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Film d’octobre 2009 : “Un prophète“

Un Prophète, dernier film de Jacques Audiard, explore le microcosme carcéral, sans complaisance.

Article mis en ligne le octobre 2009
dernière modification le 29 janvier 2012

par Firouz Elisabeth PILLET

Un prophète


de Jacques Audiard, avec Tahar Rahim, Niels Arestrup. France, 2009.

Sortant enfin sur les écrans romans, après avoir créé la sensation sur la Croisette au dernier Festival de Cannes, Un Prophète, le cinquième film de Jacques Audiard, avait raflé le Grand Prix du jury quand beaucoup lui auguraient la Palme d’or. Mais la cuisine interne des jurés placés sous la houlette de Isabelle Huppert en ont décidé autrement. Rare est un film susceptible de susciter à l’unanimité une critique symbiotique inhabituelle pour un film de genre.
Un film de genre, en effet, cher aux Nord-Américains qui raffolent du jail movie (L’évadé d’Alcatraz (Don Siegel, 1979) ou Luke la main froide (Stuart Rosenberg, 1967), La Ligne verte, avec Tom Hanks, par exemple) semble asseoir définitivement la filmographie de Jacques Audiard dans le succès. Après De battre, mon coeur s’est arrêté avec Romain Duris (huit Césars, 1 million d’entrées en 2005), le réalisateur avoue avoir souhaité dénicher une nouvelle gueule, un comédien méconnu, s’affligeant de voir que ce sont toujours les mêmes noms qui apparaissent en tête d’affiche dans le cinéma français actuel.

« Un Prophète » de Jacques Audiard

Un Prophète, qui doit son titre, selon Audiard, « à l’émergence d’un nouveau prototype de criminels, dotés d’une autre culture », raconte le parcours carcéral et l’ascension criminelle d’une petite frappe de 19 ans, Malik, qui arrive à Centrale, naïf, tendre, timide et sans protection, et va faire son éducation en cellule au contact d’une bande de mafieux corses, menée par un caïd redoutable (Niels Arestrup dans une interprétation époustouflante) ; ce dernier propose à Malik d‘assurer sa protection en recourant à ses services pour régler des affaires lors de ses permissions. Arrivé illettré, Malik se met à étudier assidûment, bien décidé à obtenir un diplôme intra muros. Il lit, se documente mais, à l’insu de son protecteur, apprend aussi le dialecte corse, à force de les côtoyer. Il deviendra ainsi le parfait lien entre le clan des Maghrébins et la mafia corse. Le film révèle de manière troublante mais exhaustive les ficelles internes entre clans mafieux, et l’émergence d’une nouvelle dictature carcérale, celle des Islamistes, qui, sous le couvert de la religion, impose en douceur sa volonté.
Trafics, violence extrême, corruption du personnel pénitentiaire, affrontements entre communautés aux services des caïds, règlements de comptes, exécutions, viols : le milieu carcéral est montré sans complaisance, pendant presque deux heures et demi. Le réalisateur prétend avoir fait un film de fiction mais Un Prophète explore le microcosme carcéral bien au-delà des documentaires servis sur Arte ou TV5. Rarement, la prison a été décrite avec autant de réalisme, vue de l’intérieur, révélée aux spectateurs qui en frissonnent. « Pour moi, si le cinéma n’a pas un rapport clair avec le monde dans lequel on vit, il devient désincarné, justifie le réalisateur. Mais l’histoire de Malik est une fiction. Et dire que je stigmatise une communauté, c’est faire de la morale un peu idiote. Aux Etats-Unis, il ne viendrait à personne l’idée de protester quand, au cinéma, les détenus chicanos se heurtent à une autre communauté. » L’itinéraire du héros constitue le fil conducteur du film. A mesure que Malik s’initie et se fortifie, l’acteur qui l’interprète prend de l’envergure à l’écran, et peu à peu nous devient familier. Il est incarné par Tahar Rahim, 28 ans, un acteur d’origine algérienne jusqu’alors inconnu, rencontré par hasard lors d’une course en voiture par Audiard, et qui correspondait parfaitement à la quête de gueule inconnue à laquelle se livrait le cinéaste. Le jeune acteur, qui avoue « s’être égaré quelques années sur les bancs de la fac avant de tenter la voie artistique », livre ici une performance époustouflante. Issu d’une famille modeste, émigrée à Belfort, Tahar Rahim n’imaginait pas prendre un tel envol avec son rôle dans Un Prophète.
Malik trouve donc son salut en apprenant à lire et à écrire, mais aussi en adoptant les réflexes meurtriers de ceux qui l’exploitent, pour d’abord améliorer son quotidien, puis ensuite s’offrir des produits de luxe dans sa cellule. Des séquences oniriques traduisent d’ailleurs son sentiment de culpabilité lié à l’assassinat qu’il a commis lors de son rite de passage. Plus qu’une apologie de la voyoucratie, Jacques Audiard définit son parcours comme un réflexe de survie en milieu hostile. « Pour moi, il n’a rien d’immoral. Malik n’a pas d’autre alternative que de devenir un malfrat pour survivre. En réalité, il méprise leurs codes et leur brutalité. »

Firouz-Elisabeth Pillet