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Festival de Gérardmer 2011
Festival de Gérardmer 2011

Gérardmer 2011 : Schizophrénie, paranoïa, claustrophobie et autres joies de l’existence.

Article mis en ligne le mars 2011
dernière modification le 27 août 2011

par Colette FRY, David LEROY

Pour sa déjà 18ème année d’existence, le festival de Gérardmer nous invitait à une thématique furieusement psychanalytique. Le thème, comme tous ceux choisis par ce festival depuis sa création, indiquait davantage une couleur qu’un impératif thématique, même si la sélection reflétait effectivement une certaine tendance au repli sur soi.

L’horreur est en nous, se vrille dans nos esprits et affecte nos comportements. Elle serait au fond un problème individuel et non global. Dans la mesure où les réelles inquiétudes du moment résident davantage dans la peur de fléaux extérieurs : crise, pandémies, catastrophes naturelles que dans la crainte phobique, ce retour au psy avait tout d’un contretemps, à moins qu’il n’indiquât que les esprits malsains sont la conséquence d’un corps social malade.
Une spectatrice habituée du festival a eu le mot juste pour décrire cette sélection en la qualifiant de festival des « films presque ». Aucun film n’a démérité et chacun d’eux proposait un univers intriguant qui justifiait sa présence, mais la plupart pêchaient à un moment ou à un autre par un problème de scénario ou une incongruité psychologique finissant par gâcher la construction narrative mise en place.

« Bedevilled » de Jang Cheolsoo

«  Bedevilled  » de Jang Cheolsoo, le grand prix du Festival présidé par Dario Argento, prend un parti narratif osé en changeant de personnage principal après un tiers de film. Nous partageons d’abord le point de vue d’une jeune coréenne très belle et extrêmement antipathique qui considère le monde sous l’angle d’un rapport de force financier et se refuse à tout acte de solidarité. La belle indifférente arrive sur une île de son enfance où elle retrouve une amie perdue de vue et demandeuse d’affection. A peine arrivée, la belle passe son temps à dormir, tandis que son amie subit à peu près tout ce qu’une femme soumise au seul bon vouloir des hommes et d’une belle famille complaisante peut endurer d’humiliation et de dégradation. On attend un réveil, un signe… mais non, notre néolibérale de charme continue de se contreficher de la situation jusqu’à ce que son amie sorte de sa docilité et passe à l’action violente. Le film trace avec une conviction envoûtante les conditions de ce passage à l’acte et rend palpable cette oppression en l’ancrant dans la réalité des gestes de la communauté et dans la géographie même de cette île hostile. La photo légèrement surexposée brûle nos regards comme la peau tannée de la femme exploitée. Le chef-d’œuvre se dessine mais le syndrome du « film presque » frappe. Une complaisance à l’égard de la violence (ce qui est une marque de fabrique un peu agaçante de nombreux films asiatiques), quelques trous béants du scénario, une confrontation finale désincarnée du propos et une narration de nouveau portée par l’héroïne initiale, qui a dans l’intervalle cessé de nous intéresser, accule le film à trois ou quatre fausses fins successives. Le monteur aurait dû trancher son film avec autant d’énergie que la paysanne révoltée les corps de ses ennemis.

« I Saw the Devil » (J’ai rencontré le diable), de Kim Jeewoon

L’autre film coréen de la sélection, «  I saw the Devil  » de Kim Jeewoon, prix de la critique, explore la thématique récurrente en Corée de la vengeance et confronte un tueur en série à la vengeance tenace d’un jeune policier, fiancé d’une de ses victimes. Une mise en scène très précise dans son premier tiers qui n’est pas sans rappeler « Zodiac » de David Fincher laisse place à une succession de scènes de tabassage qui renvoie dos à dos le tueur et sa nemesis. La répétition de ce jeu de chat et de souris enferme le film dans un enjeu purement cinématographique très séduisant mais qui distille un ennui similaire à celui que peuvent susciter les films de Park Chan-woo (« Old Boy » notamment) et qui pose la question de la place du spectateur face à un objet aussi satisfait de lui-même. « I saw the Devil » prend néanmoins un tour narratif intriguant quand le tueur en série s’avère d’une résilience à faire pâlir Cyrulnik, nous ramenant à la logique cartoonesque des héros de Tex Avery, indestructibles et reprenant quasiment leur forme initiale malgré les lacérations et déformations de leur corps. Il aurait fallu un cinéaste du délire comme Miike pour rendre ce projet véritablement cohérent dans ce virage. Ici, la perte de sens trahit plus une perte de maîtrise du film qu’une volontaire entrée dans l’antre de la folie.

«  Mirages  » de Talal Selhami a failli être la bonne surprise du festival. Film marocain profondément ancré dans la réalité du pays et exploitant magnifiquement sa géographie. Il confronte des cadres en recherche d’emploi qui, suite à un accident de la route, se retrouvent en situation de survie dans le désert et se demandent s’ils sont soumis à un ultime test d’embauche. Malheureusement le scénario n’exploite pas de manière cohérente le potentiel fantastique des mirages du titre. Notons néanmoins un casting irréprochable et un vrai pouvoir de séduction des dialogues marocains, mélange de français et d’arabe, qui sonnent juste d’un bout à l’autre de cette presque belle surprise.

« The Loves Ones » de Sean Byrne

Saluons pour finir la performance de «  The Loved Ones  », le film australien de Sean Byrne. Ancré dans le genre honni du survival movie qui a donné tant de navets depuis « Last House on the left » de Wes Craven, ce bijou d’humour très très noir et de précision scénaristique nous offre un portrait original de tueuse psychopathe et de son papa chéri. Robe rose, boule à facette, langue de chat, tout le décorum de la soirée de promotion américaine comme cadre de turpitudes insensées. Sean Byrne a créé le torture porn acidulé. Le film nous gratifie de plus d’un sympathique message paradoxal : seules les familles dysfonctionnantes sont normales. Il fallait oser.

David Leroy & Colette Fry

Grand Prix :
 « Bedevilled » de Jang Cheolsoo
Prix du Jury :
 « Somos lo que hay ») de Jorge Michel Grau (Mexique)
 « The Loved ones » de Sean Byrne (Australie)
Prix de la critique :
 « I saw the devil » de Kim Jeewoon (Corée du sud)