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Entretien : Samuel Benchetrit

Samuel Benchetrit, accompagnée de sa nouvelle compagne et actrice de son film, Anna Mouglalis, a répondu à quelques questions, le temps de son passage au dernier Festival de Locarno

Article mis en ligne le juillet 2008
dernière modification le 28 juillet 2008

par Firouz Elisabeth PILLET

Dramaturge, romancier, scénariste, acteur, Samuel Benchetrit reprend du service derrière la caméra avec un deuxième long métrage, « J’ai toujours rêvé d’être un gangster », sorti sur les écrans romands.

Son premier film, « Janis et John », opus déjanté avec comme protagoniste son ex-compagne Marie Trintignant, cette seconde réalisation regroupe tout ce qui est cher à Benchetrit : le néoréalisme italien, les films de gangster à la Scorsese, la lumière blafarde des néons en hommage à sa banlieue natale, le tout mené par une équipe de copains-acteurs dont la franche caramaderie est communicative. Vêtu de son blouson de cuir noir, la mèche rebelle, et le mégot aux lèvres, Samuel Benchetrit, accompagnée de sa nouvelle compagne et actrice de son film, Anna Mouglalis, a répondu à quelques questions, le temps de son passage au dernier Festival de Locarno.

Samuel Benchetrit
© Mars Distribution

Comment est né ce deuxième film et qui en sont les héros ?
L’idée du film, c’était l’envie de faire un film comme on n’en fera plus, comme on n’en fait déjà plus, un film en noir et blanc, un film à sketches, en sachant que cela allait être un film populaire, une comédie. J’avais envie de faire du cinéma dans l’intimité, comme on prépare un livre. Je rêvais d’un film qui prendrait le risque de la lenteur, qui ne couperait pas la parole aux acteurs. J’ai un penchant pour les losers. Les kidnappeurs de mon film sont de pauvres types qui se sont fait embobiner par la télé, cette vitrine à fric. Ensuite, il y a des choses plus difficiles que d’autres à faire, plus techniques, sur le texte ; chaque épisode a son caractère propre.

Quels sont vos pères spirituels dans le septième art et vos influences ?
Cela me fait plaisir que les gens pensent plus à Blier plutôt qu’Audiard parce que je suis fanatique de Bertrand Blier. De tous les cinéastes français, c’est sans doute lui qui m’a plus donné envie de faire des films. Quand on est ado et qu’on vit en banlieue, Blier c’est extraordinaire. Rendre à ce point surréalistes les cités, c’est magnifique ! Blier c’est Audiard mais avec beaucoup de féminité. Chez Blier, les hommes réagissent souvent comme des femmes. Un homme qui refuse sa féminité est un gros nul.
Je voulais faire un film sur le cinéma. J’ai toujours voulu être un gangster, c’est la première phrase des Affranchis de Scorsese. L’hommage commençait là. La scène finale par exemple, je n’ai jamais pensé à Chaplin et pourtant c’est là, sans l’avoir recherché. Par le biais de la nouvelle en littérature – comme dans « Chroniques de l’asphalte  » - ou du sketch en cinéma, il y a un accord avec le spectateur. On entre de manière plus nette dans la vie et dans l’esprit des personnages et il est facile d’en ressortir aussitôt.
Les influences dans ce film sont proches du cinéma italien des années soixante ou du cinéma muet, ou des films de La Nouvelle Vague, où le film était très populaire mais avec une ambition technique et artistique. Je recherchais cela : pouvoir être drôle et laisser sans que l’image soit moche ou en pâtisse.

Certains vous comparent à Jim Jarmush ?
Je trouve triste de penser à Jarmush. Cela montre la pauvreté du film en noir et blanc ou du film à sketches dans le monde. C’est un type qui fait des films à sketches en noir et blanc. Je pense qu’on ne parle pas du tout des mêmes choses, qu’on n’est pas dans le même pays, qu’on n’a pas le même âge, qu’on n’a pas la même forme d’optimisme ou de pessimisme. Certains m’ont même parlé de La liste de Schindler, mais je pense que mon film n’a pas grand chose à voir avec la Shoah. C’est dans la forme. C’est un mélange de modernité et de classicisme, c’est tout ce que j’aime. Ce film est très contemporain mais ancré dans plein de références, c’est ce qui fait cette forme nostalgique. Quand on prépare un film, on est très plongé dans les références. Quand je crée, je fais les choses de manière très instinctive. Je ne m’identifie pas à un metteur en scène, c’est un inconscient du cinéma, ce n’est pas prémédité. Quand je veux faire un film d’horreur, je fais un film d’horreur ; quand je veux faire une comédie musicale, je fais une comédie musicale. Je sais que je mets eau coup de choses variées dans un film, c’est peut-être pour cela qu’on se perd un peu. En ce moment, j’ai envie que les choses soient drôles, légères, car je suis mon état d’esprit du moment.

