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Rencontre au sommet : Bach - Buxtehude
Film d’avril 2010 : “Bach rencontre Buxtehude“

Le dernier film de Daniel Künzi retrace le périple de Bach, parti retrouver Buxtehude pour parfaire sa formation.

Article mis en ligne le avril 2010
dernière modification le 26 novembre 2011

par Rosine SCHAUTZ

La musique est, au fond, de la mathématique rendue audible.
Thomas Bernhard

En 1705, à l’âge de 20 ans, Jean Sébastien Bach qui désire parfaire sa formation artistique décide de se rendre chez le plus grand organiste allemand de son temps : Dietrich Buxtehude. Il parcourra à pied la petite distance qui sépare Arnstadt de Lübeck (400km), traversant presque toute l’Allemagne pour arriver enfin chez le maître. Bach qui n’avait demandé qu’un congé d’un mois au consistoire de son église ne rentrera en Thuringe que quatre mois plus tard. A son retour, il apparaît si transformé que les paroissiens ne le reconnaissent plus, ne comprennent plus sa musique, et vont jusqu’à lui reprocher de jouer trop longtemps et surtout de troubler l’assistance par des modulations étranges, nouvelles, différentes.
Le film de Daniel Künzi veut retracer le voyage de cet homme venu chercher un savoir et une sorte de filiation auprès d’une véritable figure de la musique baroque, et donner à voir, à entendre, cette musique si proche de celle que l’on connaîtra de Bach. Le spectateur voit ainsi le jeune héros traverser les paysages de cette Allemagne aux ciels sombres et menaçants, et déjà pleins de promesses romantiques, et entre au cœur même de la musique de Buxtehude, fraîche, claire, ruisselante, et disons-le d’emblée, tout à fait accessible aux auditeurs non ‘spécialisés’.
Film de cinéaste donc, et non simple reportage documenté, mais surtout film de musicien, sur un musicien un peu méconnu et avec un musicien au talent déjà international : Francesco Tristano Schlimé. Ici, le jeune prodige joue avec élégance et sobriété en première mondiale au piano, et non à l’orgue ou au clavecin, sous nos yeux émerveillés, les longues suites et variations de Buxtehude qui annoncent peut-être déjà par endroits les incomparables Goldberg. Film à ‘écouter’ des yeux en se laissant hypnotiser par les fines mains souples du pianiste qui courent, fluides, sur un clavier presque vivant.

Entretien


Quelle a été la genèse de ce film ? Comment décide-t-on un jour de filmer ‘des sons’ ? On vous connaissait pamphlétaire, militant ou polémiste, on ne vous savait pas musicien…
J’ai toujours voulu faire un film sur la musique. Le premier que j’avais en projet portait sur Aurèle Nicolet, célèbre flûtiste suisse, mais à l’époque, je n’ai pas réussi à trouver de financements, et donc j’ai laissé tomber. Ces dernières années, j’ai fait des documentaires historiques, une douzaine, mais je gardais en moi l’idée d’un film musical. J’aime beaucoup la musique contrapuntique, la musique organisée, y compris la musique sérielle, et j’ai pensé que si Bach avait déjà été maintes fois célébré, il n’en était rien de Buxtehude. Je me suis donc ‘attaqué’ à ce compositeur précurseur de Bach, dont on n’avait encore jamais joué les œuvres au piano. Puis, il y avait cette légende déjà romanesque dans son essence, Bach va à pied rencontrer Buxtehude… Légende, car en fait on ne connaît quasiment rien du séjour de Bach à Lübeck, mais il n’est pas interdit de se l’imaginer. Dans les archives d’Arnstadt, on trouve mention, en quelques phrases, du congé demandé par Bach au consistoire. Et l’on sait qu’il est revenu de son séjour totalement transformé. Est-ce par Buxtehude ? A-t-il rencontré une femme ? Tout est ouvert.

Francesco Tristano Schlimé

Comment travaillez-vous ? D’abord un scénario ? D’abord une image ?
Le film était un prétexte pour jouer cette musique de Buxtehude sur un piano, un instrument moderne. Il existe des versions au clavecin, sorties ces dernières années, mais au piano, c’est une première.
L’idée de ce projet, c’est avec Marthe Keller que je l’ai eue, qui voulait retravailler avec moi. J’ai pensé à un film mettant en scène la fille de Buxtehude qui raconterait le Bach qu’elle avait connu, et qui jouerait la musique de son père. Mais je n’ai pas trouvé d’argent pour cela. Puis, j’ai eu l’idée d’une voix off qui raconterait cette histoire, tout en jouant la musique de Buxtehude. L’ossature était là, c’était la musique tout simplement. Après, j’ai pensé que Marthe Keller pourrait jouer le rôle d’une musicologue qui découvrirait un manuscrit, mais c’était difficile à organiser, car il fallait trouver un musicien. Et là encore, les financements étaient difficiles à réunir. Puis, à la faveur d’un article paru dans Le Monde, j’ai découvert Francesco, qui venait de sortir un disque de Frescobaldi au piano, salué comme exceptionnel. J’ai acheté le disque, et j’ai tout de suite été conquis par sa pulsion, son sens musical. Je suis donc allé à un de ses concerts où il improvisait dans le genre de la musique instrumentale. J’ai tout de suite voulu l’enregistrer pour voir si ça pouvait donner ce que je souhaitais. Puis il m’a fallu des images, des plans de Lübeck, et je voulais qu’on voie le voyage à pied. J’ai également fait une sorte de pari : je tenais à susciter par les images une atmosphère cosmique, correspondant aux préoccupations philosophiques et atemporelles de Buxtehude, qui composa une Suite pour chacune des planètes connues de son temps. Après, j’ai eu besoin d’un décor visuel, de paysages appropriés, signifiants. Et, en fin de tournage, on est allés à Hambourg filmer le portrait de Buxtehude par Johannes Voorhout, mais en fait, on ne sait pas exactement qui est Buxtehude sur le tableau : l’homme de droite ou celui de gauche. Les spécialistes hésitent…

Quand avez-vous tourné ?
En 2008-2009, en plusieurs bouts. Car en fait, une fois monté, j’ai dû reprendre certaines scènes, retoucher, retoquer mon film, et refaire quelques plans.

Qu’est-ce que faire du cinéma pour vous ?
Pour moi, faire du cinéma c’est mettre des émotions en image, et lire des visages. C’est lire les émotions qui passent sur les visages des personnages. C’est filmer la vie “telle qu’elle est“, c’est-à-dire comme je la surprends ou la provoque.

En quoi votre film est-il révolutionnaire ?
Pendant longtemps les clavecinistes avaient le monopole des œuvres de baroqueux, mais depuis la fin de la seconde guerre mondiale, on joue Bach au piano, et beaucoup d’œuvres baroques pour clavecin au piano. En cela peut-être Buxtehude rencontre Bach est un film iconoclaste, et ‘anachronique’, donc dans un certain sens moderne et qui sait, révolutionnaire.

Propos recueillis par Rosine Schautz