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Film d’avril 2010 : “Shutter Island“

Le dernier Scorsese fait plonger le spectateur dans un monde de folie et de violence, mais avec quelle habileté !

Article mis en ligne le avril 2010
dernière modification le 26 novembre 2011

par Jérôme ZANETTA

Shutter Island


de Martin Scorsese, avec Leonardo DiCaprio, Mark Ruffalo, Ben Kingsley, Max Von Sydow.

Adapté du formidable roman éponyme de Dennis Lehane, auteur américain qui nous a déjà valu deux films remarquables avec Mystic River d’Eastwood et Gone, Baby, Gone de Ben Affleck, Shutter Island s’ouvre sur un plan de ferry en approche d’une île qui abrite un asile psychiatrique où vont débarquer deux marshals, Teddy Daniels et Chuck Aule, afin d’enquêter sur la prétendue disparition d’une patiente, Rachel Solando. Le mystère est total puisqu’elle s’est échappée d’une cellule fermée de l’extérieur et que le seul indice retrouvé dans ce lieu clos est un petit billet sur lequel on peut lire une suite de chiffres et de lettres indéchiffrables de prime abord.

« Shutter Island » avec Leonardo DiCaprio et Mark Ruffalo

Le film commence donc très fort et l’on est immédiatement plongé dans le décor subjuguant du grand chef décorateur Dante Ferretti (Casino, Le Temps de l’innocence) à la fois très organique et superbement baroque : bâtiments de briques, architectures gothiques, décors naturels expressionnistes qui rappellent manifestement des classiques comme Les Chasses du comte Zaroff, Le Cabinet du Dr. Caligari ou L’Ile du Dr. Moreau, voire certains décors hitchcockiens qui savaient aussi ajouter formellement à la tension ambiante. Sans oublier l’espace fascinant que propose le dédale vertigineux du bâtiment C, là où les cas les plus dangereux sont retenus, et qui apparaît comme un accès obligé aux derniers cercles de l’enfer psychique du lieu, entre Piranèse, Goya et Castellucci. En route donc vers les abysses de la folie, que tente d’éclairer brillamment Robert Richardson. Vous êtes avertis, nous sommes là dans un véritable film de genre, une mélodrame horrifique, souvent excessif, mais très personnel et qui joue sans cesse, à distance, avec l’histoire du cinéma, l’histoire de la violence au cinéma, de la violence historique générée par l’humanité et qui emporte tout sur son passage, jusqu’aux confins de la folie humaine, de nos subconscients lorsqu’ils deviennent convulsifs. Or, le héros parvient à nous toucher lorsque l’on se rend compte qu’il va devoir se battre contre ses propres démons, et tenter de trouver une issue au dédale de sa propre folie engendrée par une culpabilité en quête impossible d’une rédemption.

« Shutter Island » avec Leonardo DiCaprio et Ben Kingsley

Comme toujours chez Scorsese, les personnages sont parfaitement construits, avec des acteurs revenus de l’enfer comme l’intriguant Ben Kingsley en médecin chef prônant des méthodes curatives fondées sur la mise en situation du patient, et le satanique Max von Sydow, son négatif, médecin réchappé des camps nazis qui hante le film de sa silhouette éternelle. Enfin, la présence soumise et contrôlée du “partenaire“, joué avec une grande justesse par Mark Ruffalo.
De plus, ce film est sans doute le long métrage le plus abouti de Scorsese depuis Casino (1995), même si les Infiltrés (2006) laissait déjà entrevoir le retour d’une inspiration éteinte depuis dix ans ! L’association DiCaprio-Scorsese semble cette fois parvenue à maturité, le jeu de l’acteur est plus riche, plus profond et plus tendu. Bien entendu, il ne s’agit pas de retrouver les années géniales DeNiro-Scorsese, mais Shutter Island nous laisse croire que le meilleur de la collaboration entre les deux hommes est à venir.
Quelques réserves aussi sur l’utilisation du flash-back chez Scorsese, qui parait souvent un peu énorme et poussif, mais qui finalement se révèle en accord avec l’esthétique baroque de ce film, puisque les images cauchemardesques qu’il véhicule sont comme des clichés fabriqués par l’inconscient du héros et que notre inconscient collectif reconnaît, sans doute comme ceux que le cinéma a lui-même fabriqué. Or, le spectateur va constater, lors du basculement qui s’opère à la fin du film, que ces images se retournent contre lui, avec une perversité délirante et vertigineuse, presque jouissive, quand la violence visible et invisible est paradoxalement belle, et que le doute surgit encore au moment du dénouement. Comme une expérience du spectateur vécue jusqu’au bout, celle du cinéma, car nous y sommes véritablement !

Jérôme Zanetta