jeu, dont la sienne.

« Eastern promises / Les promesses de l’ombre » avec Viggo Mortensen et Naomi Watts
© Metropolitan FilmExport

Pour cette descente éprouvante et réussie dans les bas-fonds troubles de la maffia russe, le cinéaste canadien David Cronenberg a choisi de confier pour la deuxième fois consécutive le rôle masculin principal de son film à Viggo Mortensen, héros trouble de A History of Violence, son précédent opus. Le scénario du film Eastern Promises est signé Steven Knight, à qui on doit une autre exploration d’un Londres clandestin et inquiétant : Dirty Pretty Things de Stephen Frears. Loin du Londres des cartes postales, Eastern Promises entraîne les spectateurs dans des recoins lugubres et obscurs de la capitale britannique que le public, haletant, se met à arpenter aux côtés d’Anna dans sa quête périlleuse.
Totalement pris par son personnage, Viggo Motensen est parti se documenter en Russie, tant sur les gens que sur les pratiques de la maffia russe, en particulier la signification des tatouages. L’acteur évoque son travail de préparation : « Ça nous a beaucoup inspirés, David et moi. Etre capable de penser à ce que j’ai vu, entendu et ressenti en allant là où le personnage est censé être né, donne quelque chose de réel dans certaines scènes du film. » Après transformation, l’acteur américano-danois devient méconnaissable, mi-inquiétant, mi-énigmatique.

« Eastern promises / Les promesses de l’ombre », avec Viggo Mortensen et Vincent Cassel
© Metropolitan FilmExport

Le réalisateur n’a que peu inventé, s’inspirant d’éléments réels : « vori v’zakone, cela veut dire "voleurs dans la loi", on n’entre dans la famille que parce que l’on est un voleur". Il faut être des frères en dehors de la société. C’est quelque chose qui est né dans le goulag, avant même Staline. Au départ, les vori n’avaient pas le droit de posséder quoi que ce soit, ce qui les distinguent de la mafia sicilienne. Le vrai code était : pas de famille (ta mère est une putain), pas de travail, on ne paye pas d’impôts, on ne travaille jamais pour le gouvernement. Ils s’exilaient volontairement de leur propre société. C’est cet exil volontaire qui se transforme en code, en morale, et c’est ce qui leur donne une identité. Nous avons exporté tout cela à Londres où tout change, tout subit une mutation. [Dans le gang du film] il y a un problème de succession entre le père et les fils. Il y a une rivalité entre les deux fils, l’un étant biologique, l’autre "adopté". »

« Eastern promises / Les promesses de l’ombre », avec Viggo Mortensen
© Metropolitan FilmExport

Devant un spectacle si abouti et si convaincant, dont aucun détail n’a été négligé, on se pose légitimement la question de savoir quels risques court Cronenberg. A-t-il pris au préalable contact tant avec la maffia russe émigrée qu’avec Scotland Yard ? Le générique de fin terminé, la question taraude encore les spectateurs. D’ailleurs, la fiction a rejoint la réalité durant le tournage du film, et non loin des lieux où l’équipe travaillait, s’est produit un fait divers retentissant et médiatisé : l’empoisonnement, par polonium, de l’opposant russe et ex-espion Litvinenko. Avec ce film, les Etats-Unis semble ne plus pouvoir se passer de Vincent Cassel, (alias Kirill dans le film), après ses participations à Ocean’s Twelve et Ocean’s 13 de Steven Soderbergh, Dérapage avec Clive Owen, Nadia avec Nicole Kidman (dans lequel il jouait déjà le rôle d’un Russe) et Elizabeth. Pour Cronenberg, Eastern Promises est le premier film qu’il réalise totalement à l’étranger – et cela lui réussit – mais, bien entendu, entouré de ses fidèles, dont certains membres de sa famille.
Bien que la scène de tuerie dans le hammam ait été vivement décriée, le film Les Promesses de l’ombre a fait l’ouverture du Festival de San Sebastian, et a également été présenté aux Festivals de Londres et de Toronto, où il a remporté le Prix Cadillac, décerné par le public. A moins d’être un linguiste puriste, on ne peut rien reprocher à Cassel ni à Mortensen quand ils s’expriment en russe. Décidément, Cronenberg aime se frotter à des sujets épineux, voire périlleux mais il s’en sort toujours avec brio !

Firouz-Elisabeth Pillet