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Festival de Gerardmer 2007

Analyse et palmarès du dernier festival de Gerardmer.

Article mis en ligne le mars 2007
dernière modification le 17 juin 2007

par David LEROY

Le festival de Gérardmer, successeur d’Avoriaz, revient pour la quatorzième fois communier avec son public, définitivement fidélisé. Il serait facile de
pointer çà et là les dysfonctionnements et les approximations, mais il serait injuste de s’y arrêter sans reconnaître que le festival vosgien a su s’adapter aux contraintes de budget et à la raréfaction des stars du genre avec
une réussite certaine.

Même si Gérardmer souffre de la comparaison avec le Festival de Neuchâtel et ses programmations audacieuses, il a acquis, par sa longévité, une capacité à rendre compte d’une géographie du cinéma fantastique finalement contrastée, protégée des effets de mode et des redites.
Cette année encore, la sélection n’a pas mis la main sur le chef-d’œuvre indiscutable, mais a préféré rendre compte de manière cohérente de la solidité du genre. C’est sans surprise qu’Hollywood n’y était pas représenté, affirmant son désintérêt pour une légitimation autre qu’économique. Il n’est pas question de s’en plaindre. Les films fantastiques issus des grandes maisons de production américaines se bornent de plus en plus à recycler les codes maintenant développés par les laboratoires à idées que sont devenues les séries de télévision et les films étrangers, asiatiques en particulier.
Dans ce panorama du film de genre, le slasher ressuscité par « Scream » est toujours en grande forme. De jeunes et beaux collégiens sont poursuivis et mis à mort par un maniaque masqué, omniprésent et insaisissable. L’identité du tueur et ses motivations tiennent en haleine le spectateur qui prie pour ne pas être trop déçu par la révélation finale tout en sachant qu’il le sera probablement. Le caractère fortement programmatique de ce sous-genre a pour conséquence qu’il est souvent dénigré même par les amateurs de fantastique. Film avec des adolescents pour des adolescents, il ne bénéficie pas de reconnaissance critique, bien qu’il reste un succès constant aussi bien en salles qu’en location. Pourtant « Cry Wolf » de Jeff Wadlow et
« In Drei Tagen Bist Du Tot » de Andreas Prochaska parviennent à retenir l’attention. Le premier bénéficie d’un scénario habile : suite à un meurtre dans un village près d’un campus, des étudiants lancent par Internet la rumeur qu’un tueur en série rôde dans le coin et va suivre un mode opératoire précis les mettant en danger. Le canular tourne au drame quand la rumeur devient réalité. Dans un plan révélateur du dispositif du film, les mots circulant sur le net tourbillonnent et forment peu à peu l’image du tueur. La qualité des retournements de situation et une révélation finale relativement surprenante fait presque pardonner la platitude de la mise en scène et les inégalités du casting. Un mot spécial pour Lindy Booth, parfaite en garce innocente.
Plus consistant dans sa mise en scène, « In Drei Tagen… » confesse sans complexe sa totale absence d’originalité scénaristique. « Vendredi 13 » y étant ouvertement pillé et considéré comme film séminal. Cette posture permet à son auteur de se concentrer sur son propos. Est-il possible de filmer des histoires de genre sur un territoire européen, en l’occurrence l’Autriche, sans y perdre son authenticité ? La question n’est pas sans importance pour la Suisse où le discours officiel actuel tend vers cette logique. Andreas Prochaska donne une réponse convaincante par la qualité de la direction de ses jeunes acteurs. Une certaine réalité de la jeunesse autrichienne se dessine peu à peu au travers de son histoire sans oublier une réflexion cohérente sur la question de la responsabilité. Eût-il disposé d’un scénario un peu moins prévisible qu’il aurait sans doute réussi parfaitement sur tous les tableaux.

« Den Brysomme Mannen » de Jens Lien

Les films de pure brutalité qui avaient fait un retour important l’année passée avec des œuvres aussi perturbantes que « Wolf Creek » et
« Hostel » laissaient présager un retour en force de ce que certains appellent déjà le « torture porno ». La violence indéniable de ces films est moins inquiétante que le fait qu’ils entrent sans autre question dans le circuit standard de production hollywoodien. Ainsi « Massacre à la Tronçonneuse : Le Commencement » bénéficie d’un budget et d’une qualité de production soignés qui tranche avec le caractère volontairement amateur et organique de l’original réalisé par Tobe Hooper. Michael Bay, le réalisateur de Pearl Harbor est à la production et permet au jeune Jonatan Liebesman de plonger sa caméra dans un bain de sang et de violence assez inédit. Si la qualité d’un film se résumait par la réussite de ses composantes, « Massacre à la Tronçonneuse : Le Commencement » est sans nul doute un film parfait. Le récit est d’une intense efficacité dramaturgique et les acteurs éprouvants de réalisme. Mais le film se fend d’une évocation non exploitée de la guerre du Vietnam, histoire de réconcilier avec les préoccupations politiques du modèle original. Cette tentative avortée révèle la vacuité du projet. Si les films d’horreur violents ont marqué les esprits dans les années 70, c’est qu’ils révélaient autant les failles de l’Amérique contemporaine que les contradictions de l’époque. Les films de violence actuels semblent totalement déconnectés de cette préoccupation (à l’exception de « Hostel » d’Eli Roth) et offrent par leur déchaînement de violence la vision d’un cauchemar masochiste d’une Amérique prêt à débusquer un nouvel axe du mal. Difficile de renoncer d’avantage à toute pensée organisée.
Dans cet enfer de réalisme mortifère, la poésie décalée du film norvégien « Den Brysomme Mannen » de Jens Lien, déjà remarqué à Cannes, le destinait à être le gagnant du Festival. Dans un purgatoire, un homme est plongé dans un univers où les besoins matériels et sociaux sont réalisés mais où sont bannis les notions de risque, de goût et de plaisir. La critique du modèle social scandinave est évidente mais ne constitue pourtant pas la partie la plus convaincante du film tant ce modèle apparaît encore à nos yeux comme moins menaçant que l’ultra libéralisme qui domine actuellement. Par contre, le propos fait mouche lorsqu’il évoque la solitude d’un homme plongé dans un tissu de relations sociales vidés de tout affect et psychologie. En ce sens, l’évocation de ce monde de bonheur froid sorti du catalogue IKEA donne un vrai frisson. Servi par une interprétation impeccable de Trond Aurvaag, Jens Lien nous plonge dans un monde déshumanisé tout en nous faisant prendre conscience que ce monde est déjà notre réalité. Faut-il en accuser le modèle social scandinave ou constater que la logique consumériste de l’économie globale mène au même résultat ? Ce n’est pas le moindre des mérites de ce film que de soulever ces questions.

David Leroy

Palmarès : Grand Prix, Prix de la Critique Internationale : "DEN BRYSOMME MANNEN" de Jens Lien (Norvège).
Prix du Jury : "BLACK SHEEP" de Jonathan King (Nouvelle Zélande), "FIDO" de Andrew Currie (Canada)