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Film d’avril 2011 : “We want sex equality“

Entre la comédie et reconstitution socio-historique, Nigel Cole évoque une grève fameuse.

Article mis en ligne le avril 2011
dernière modification le 26 août 2011

par Firouz Elisabeth PILLET

We want sex equality


de Nigel Cole, avec Sally Hawkins, Bob Hoskins. Angleterre, 2011.

Au printemps 68 en Angleterre, une ouvrière découvre que, dans son usine, les hommes sont mieux payés que les femmes, quasiment plus du double pour un travail équivalent. En se battant pour ses collègues et elle, elle va tout simplement changer le monde puisque son acte politique va s’étendre comme une tâche d’huile à la maison mère aux Etats-Unis puis à travers le globe.
Le titre français du film de Nigel Cole, We Want Sex, est, sans doute, le plus surprenant de ces dernières années. L’hégémonie de l’anglais dans le monde culturel ne fait plus nul doute mais quant à mettre un titre anglophone comme titre français, cela frise l’indécence... D’autant que ce titre, qui se veut racoleur, sème la confusion et dessert ainsi le véritable intérêt du film.
Quant le titre complet – We want sex equality – est donné, on comprend rapidement que, lorsque ces femmes bien décidées à obtenir les mêmes droits que leurs collègues masculins sont descendues dans la rue, elles arboraient des panneaux “We Want Sex Equality“. Sauf que le dernier mot de leurs banderoles a très rapidement disparu, pour le plus grand plaisir des petits rigolos et des rétrogrades, bien décidés à faire taire les revendications de ces femmes.
Le ton est ainsi donné, entre la comédie à l’humour so british et la reconstitution socio-historique de cette fameuse grève de l’usine Ford Dagenham, le réalisateur nous promet un film dans la lignée de Billy Elliot. Ce film scelle la deuxième collaboration, après Vera Drake, pour les actrices Sally Hawkins et Imelda Staunton – qui, elle, interprétera Barbara Castle, la Ministre de l’Emploi de l’époque, une dame de fer certes, mais à l’écoute des revendications de son temps.

« We Want Sex Equality » de Nigel Cole
© Elite films

Concernant les détails politico-historiques à se remémorer, le dossier de presse fournit les éléments suivants : 183 ouvrières couturières de l’usine Ford de Dagenham entament une grève en juin 1968 durant 3 semaines, dénonçant le fait qu’elles soient payées 15% de moins que des ouvriers non qualifiés alors que leur travail (assembler le revêtement des sièges des voitures) exige une réelle qualification.Les ouvrières réagissent au fait d’être « déclassées » au sein de l’entreprise. La pyramide des salaires chez Ford compte 5 catégories, le « grade A », est le plus bas, le « grade E » le plus élevé. Or, la rémunération des ouvrières ne correspond qu’à 85% de celle d’un ouvrier classé « grade B », alors qu’elles devraient percevoir un salaire « grade C ». Les grévistes exigent d’être payées 6 pence de plus par heure. A l’époque, elles gagnent 17 livres par semaine, pour 40 heures de travail hebdomadaire.
Au cours des négociations, Fred Blake, le syndicaliste qui représente les ouvrières auprès de Ford, les encourage à amener la grève sur le terrain des inégalités salariales entre hommes et femmes. Le mouvement, emmené par l’ouvrière Rose Boland, est rebaptisé « l’armée des jupons » par la presse, qui le compare à celui des suffragettes.
Le film suit les prémisses de cette grève historique, plongeant les spectateurs dans le quotidien terrible de la classe ouvrière britannique, logée dans des logements sociaux en pré-fabriqués et surexploités par une chaîne industrielle qui ne peut se passer de leurs compétences, pourtant non reconnues. Mi juin les « Dagenham girls » se rendent à Londres. Elles manifestent devant le parlement et sous les fenêtres de Barbara Castle, secrétaire d’état à l’emploi et à la productivité, et première femme politique à occuper un poste de premier plan.
Au delà du message qu’il transmet, le rassemblement marque les esprits parce qu’une banderole sur laquelle est inscrite « We Want Sex Equality » est mal déployée. Le mot « Equality » est caché aux yeux des passants et des automobilistes qui sifflent ou klaxonnent en soutien au slogan « We Want Sex » ! Cette mauvaise interprétation de leurs revendications va aussitôt alimenter les critiques et les plaisanteries douteuses de leurs détracteurs, réfractaires à tout changement, et désireux que les femmes retournent à leurs fourneaux plutôt qu’elles revendiquent une parité salariale et sociale.

