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Film d’octobre 2010 : “Inception“

Avec Inception, le cinéaste britannique Christopher Nolan nous offre un film magistral.

Article mis en ligne le octobre 2010
dernière modification le 23 septembre 2011

par Sita POTTACHERUVA

Inception


De Christopher Nolan. Avec : Michael Caine, Marion Cotillard, Leonardo Di Caprio, Joseph Grodon Levitt, Cillian Murphy, Ellen Page. Etats-Unis 2009. Musique : Hans Zimmer. Durée : 2H22

« Inception : à l’origine était-ce le rêve ou la réalité ? »
La scène d’ouverture de ce film magistral, qui est très certainement l’apogée de la carrière du cinéaste britannique Christopher Nolan, permet au spectateur de retrouver un Leonardo Di Caprio, dans le rôle de Dom Cobb, écroulé sur une plage. Image aquatique qui n’est pas sans évoquer le même acteur dans un rôle tout aussi trouble au début de Shutter Island.
Inception, « origine » en français, est véritablement LE film de science-fiction contemporain que tous les aficionados attendaient depuis, peut-être, Blade Runner, et ne cesse depuis sa sortie le 16 juillet 2010 aux Etats-Unis et au Canada, et le 21 juillet 2010 pour la France de faire chauffer les claviers. Les hypothèses vont bon train, autant que les éloges et les critiques, car Inception a su réunir à la fois une intrigue hautement complexe et parfaitement ficelée, avec une série de scènes d’action haletantes et extraordinairement agencées, portées par le jeu de très bons acteurs, et des mises en abîmes, pour ainsi dire, abyssales. Christopher Nolan ne l’avait pas annoncé autrement : « un thriller de science-fiction contemporain ».

Michael Caine et Leonardo DiCaprio dans « Inception » de Christopher Nolan
© Warner Bros.

Il n’est pas étonnant que le scénario de Nolan aie nécessité dix ans de travail, d’élaboration, de réécriture, nourrit par ses expériences dans Memento (2000), Insomnia (2002) et The Dark Knight  en 2008. Dans son tout premier long métrage tourné en noir-blanc par ailleurs, le cinéaste proposait déjà un personnage aussi prénommé « Cobb » qui s’introduisait chez les gens pour finalement intruser leur intimité. Dans Inception, Cobb-Caprio fait partie d’une brigade spécialisée qui s’introduit cette fois dans les rêves des gens pour leur voler une idée : voler une idée en se jouant du subconscient, ou de l’inconscient, thème central et idéal pour un cinéaste afin de mettre en scène son propre art. Jusqu’où le cinéma se nourrit-il de la réalité et jusqu’où la réalité est influencée par des films ou des acteurs phares ? Jusqu’où la réalité peut-elle aller et où commence le rêve ? Un contrôle est-il possible, ou sommes-nous contrôlés ? La brèche est ouverte pour un véritable prisme de perspectives que Nolan manipule avec brio. Ce prisme s’exprime notamment à l’image par des effets architecturaux dignes d’un M.C Escher, où le paradoxe règne en maître. Le fait de pouvoir créer des univers architecturaux et de jouer avec les perspectives de cet univers dans un rêve offre visuellement ce que l’intrigue fait subir au spectateur : un jeu perpétuel entre apparences et réalité. Ce qui est vu, ou suivi, n’est jamais ce que l’on pense à un premier niveau. Ainsi, l’intrigue s’organise de telle sorte pour que ce jeu puisse se répéter à l’envi.
En effet, pour accomplir cette nouvelle mission particulière qui va consister cette fois-ci non pas à extraire une idée à un personnage, mais bel et bien en introduire une dans son subconscient, l’équipe menée par Cobb va devoir plonger dans différents niveaux de rêves, les uns emboîtés dans les autres, tels des poupées russes, au risque de rester bloqué dans un niveau profond, celui des « limbes », où le temps passe beaucoup plus vite que dans la réalité. Trois niveaux de rêves, rêvé chaque fois par un autre personnage et partagés par l’ensemble des protagonistes et dont la clé de sortie planifiée par l’équipe est le recours à une sorte de décharge, ou de choc, provoqué par une chute. Chaque chute réveille le dormeur en sursaut et donc interrompt le rêve. Trois rêves, donc trois chutes sont requises.

