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Film d’avril 2009 : “Tokyo Sonata“

Kiyoshi Kurosawa change de registre et braque sa caméra sur le Japon contemporain.

Article mis en ligne le avril 2009
dernière modification le 29 octobre 2011

par Frank DAYEN

Tokyo Sonata


(long-métrage de fiction, Japon, 2008) de Kiyoshi Kurosawa, avec Teruyuki Kagawa, Kyoko Koizumi, Yu Koyanagi, Kai Inowaki… (119 minutes)

Oubliez Cure (1997), Charisma (1999) et Retribution (2007) et les sueurs froides que ces films provoquaient. Kiyoshi Kurosawa vire de bord, prend de la distance, et braque sa caméra sur le Japon contemporain. A 54 ans, le réalisateur de Kobe propose le film le plus sérieux – voire le plus politique – de sa carrière (une bonne trentaine de long-métrages). Au final, Tokyo Sonata ne s’avère pas moins horrifique que le reste de sa production cinématographique.
Tout part d’un doute : «  Parmi les nombreux cadres qui partent travailler chaque matin, une grande partie d’entre eux est au chômage », risque le clairvoyant cinéaste. « Depuis toujours, les pères japonais préservent leur autorité sur leur famille en faisant de leur vie extérieure un mystère que la famille ne doit jamais percer. » Voilà pour la thèse : la confusion humaine règne dans la famille nippone d’aujourd’hui, une confusion que ne connaissait pas le XXe siècle. Qui est responsable de cette évolution ?, c’est ce que se demandent chacun des personnages du film.

« Tokyo Sonata » de Kiyoshi Kurosawa

D’abord, Monsieur Sasaki, pourtant directeur administratif, est viré en un claquement de doigts : délocalisation en Chine. Forcément, il n’ose pas avouer son échec à sa famille. Alors, toujours cravaté, il quitte son domicile aux heures de bureau tous les jours comme si de rien n’était. Faire la queue dans les escaliers de l’office de chômage, manger à la soupe populaire, nettoyer les chiottes des grands magasins, il commence à connaître. Il accepte même d’accréditer le mensonge d’un camarade auprès de son épouse : celui-la la tuera avant de se suicider. Et Madame Sasaki ? Femme au foyer modèle, elle ne se doute de rien. Jusqu’au jour où elle surprend son mari désœuvré parmi d’autres chômeurs. C’est à ce moment qu’elle est kidnappée, suite à un cambriolage qui tourne mal. Et les enfants Sasaki ? Le premier fuit sa famille, quitte son pays et s’engage dans l’armée américaine. Envoyé en Irak, puis rappelé au Japon, il souhaite rester au Moyen Orient, pour comprendre… Certainement de quel côté sont les innocents. Ou bien pour attendre que quelqu’un décide de son destin à sa place. Et le cadet Sasaki ? Contre une injustice en classe, il rapporte que le prof lit des bouquins cochons dans le train.
Conséquences : le maître perd toute autorité sur sa classe, et le petit Sasaki se sent de plus en plus seul. Il prend alors des cours de piano en cachette. Pour comprendre aussi… le mensonge et comment le gérer. D’une certaine manière, chaque membre de la famille Sasaki meurt : le père déshonoré renversé par une voiture – une liasse de billets trouvés grâce à la providence n’y changera rien, elle finira dans une boîte d’objets perdus –, la mère enlevée suicidée, l’aîné qui a fui se complait dans une issue incertaine, et le petit dernier passe une nuit en prison.
Contre ce nouveau constat que la famille japonaise d’aujourd’hui est morte pour chacun de ses membres, Kurosawa ressuscite. Il ressuscite même ses personnages qu’on croit finis, usés, tués : le père se relève de sa chute, la mère revient au foyer pour faire à manger, l’aîné donne des nouvelles de lui, et le cadet, grandissant, se révèle un musicien virtuose. Le cinéphile regrettera ces résurrections, tellement Kurosawa l’avait habitué aux fins glauques. Mais on approuvera cet l’optimisme bienvenu dans la crise actuelle.

Frank Dayen