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Film d’avril 2009 : “Welcome“

Avec Welcome, Philippe Lioret signe un film qui traite des destins tragiques des émigrés clandestins, agglutinés sur les places du Pas-de-Calais, et offre un rôle magnifique à Vincent Lindon.

Article mis en ligne le avril 2009
dernière modification le 5 décembre 2011

par Firouz Elisabeth PILLET

Welcome


de Philippe Lioret, avec Vincent Lindon, Firat Ayverdi, Audrey Dana, Derva Ayverdi. France, 2009.

Deux ans après son magnifique film intimiste Je vais bien ne t’en fais pas et son succès justifié, couronné par deux césars, le metteur en scène Philippe Lioret sera à Genève pour la sortie de son nouveau film, Welcome. L’histoire, centrée sur Simon (époustouflant Vincent Lindon), maître nageur à la piscine de Calais, ouvre une brèche sur les destins tragiques des émigrés clandestins, agglutinés sur les places du Pas-de-Calais, depuis que les centres d’accueil ont été fermés. Simon, pour impressionner et reconquérir sa femme Marion (Audrey Dana), bénévole qui passe son temps à distribuer soupes et couvertures aux clandestins, prend le risque d’aider et d’héberger un tout jeune réfugié kurde irakien qui veut traverser la Manche à la nage... pour rejoindre Mina, la femme de sa vie.
Alors que la Grande-Bretagne a fermé complètement ses frontières aux clandestins, des réfugiés venus des pays de l’Est et du Moyen-Orient s’entassent dans les environs du port de Calais. Bilal fait partie de cette masse humaine, exploitée par des passeurs peu scrupuleux.
Surnommé Bazda (le coureur) pour l’agilité de son jeu de jambes au football, Bilal est convaincu de pouvoir entrer au sein du prestigieux club de Manchester United. Voilà quatre mois qu’il a quitté le Kurdistan irakien, torturé dans les geôles turques, traversant l’Albanie accroché sous les convois ferroviaires, puis l’Europe pour rejoindre l’ultime point de passage avant l’Eldorado rêvé. Il ne lui reste que le canal de la Manche et ses redoutables courants à braver pour retrouver Mina, celle qu’il aime, partie de son pays légalement grâce à son père, qui vit en Angleterre depuis quelques années et l’a promise en mariage à un cousin.

« Welcome » de Philippe Lioret

Pour Bilal, il s’agit d’arriver à temps pour sauver sa dulcinée d’un mariage arrangé. Aidé par ses compatriotes qui tentent eux-mêmes la traversée cachés dans des camions de marchandises, Bilal ne supporte pas le sac en plastique maintenu sur son visage et se met à tousser alors que les douaniers vérifient le taux de gaz carbonique contenu dans les camions. Refoulé, il erre dans les rues de Calais pour trouver une solution et décide de s’inscrire aux leçons de natation de Simon, un quadragénaire en instance de divorce. Ce dernier, dans l’espoir de reconquérir sa femme qui s’investit dans des associations venant en aide aux clandestins, décide d’aider le jeune homme, au mépris des lois. Pour la première fois Simon s’intéresse à l’autre, à l’étranger, un voyage qui lui permettra de s’interroger sur lui-même. Un voyage d’introspection et de cheminement personnel telle une épreuve initiatique qui ne parviendra peu-être pas à ramener Marion mais qui permettra à Simon de se découvrir des qualités insoupçonnées : la générosité, l’altruisme, la bravoure, l’abnégation, le don de soi. Même son entourage en est médusé. Des qualités et une profondeur humaine dont Simon lui-même se croyait incapable.
Ces deux heures de films passent sans que l’on s’en rende compte, avec une réelle intensité et une telle densité que le film poursuit le spectateur bien au-delà de la projection. Welcome aborde un sujet tristement actuel par le biais de l’anecdote, celle du refus de laisser
entrer deux étrangers clandestins, qui ne désirent qu’acheter du savon pour se laver, dans un supermarché : le racisme latent d’une population française – mais qui pourrait être suisse (on songe à la campagne UDC, ses moutons noirs et ses corbeaux !), espagnole (les mojados, ces dépouilles de clandestins africains subsahariens et maghrébins rejetés à la mer depuis les côtes andalouses), italiennes (les conditions sanitaires terrifiantes des centres de Lampedusa, Bari, etc.) – qui se refuse à voir la précarité dans laquelle sont placés ces clandestins. Un bref clin d’œil au discours sarkozien rappelle que tout Français qui apporte son aide est punissable ; bien que ces clandestins soient légalement libres, ils ne peuvent bénéficier d’aucun soutien. Un paradoxe insurmontable pour ces hommes, ces femmes et ces enfants qui, même s’ils désiraient rentrer sur leurs terres, ne peuvent faire le chemin inverse, leurs maigres économies ayant été épuisées par les passages élevés à payer à chaque frontière.
Philippe Lioret a choisi de confier le rôle de Simon à Vincent Lindon, magnifique, sachant exprimer avec d’infinies subtilités l’évolution de son personnage. Lui donnant la réplique, Firat Ayverdi ne se destinait pas au métier d’acteur mais se révèle remarquable et sera très certainement à nouveau sollicité par le septième art. Les deux acteurs parviennent à établir une réelle complicité père-fils, tangible à l’écran, qui intensifie les émotions. Le film laisse une impression d’oppression, presque salutaire, et bouleverse nos certitudes. Sans prendre de risque inconsidéré, on peut affirmer que Welcome s’annonce comme l’un des films les plus marquants de l’année 2009.
A voir – et revoir – sans modération !

Firouz-Elisabeth Pillet