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Festival international du Film des Droits Humains
Entretien : Zabou Breitman

Discussion à bâtons rompus avec une jeune femme chaleureuse.

Article mis en ligne le avril 2011
dernière modification le 23 avril 2011

par Firouz Elisabeth PILLET

Cette année, le FIFDH – Festival international du Film des Droits Humains - , qui s’est déroulé du 3 au 13 mars 2011, accueille dans le jury : l’écrivain espagnol Jorge Semprún (président du jury), l’actrice et réalisatrice française Zabou Breitman, le cinéaste turc Hüseyin Karabey, l’historienne et journaliste franco-tunisienne Sophie Bessis ainsi que le cinéaste iranien Jafar Panahi, condamné à six ans de prison dans son pays. Le FIFDH lui réservera, quoi qu’il advienne, son fauteuil de juré. Entre deux projections, Zabou Breitman a parlé de son actualité cinématographique comme théâtrale.

Le Festival rend hommage aux absents, muselés dans leur pays, comme le cinéaste iranien Jafar Panahi, et l’avocat syrien Haytham Al-Maleh ; qu’en pensez-vous ?
Tout ce qui peut être fait dans le domaine artistique, c’est aussi de l’engagement, ce qui ne signifie pas forcément aller prendre les armes et descendre manifester dans la rue ; l’engagement se passe à tous les niveaux. Avoir la conscience des injustices en fait partie, nommer ces injustices aussi. Il ne faut pas que les gens se disent qu’à leur échelle ils ne peuvent rien faire. On peut agir à n’inporte quel niveau, s’engager, dénoncer, ou simplement en être conscient. Le fait que le FIFDH conserve un siège vide pour Jafar Panahi, membre du jury, est un acte extrêmement symbolique mais au-delà du symbole, c’est un acte fort pour préciser que tous les gens qui sont présents à Genève, qui étaient à Cannes, ou n’importe où dans le monde, signalent qu’il y a une injustice, une incohérence, quelque chose qui n’est pas admissible car la parole artistique est censée être libre. Malgré la censure du gouvernement iranien, j’espère que Jafar Panahi soit informé de cette manifestation. C’est identique aux documentaires où l’on voit défiler les gens portant des pancartes avec les noms des personnes mortes ou disparues ; bien évidemment, les disparus ne sont pas au courant, mais c’est la façon de ne pas oublier, de ne pas jeter leurs noms aux oubliettes, de conserver la mémoire, l’identité de ces personnes, qui est fondamental

Zabou Breitman
© Miguel Bueno

Et que pensez-vous de cette vague du printemps arabe ?
Le mouvement touche d’autres pays que le monde arabe – comme l’Iran – et a commencé en plein hiver mais je pense que parler de printemps arabe relève d’une licence artistique et poétique. Le printemps est symboliquement fort puisqu’il fait allusion au printemps de Prague. Le printemps arabe, cela pourrait être le tire d’un poème arabe, cela se retient. C’est important de nommer, et parler de printemps fait allusion à la saison du renouveau, de la renaissance, mais aussi aux jeunes, à toute cette jeunesse qui descend dans la rue manifester pour plus de liberté. C’est l’espoir du retour de la vie. Ce soulèvement véhicule un espoir, un élan.

D’après vous, comment se porte la création – cinématographique, télévisuelle – en Europe ?
Ce sont des univers différents, des lieux différents entre télévisions et cinémas. La plupart des télévisons étatiques sont formatées. Je viens de participer au festival de comme membre de Jury et on s’est posé la question de sa voir comment juger les cahiers des charges, qui diffèrent selon qu’il s’agit de TF1, France 2, France 3, ou Arte qui a une forme de liberté d’expression complète et qui recherche non le résultat commercial mais la qualité. Je n’apprécie pas du tout notre président actuel en France, ce n’est absolument pas mon univers ni mes orientations politiques mais reconnaissons que nous ne sommes pas à plain-dre en France. Au cinéma, on peut faire ce que l’on veut. Les artistes aiment sont bien lotis en comparaison à d’autres pays. En France, il existe une autocensure extraordinaire – certains artistes pensent qu’ils vont être aimés s’ils font telle chose – et beaucoup de gens se mettent à décider que cela sera mieux comme cela et que le public va aimer. C’est effrayant parce que l’artiste est beaucoup plus en lien direct avec les spectateurs que n’importe quel intermédiaire. Pour l’artiste, son premier interlocuteur est le lecteur, le spectateur ou l’auditeur. Or, aujourd’hui, il y a tellement d’intermédiaires que l’enfer est aussi dans les bonnes intentions… Souvent, les gens posent la question : « N’avez-vous pas peur que … ? » Je leur réponds que je n’ai pas peur car la peur empêche.

Quel est votre constat ?
Je pense que l’on assiste, de manière globale, à un nivellement par le bas. On affirme que les programmes proposés sont bien, puisqu’ils marchent ; je trouve cela effrayant car c’est une manière de bêtifier les gens, ce qui n’est pas la vocation première de la télévision de donner ce qu’il y a de plus facile, mais au contraire, d’élever. La télévision a tendance à s’uniformiser mais il existe encore de la créativité – je viens de participer comme membre du Jury au Festival de films de télévision de Luchon où j’ai vu de pures merveilles pour France Télévisions et Arte, il existe vraiment de grands talents.

