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Coup d’éclat au FIFDH
Entretien : Tony Gatlif

Entretien avec le cinéaste Tony Gatlif, qui s’insurge avec vigueur contre les préjugés !

Article mis en ligne le avril 2010
dernière modification le 25 mai 2010

par Firouz Elisabeth PILLET

Invité au Festival international du film des Droits humains 2010 en tant que membre du Jury, Tony Gatlif apparaît bouleversé par les films qu’il visionne depuis quelques jours, abattu par tant de violence faite par des êtres humains à d’autres êtres humains.

« Les films projetés ne reflètent qu’une infime partie de la réalité », se lamente le cinéaste, grand défenseur de la cause tsigane. De père kabyle et de mère tsigane, Tony Gatlif connaît de l’intérieur la situation des minorités bafouées.

Votre film Liberté, qui relate la persécution des communautés tsiganes pendant la Deuxième Guerre mondiale, sort sur les écrans romands. Pourquoi avoir attendu tant d’années pour aborder ce sujet ?
Ma rencontre avec l’écrivain tsigane Matéo Maximov, il y a une vingtaine d’années, m’a amené à une réflexion sur ce sujet douloureux et occulté des livres d’histoires. Mon film sort maintenant tout simplement parce que c’est le bon moment pour les gens d’affronter cette triste réalité. Simultanément à mon livre, un autre film français, L’arbre et la forêt, de Jacques Martineau et Olivier Ducastel, sort dans les salles ; ce film aborde une autre page occultée de l’histoire française : les persécutions faites aux homosexuels français, eux aussi internés, maltraités, voire exterminés.

A travers votre film, on découvre que les communautés tsiganes ont subi un sort similaire à la communauté juive, étant fichés, filés et dénoncés ?
En effet, le fameux carnet anthropométrique permettait aux autorités françaises de Vichy de pister les itinéraires suivis par les Tsiganes qui étaient des citoyens français à part entière. A leur arrivée dans une commune, les Roms devaient faire tamponner le sceau de la mairie tout comme à leur départ. Cela a permis aux pétainistes de les ficher, puis de leur confisquer leurs biens – roulottes et cheptel – avant de les interner dans des camps. Il y a eu plus de quarante camps destinés aux Tsiganes français pendant 39-45. Le carnet anthropométrique équivaut à l’étoile jaune portée par les Juifs ; les Roms avaient, non pas un matricule, mais un “z“ tatoué sur leur peau. Citoyens français, intégrés jusqu’alors, les Roms se retrouvent soit contraints à accepter la sédentarisation, soit internés dans des camps avant d’être expédiés dans les convois à bestiaux pour les camps d’extermination.

« Liberté » de Tony Gatlif

Quel message souhaitez-vous transmettre aujourd’hui par le biais de votre film, mais aussi de votre livre (Liberté, co-écrit avec Eric Kannay, aux Editions Perrin, 2010) ?
L’heure n’est plus à la haine, ni à la vengeance ni à la rancune. J’ai choisi de faire un film du point de vue des Justes car, sous la présidence de Jacques Chirac, j’avais été invité à une cérémonie en mémoire aux communautés tsiganes françaises exterminées. J’ai été surpris de ne voir aucun Juste parmi l’assemblée réunie. J’ai alors mené mon enquête, entrepris des recherches et j’ai fini par retrouver des Justes, des Français qui n’avaient pas eu peur de prendre la défense des Tsiganes durant cette période. J’ai fait appel à Marc Lavoine pour incarner le “juste“ de mon film car c’est une personne bonne, généreuse et altruiste ; il était l’acteur idéal pour incarner un juste.

Lors d’une soirée que le FIFDH consacrait aux Roms, vous avez extériorisé violemment votre colère… Votre combat reste-il actuel ?
Ce qui m’attriste et me met en colère, c’est que les préjugés sont vivaces et tenaces. Les stéréotypes véhiculés au sujet des Roms demeurent identiques à ceux des années 40. On n’a rien appris de l’histoire qui se répète inlassablement. Même en Suisse, pays de la Croix Rouge, j’entends dire que l’on va appliquer une loi qui interdit la mendicité. J’ose espérer que la terre des Droits de l’Homme n’applique pas un tel outrage. La mendicité fait partie intégrante de l’humanité depuis que celle-ci existe : qui possède donne à celui qui n’a rien.

D’après vous, pourquoi ces préjugés persistent-ils malgré les leçons de l’Histoire ?
Ces préjugés sont entretenus et martelés depuis des décennies, enseignés dès l’école aux enfants, et appartiennent à une inconscient collectif. Il est difficile de changer les mentalités qui se sont nourries à la mangeoire du racisme et de l’intolérance depuis des lustres. La nécessité de changer les mentalités par l’éducation s’impose. C’est pourquoi, en plus de mon film et de l’ouvrage cosigné avec Eric Kannay, j’ai publié un manuel d’histoire qui sera distribué dans les établissements scolaires de l’enseignement public en France. Depuis des semaines, j’ai parcouru la France, me rendant dans des écoles pour expliquer cette page obscure de l’histoire de France et répondre aux questions des étudiants. Je revendique une volonté pédagogique dans ma démarche, d’autant que j’ai été surpris de rencontrer de nombreuses personnes qui ne soupçonnaient pas que de telles situations aient pu se dérouler.

Propos recueillis par Firouz-Elisabeth Pillet