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Film d’octobre 2009 : “L’affaire Farewell“

Pour L’affaire Farewell, Christian Carion met en scène Emir Kusturica en colonel du KGB.

Article mis en ligne le octobre 2009
dernière modification le 29 janvier 2012

par Firouz Elisabeth PILLET

L’affaire Farewell


de Christian Carion, avec Guillaume Canet, Emir Kusturica. France, 2009.

L’auteur de Joyeux Noël – film bouleversant sur la fraternisation entre soldats allemands et soldats français dans les tranchées de 14-18 – se penche avec son dernier film, L’affaire Farewell, sur une affaire méconnue du grand public et pourtant véridique. Réalisant un film d’espionnage captivant et reconstituant à la perfection la Moscou soviétique des années 80, le réalisateur français a su s’entourer d’acteurs judicieusement choisis, même dans les rôles les plus modestes. Pour incarner Pierre, jeune ingénieur français brillant en poste dans la capitale de l’U.R.S.S., Carion retrouve Guillaume Canet qu’il avait déjä dirigé dans Joyeux Noël. Face à l’acteur-réalisateur, un autre acteur-réalisateur lui donne la réplique. Emir Kusturica, saisissant dans son interprétation presque nonchalante d’un colonel du KGB, francophone et francophile, qui passe des informations ultra-secrètes en Occident afin de précipiter la fin du régime communiste et briser le rideau de fer.
Le film plonge peu à peu les spectateurs dans un engrenage subtil, pernicieux, haletant, qui captive. Pierre, marié avec deux enfants en bas âge, mène une vie tranquille et satisfaisante. Brillant ingénieur, il est un jour sollicité par son patron français afin d’entrer en contact avec un Moscovite. Pierre n’en sait pas plus. La prise de contact effectuée, Pierre est censé passer des documents d’importance capitale en France. La responsabilité qu’on lui confie va jouer le rôle d’un stimulus, d’un déclencheur qui entraîne Pierre dans un double jeu périlleux. A l’insu de son épouse, Pierre accepte de nouvelles missions, se liant d’amitié avec son interlocuteur du KGB. Peu à peu, il prend conscience des conséquences de ses actes sur la sérénité familiale et les risques qu’encourt sa femme et ses enfants. Espionné par leur femme de ménage, le couple décide de lui donner quelques éléments à fournir à ses supérieurs afin que celle-ci devienne une alliée.

« L’Affaire Farewell » de Christian Carion.
Crédit photo Jean-claude Lother

Guillaume Canet endosse ici le rôle complexe d’un homme pris en étau entre son rôle d’espion et ses mensonges à sa femme ; il a su parfaitement rendre les états d’âmes et les remises en question de son personnage. L’acteur avoue avoir rencontré quelques difficultés à donner la réplique à Emir Kusturica, notoirement connu pour son caractère insaisissable et lunatique. Après des débuts tendus, les deux acteurs sont parvenus à s’apprivoiser et offrent un tandem à la fois attachant et déconcertant à l’écran.
En fil rouge (sans jeu de mots), le cinéaste ponctue son récit de déclamations de La Mort du Loup, d’Alfred de Vigny, par le colonel du KGB qui se nourrit de poésie française. Lors de leurs échanges de documents, Sergeï passe commande auprès de Pierre pour obtenir quelques présents pour sa femme Natasha et son fils Igor : du cognac, un walkmann et des cassettes de Queen, et une anthologie de poésie française. Pierre s’exécute en livrant un vieil exemplaire de Lagarde et Michard ayant appartenu à sa femme au lycée. Le fameux ouvrage mettra les agnets du KGB sur leur piste et à leurs trousses. Pris en chasse, Pierre et sa famille tente la fuite par la route, parcourant les 800 kilomètres qui les sépare de la frontière finlandaise. In extremis, « les louveteaux seront sauvés », annonce un supérieur du KGB à Sergeï avant que celui-ci ne soit fusillé. Quand défile le générique de fin, on se remémore une époque si vite oubliée : celle des appartements truffés de micros, des filatures quotidiennes, des tortures dans le fameux édifice du KGB devenu depuis un hôtel cinq étoiles. Seul bémol à cette fresque brillamment reconstituée : les prestations peu convaincantes de François Mitterrand (Jacques Magnan) et de Ronald Reagan (Fred Ward), très crédibles visuellement mais malheureusement pas verbalement.
Rondement mené, magnifiquement interprété, précis dans la reconstitution historique, L’affaire Farewell disposait de tous les ingrédients pour un film d’espionnage dynamique mais Carion a parfois peiné à mettre du relief à son récit, peut-être par peur de trahir l’Histoire … Une question affleure : quelle prochaine page d’histoire va susciter l’enthousiasme de Christian Carion ?

Firouz-Elisabeth Pillet