Parlez-nous de la situation en France …
La contrainte imprime une démarche artistique supplémentaire, on le comprend aisément : comme on n’a pas le droit de montrer de manière frontale, on détourne, on a recours à la métaphore, la parabole, bref, tout ce qui n’est pas frontale est de bon aloi pour éviter de faire de la prison. En ce sens, on peut parler de contrainte dans la création artistique. En France, on a le cul entre deux chaises, si vous me permettez l’expression, car il y a un consensus – tout le monde est content, tout le monde est parfait. Mais je ne vais pas taper que sur les uns, je vais aussi taper sur les auteurs qui décident et dictent ce qui est bien et ce qui ne l’est pas ; par exemple, certains décident qu’il faut parler de choses graves avec un ton grave, je trouve cela exécrable. Je trouve qu’il faut, par exemple, rendre ses lettres de noblesse à la vraie comédie qui a été cataloguée comme un genre pour les gens pas très intelligents. Il faut qu’on retrouve la comédie digne de sa grande époque, celles des années 30, 40, 50, ces comédies étaient extrêmement irrévérencieuses – je pense à Francis Blanche, la partie drôle et poétique de René Clair, les surréalistes, Max Ophuls dans le registre plus lyrique et plus décalé… Il faut retrouver l’irrévérence, la distance, dont la comédie fait évidemment partie, comme Lubistch. C’est stupide de séparer la comédie de l’intellect, on peut parler de choses graves de manière drôle. On doit faire attention car on abandonne à des gens très mal attentionnés le genre de la comédie, de la légèreté. En tant que réalisatrice, et créatrice en général, je n’aime pas la contrainte ; il s’agit là de la grande différence entre les artistes européens qui ont leur cinéma d’auteurs et les Américains qui ont leur cinéma de producteurs.

« My Kidnapper » de Mark Henderson et Kate Horne
Section : Documentaires de création

Vous êtes partout : Théâtre, cinéma, festivals…. Prenez-vous du temps pour vous ?
C’est ça le temps pour moi. J’aime tout ce qui se fabrique. Ma passion, c’est fabriquer, au sens large du terme. Actuellement, j’aime surtout fabriquer des robes, des objets. Mon truc, c’est de créer avec de la Patafix des petits personnages, des monstres, que j’appelle des « dieux de la séquence » et que je glisse dans le décor des films que je joue. Ce sont mes petits grigris. Il y en a d’ailleurs un dans Je l’aimais. Ça désacralise un peu les choses. J’aime mettre la main à la pâte, donc la cuisine, le modelage. Pour moi, le comment est plus important que le pourquoi. Le résultat n’a pas d’importance – cela peut être une robe, un plat, un texte – ce qui m’importe, c’est la forme. Je me suis beaucoup ennuyée adolescente et j’en remercie le destin. Les jeunes d’aujourd’hui sont desservis en ce sens, ils sont sur-nourris, par les jeux, par internet, par leurs parents – qui redoutent que leurs enfants s’ennuient comme ils se sont ennuyés, eux, enfants. On donne alors qu’il n’y a pas de demande, c’est écœurant. La frustration est mère de créativité. Ils ne faut pas intervenir en permanence sinon les enfants n’ont pas l’espace suffisant.

Qu’avez-vous compris sur les acteurs depuis que vous êtes passée derrière la caméra ?
J’ai compris que c’est très bien d’être acteur. Je trouve dangereux d’être toujours dans la directio ; comme vous dirigez les autres, on veut demande toujours votre avis. J’étais déjà une actrice assez docile. Je le suis encore plus, car je sais combien c’est dur de mettre en scène. Mais mon regard sur les acteurs aussi a changé : je suis encore plus indulgente qu’avant avec eux. Si on les choisit, il faut leur faire confiance. C’est le rôle du metteur en scène de les aider. Planchon disait que, au bout d’un moment, si, sur scène, la magie ne prend pas, c’est la faute de la mise en scène. Je crois qu’il avait raison. Il fut un temps où les acteurs étaient très humbles, ils jouaient tous les registres sans rechigner, la tragédie ou la comédie, comme Annie Girardot dont le récent départ m’attriste profondément.

Votre actualité vous amène à prêter votre voix à la maman de Titeuf et au Théâtre de Vidy…
J’avais rencontré Zep et j’adore son travail, mon fils a lu tous les albums de Titeuf. J’étais nourrie à Tintin, que je connais par cœur, mon fils connaît Titeuf par cœur. Zep m’a aussi demandé de l’aider sur la direction d’acteurs. Je n’ai vu que l’animatic, pas encore le film mais j’ai adoré participer à ce projet de potes. Sinon, je me réjouis de revenir en mai au Théâtre de Vidy jouer La Compagnie des Spectres, de Lydie Salvayre, pendant six jours. C’est un travail énorme sur un texte prodigieux. Je suis heureuse de retrouver Vidy où j’ai mis en scène, la saison dernière, La Médaille, c’est une fable drôle et cruelle signée Lydie Salvayre ; grâce à eux, j’ai fait « Des Gens » qui a tourné pendant deux ans. Et sinon, je lis dès que j’ai du temps car la lecture m’a nourrie depuis mon enfance. J’ai été nourrie au polar, au fantastique, à la SF et aux grands romans, comme Hugo, Balzac.

Propos recueillis par Firouz-Elisabeth Pillet