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Film d’avril 2008 : “Il y a longtemps que je t’aime“

Coup d’essai fort réussi et abouti pour Philippe Claudel.

Article mis en ligne le avril 2008
dernière modification le 3 mars 2012

par Firouz Elisabeth PILLET

Il y a longtemps que je t’aime


de Philippe Claudel, avec Kristin Scott Thomas, Elsa Zylberstein. France, 2008.

Pendant 15 années, Juliette n’a eu aucun lien avec sa famille qui l’avait rejetée. Alors que la vie les a violemment séparées, elle retrouve sa jeune sœur, Léa, qui l’accueille chez elle, auprès de son mari Luc, du père de celui-ci et de leurs fillettes. Le mystère plane autour de cette absence prolongée ; certains, tels le grand-père et les fillettes, accueillent Juliette sans question ni réticence ; d’autres marquent leur désapprobation sur une tranche de vie qu’ils croient connaître.

« Il y a longtemps que je t’aime », avec Elsa Zylberstein et Kristin Scott Thomas
© Thierry Valletoux / UGC

Présenté en février 2008 lors de la 58e édition du Festival International du film de Berlin en compétition, Il y a longtemps que je t’aime marque un coup d’essai fort réussi et abouti ; pour cause avant d’être cinéaste, Philippe Claudel est écrivain. Il a été remarqué grâce à ses romans, dont Les Ames grises, pour lequel il a reçu le prix Renaudot (adapté au cinéma par Yves Angelo), La petite fille de Monsieur Linh et plus récemment Le rapport de Brodeck. Il explique son choix de se lancer dans le Septième Art : « Qu’elles naissent grâce à des mots, de la pellicule ou des peintures – j’ai beaucoup peint à une époque de ma vie, les images m’intéressent. J’aime approfondir le monde avec elles, l’éclairer, l’interroger par leur intermédiaire, lui donner un reflet. Je suis depuis toujours un amoureux du cinéma. (...) C’est très compliqué de faire un film, ça demande tellement d’énergie, de temps, d’argent,on ne peut pas s’engager à la légère. C’est beaucoup plus épuisant que d’écrire. (...) Il faut avoir – et là je parle pour moi – un sujet qui profondément nous habite, pour pouvoir supporter tout ça, pour que le désir reste intact, flamboyant, vital. Ce qui a été le cas avec cette histoire-là. »
Toutes les passions de l’artiste transparaissent dans cette œuvre, aussi bien la touche picturale que le plaisir des mots qui sert des dialogues savamment dosés, qui dévoilent sans déflorer un secret qui maintient la tension et le mystère. Les personnages sont servis par une photographie à la fois lumineuse et délicate, qui met en valeur les sentiments, et le duo d’actrices, magnifiquement interprété par Kristin Scott Thomas et Elsa Zylberstein, resplendit de grâce et de subtilité.

Philippe Claudel n’en est pas à son coup d’essai. S’il passe pour la première fois derrière la caméra, il a déjà officié pour le petit écran en tant que scénariste de la série Chez Maupassant, et a écrit pour le cinéma les scénarii de Sur le bout des doigts (2002) d’Yves Angelo, et Les Ames grises, d’après son propre roman, avec Jean-Pierre Marielle et Jacques Villeret.
Le thème de l’enfermement et de l’incarcération tenait beaucoup à cœur à Philippe Claudel qui est en effet familier avec l’univers carcéral, puisqu’il a été professeur en prison pendant onze ans. L’originalité de sa démarche réside dans le fait qu’il montre les conséquences et les séquelles laissées par une incarcération. Avec délicatesse, par effleurements subtils, Claudel s’attache à montrer les épreuves tant sociales, professionnelles que psychologiques de la réinsertion. Philippe Claudel connaissait Elsa Zylberstein – à qui il a réservé le rôle de Léa – depuis longtemps. Il n’avait pas écrit le rôle de Juliette spécialement pour Kristin Scott Thomas.

« Il y a longtemps que je t’aime », avec Kristin Scott Thomas
© Thierry Valletoux / UGC

Un choix qu’il ne regrette pas, au contraire : « Kristin a un très grand talent et en même temps le rôle était écrit pour que le personnage soit ainsi. Il y a eu une belle adéquation entre son talent et le personnage qu’elle devait interpréter. J’ai pris plaisir aussi à lui donner parfois plusieurs directions de travail pour une même scène (...) Elsa est tout aussi impressionnante. Cette gaucherie dont elle fait preuve, cette fausse gaieté, ce visage souriant mais qui sans cesse menace de se fissurer sous la poussée des larmes. » L’actrice est troublante de véracité, oscillant entre absence inquiétante et présence troublante. Le film tout entier repose sur son personnage, à la fois énigmatique et asocial, qui suscite nombre de questions insistantes et indélicates.

Le tournage d’Il y a longtemps que je t’aime a été réalisé à Nancy, dans la Meurthe-et-Moselle, une région peu fréquente dans les films français mais une ville filmée avec affection par Philippe Claudel qui la connaît bien, et avec laquelle il entretient des liens étroits puisqu’il y a exercé en tant maître de conférences à l’Université de Nancy où il enseigne à l’Institut Européen du Cinéma et de l’Audiovisuel.

Son premier long métrage a su regrouper tous ses centres d’intérêt, ses passions, ses modes d’expression, dans un savant mélange qui séduira tant par la problématique que par l’interprétation, tant par le fond que par la forme.

Firouz-Elisabeth Pillet