« Inception »
© Warner Bros.

Évidemment la stratégie mise au point ne se déroule pas comme prévu, aspect qui offre le côté thriller au film, et ce, pour plusieurs raisons. Par exemple, dans le premier niveau de rêve, Yusuf est contraint par les événements à déclencher la décharge plus tôt que prévu, ce qui met le deuxième niveau en apesanteur totale et empêche donc le « réveilleur » du deuxième niveau de provoquer un choc : comment faire tomber des gens en apesanteur ? Ce problème permet à Nolan de créer des scènes bouleversantes faisant penser à « 2001 L’Odyssée de l’espace » de Kubrick, et non dénuées d’une certaine ironie, le tout centré dans les couloirs d’un hôtel.
Le troisième rêve, rêvé par Cobb lui-même, le confronte à son propre inconscient et à un deuil non résolu, celui de sa femme Mall, aspect qui donne une dimension psychanalytique au film. Car si Cobb est persuadé dès le début de sa mission qu’il est tout à fait possible d’implanter une idée dans l’esprit d’un personnage, c’est bel et bien parce qu’il la expérimenté lui-même sur sa propre femme. Vivant tous deux dans un rêve où ils avaient construit une cité idéale, Mall ne voulait plus retourner à la réalité. En lui implantant l’idée qu’elle vivait un rêve, Cobb la pousse au suicide pour qu’elle se réveille. Or, le drame se scelle quand au réveil, Mall reste persuadée de vivre un rêve et non la réalité, ce qui la pousse à se suicider réellement.

« Inception »
© Warner Bros.

Or, ce troisième rêve est à la lisière du niveau profond, « les limbes », où l’espace onirique est partagé et ne dépend plus entièrement du rêveur. C’est dans ce niveau que plusieurs éléments vont se jouer. D’une part, Cobb comprend que celui qui l’a engagé pour cette mission, Saito, qui les a accompagnés et qui était blessé, a succombé à ses blessures. Il doit donc le retrouver au niveau « des limbes » pour le sauver. D’autre part, il est confronté à sa propre épouse, Mall, dans un ultime dialogue dramatique qui le renvoie à sa propre culpabilité.
Cobb parvient à retrouver Saito, un Saito terriblement vieilli car bloqué dans « les limbes », dans une scène miroir qui est exactement celle du début du film, et il le convainc de se tuer pour se réveiller.
Malgré les entraves à la stratégie mise en place, l’équipe de Cobb sort indemne de la mission, jusqu’à la scène finale...Cobb retourne aux Etats-Unis pour retrouver ses enfants qui ont grandi et dont il était séparé depuis le décès de sa femme. Il fait alors tourner une toupie qui est son talisman et qui lui permet de savoir s’il rêve ou s’ill est dans la réalité. Or, le film se termine sans que le spectateur sache si la toupie s’arrête ou non de tourner sur elle-même : rêve ou réalité ?

« Inception »
© Warner Bros.

Les hypothèses pleuvent et proposent par exemple qu’une bonne partie du film se déroule dans la réalité, sauf que Cobb serait coincé dans « les limbes » dès sa rencontre avec Saito et qu’ainsi toute l’autre partie du film serait un rêve de Cobb qui justifierait cette scène de retrouvailles avec ses enfants, ce qu’il espérait le plus au monde. Une autre explication plausible serait que tout le film est un rêve dû à une inception sur Cobb lui-même par une équipe qui essayerait de lui faire oublier son épouse...peu importe finalement, car le plus important est précisément qu’aucune solution soit satisfaisante. La solution importe peu, car c’est précisément l’exposition du paradoxe rêve-réalité qui est l’enjeu du film.
Lorsqu’il s’agit des limites entre rêve et réalité, ou autrement dit entre fiction et réalité, il n’y a précisément plus d’origine : l’origine est à la fois sa propre fin et son propre début.

Sita Pottacheruva