« We Want Sex Equality »
© Elite films

Le film de Nigel Cole rappelle comment l’arrêt de la fabrication des sièges de voitures a fini par paralyser l’usine. C’est près de 1500 voitures par jour qui ne sont plus fabriquées. Au fur et à mesure de la grève, 30’000 ouvriers sont menacés de perdre leur emploi. Jusqu’à 9000 personnes se retrouvent au chômage. Chez Ford, on estime que les pertes suite à l’arrêt de la production sont d’environ 8 millions de livres en 3 semaines.
Le 28 juin 1968, Barbara Castle rencontre 8 ouvrières de Dagenham à Londres pour une conversation « à cœur ouvert » autour d’un thé. La grève devient une affaire d’état. Suite à cette rencontre qui marque tant les esprits que l’histoire de l’ère industrielle, les ouvrières acceptent de reprendre le travail et négocient un salaire plus proche de celui des hommes. Elles doivent désormais percevoir 92% de leur paie, au lieu des 85% auxquels elles avaient droit avant leur grève. Barbara Castle s’engage à mener un projet de loi pour l’égalité salariale. 1969 sera l’« Equal Pay year ». Une loi qui sera le détonateur de changements dans divers pays européens et la brèche qui permettra à d’autres revendications féminines de voire le jour.
Le film de Nigel Cole n’est pas sans rappeler le dernier film de François Ozon, Potiche, qui abordait les mêmes thématiques dans une usine du Nord de la France. Pour plaider cette cause, le cinéaste britannique a opté pour une photographie sepia qui semble plonger les spectateurs dans les archives d’un dossier encore brûlant d’actualité dans bien des pays. Servi par une kyrielle d’acteurs brillants et judicieusement choisis, le film a tôt fait d’entraîner dans le sillage des revendications un public qui oublie rapidement qu’il s’agit d’une fiction, historique bien évidemment, et non d’un documentaire. Le film soigne tant les précisions historiques qu’il pourrait sans peine appartenir à ce genre. Le cinéaste a choisi ce sujet car il a grandi dans la région de Dagenham (Essex), à l’époque de la grève.

« We Want Sex Equality »
© Elite films

Pour la seconde fois, Nigel Cole signe un film féministe. Dans Calendar Girls, sorti en 2003, il avait mis en scène des femmes d’âge mûr du Yorkshire qui, lassées de passer leurs journées à faire des gâteaux en faveur des leucémiques, décidaient de poser nues pour récolter des fonds. Drôle d’œuvre de charité ! Les femmes de We want sex ont elles aussi un franc parler, une allure affirmée et un caractère bien trempé. Le réalisateur dresse d’ailleurs un parallèle entre les deux films : « Les deux films font la part belle à des femmes ordinaires qui se retrouvent impliquées dans quelque chose qui les dépasse et les fait évoluer. Elles apprennent à gérer des situations auxquelles elles n’ont pas l’habitude d’être confrontées. Le ton de ces longs métrages est très proche. Mais les femmes de Dagenham sont vraiment différentes de celles de Calendar Girls. » Avouons cependant que Rita, la meneuse de troupe, est un personnage imaginaire bien que s’inspirant de personnes ayant existés. Si cette fresque historique ne vous a pas encore convaincu, sachez que le film a remporté trois prix au festival de Dinard : le Hitchcock d’Or, le prix du meilleur scénario ainsi que le prix du public. Un film qui ne manquera pas de vous faire verser une petite larme !

Firouz-Elisabeth Pillet