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Film d’octobre 2009 : “Les derniers jours du monde“

Avec leur dernier opus, les frères Larrieu nous emmènent à l’intérieur d’un pays en déroute. Admirable voyage.

Article mis en ligne le octobre 2009
dernière modification le 29 janvier 2012

par François ZANETTA

Les derniers jours du monde


d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu. Avec Mathieu Amalric, Catherine Frot, Karin Viard, Sergi Lopez, Clothilde Hesme.

Un homme en vacances tombe amoureux d’une belle inconnue : c’est l’apocalypse. On ne peut mieux décliner l’expression « tomber amoureux » tant la parabole du film des frères Larrieu tend vers cette idée. Plus qu’une perte d’équilibre, c’est un vertige, une chute de damnés, un coup de foudre, comme ceux qui foudroient net, ceux qui ne nous laisseront plus jamais tranquilles ! Est-ce alors le début de l’été ou le début de la fin ? Les cinéastes nous emmènent à l’intérieur d’un pays en déroute où une pandémie fait rage. Les derniers jours du monde s’affiche alors comme un documentaire visionnaire et une fiction débridée : les deux pieds dans le récit, le spectateur est médusé ! Inquiétude de la prémonition (va donc chercher ton tamiflu à la pharmacie !!) ou peur de perdre le fil, de ne pas comprendre.

« Les derniers jours du monde ». Crédit photo © Teresa Isasi

Faire le pari de le prendre, au vol ! Un récit éclaté, une course poursuite contre le temps, vers une fin, vers une explosion finale, un déhanchement, une jouissance ? Filmer un état de siège comme un état de grâce ! Le monde est fragilisé, les moyens d’informations sont coupés, comme dans les grandes guerres où l’Ennemi sait dérouter en brouillant les pistes. Le film montre en filigrane, en arrière-plan, des blouses blanches, des casques bleus ou argentés s’affairer pour stopper l’hémorragie. Robinson (Mathieu Amalric décidément formidable) sillonne une France assiégée, où Toulouse est devenue capitale (revanche des Larrieu, hommes du Sud-Ouest face à Paris) pour retrouver sa belle Laé ; comme une errance. La brèche fut ouverte sur une plage de Biarritz. La femme de Robinson lui désigne l’objet de son désir futur. Cette femme est belle ! Laé sur la plage, des cheveux qui tombent comme le soir et de la musique en bas des reins. Une allure, c’est certain. Une danse amoureuse se dessine, on se cherche dans les rues côtières de Biarritz. Puis, dans la cale d’un bateau, un corps nu s’offre à lui ! Se souvenir de ces belles scènes renvoie justement à la fragilité du film, de ses risques évidents : nous mettre en déroute, nous éloigner peut-être d’un sujet qui ne serait pas celui que l’on pense.
Mais l’ambition artistique l’emporte, rare dans le cinéma français, de tendre vers ces grandes fresques que l’on imaginait réservées au cinéma américain. Elle mérite le détour. Fragilité du geste, mélange des genres. D’une évocation du néo-réalisme rossellinien dans les rues de Pampelune en pleine feria (ici pas de miracle comme dans la procession de Voyage en Italie), à certaines visions d’un Paris foudroyé, on pense alors aux photogrammes de Chris Marker dans la Jetée. C’est ce cinéma de laboratoire qui s’impose et force l’admiration. Quelques problèmes de rythme peut être, mais l’ensemble reste passionnant et émouvant surtout. Comment filmer ce délabrement, cette déconstruction du monde ? D’abord par une narration éclatée, on navigue en équilibriste, comme le héros. Puis à travers ces moments de suspension dans l’air, au début du film par exemple où le pollen d’ambroisie peut être se confond avec la cendre : notre œil hésite à nommer, et le film nous questionne déjà !
A la suite de quelques scènes intimistes, on se retrouve en pleine science-fiction. Robinson deviendra le vecteur visuel de ce monde qui s’écroule. Filmer des corps, des cadavres jonchent tout le film. Mais un souffle vital résiste via le personnage de Robinson. Réflexion sur la peau (toujours cette thématique liée à l’érotisme après Peindre ou faire l’amour, et Un homme, un vrai). La sauver d’abord, puis la toucher : film des corps amoureux.
Comprendre alors que la fin est proche. La petite mort avant la grande ! Ils se retrouveront dans un château pour une dernière party, les jambes en l’air, ou au cou, se défaire et s’échapper, Robinson sera en fuite. Il faut donc se laisser porter par le temps : tout s’en va, tout fout le camp. Se laisser porter par la musique et les paroles de Léo Ferré, avec Son style, comme une apothéose. « Ton style, c’est ton cul, c’est ton cul, c’est ma loi ! »

François Zanetta