Vous avez choisi de travailler le son, la voix, le timbre « à l’ancienne » ?

Anna Mouglalis

Je tourne ce film à l’ancienne et au moment du mixage le technicien installe un son dolby. Je me rends compte que ça ne marche pas du tout, qu’il y a alors quelque chose de complètement décalé par rapport à l’image. Je lui propose alors de mixer en mono, à l’ancienne, le son derrière l’écran. De plus, tous les acteurs ont une voix intéressante. Qu’il s’agisse d’Anna Mouglalis, d’Arno, de Bashung, de Jean Rochefort, de Laurent Terzieff. Je dois aimer les voix. J’ai travaillé avec Marie Trintignant, avec Jean-Louis Trintignant, des gens qui ont des voix spectaculaires. Je redoute beaucoup la sortie du film, j’ai peur que les gens n’y aillent pas, que le noir et blanc fait peur. C’est étrange, le cinéma de nos jours, plus personne n’en sait rien : les petits films se mettent à marcher très fort, les gros films s’écroulent.

Comment avez-vous choisi vos plans, essentiellement fixes ?
J’ai toujours cette volonté d’être dans un film volontiers contemplatif. Ne pas trop bouger, éviter de suivre systématiquement un acteur qui sort du champ. Mon rêve était de réussir un film très populaire avec une vraie ambition artistique. Faut arrêter de croire que les gens qui se marrent n’en ont rien à faire que le film soit beau ou moche. 
J’ai beaucoup travaillé les cadres. Pour avoir grandi dans une cité HLM où tout était aligné, je suis toujours hanté par la symétrie. Sur ce film, j’ai appris à décadrer, à partir hors des rails obligés des subjectifs, des champs-contre champs, à casser l’axe. Et surtout à laisser de la place aux comédiens, en essayant de récréer une cour de recréation, avec ce lieu de rencontre qui est cette cafétéria d’autoroute, qu’ils puissent par exemple partir dans dix minutes de jeu sans être interrompus. 
Je me suis rendu compte que les gens qui rendaient des espèces d’hommages au cinéma font souvent des plans assez longs. Tarantino, par exemple, ne se contente pas de faire un plan séquence, il raconte en même temps l’histoire d’un plan séquence.

« J’ai toujours rêvé d’être un gangster » de Samuel Benchetrit

Comment avez-vous choisi vos acteurs ?
J’ai vraiment écrit pour ces deux acteurs belges. Je suis fasciné par la Belgique, je trouve que les Belges sont un peuple fabuleux, très humble, avec un humour décalé. Arno, c’est un hasard comme Bashung, ce sont des chanteurs magnifiques. J’ai plein d’amis techniciens belges. Je vais souvent en Belgique. J’aimerais bien vivre en Belgique, c’est comme une vie de province mais en ville, c’est très intéressant. Ils sont au carrefour de l’Angleterre, de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la France. On a l’impression qu’ils sont un peu écrasés mais ils sont beaucoup plus intéressants que ces pays-là. Les gens mis de côté sont toujours intéressants.
J’ai une grosse expérience des vieux acteurs. J’ai beaucoup travaillé avec Jean-Louis Trintignant. Je trouve qu’ il y a quelque chose de fascinant dans la fin de vie. C’est comme l’enfance. Henri Miller a écrit une nouvelle que j’adore et qui s’appelle « Virage à quatre-vingts » et il parle du point commun entre un enfant et un vieux, c’est qu’ils vivent dans le moment présent. Un enfant vit dans le moment présent parce que l’avenir lui fait peur et le passé n’existe pas pour lui ; un vieux, c’est le contraire, il vit dans le moment présent parce que le passé lui fait peur, lui fait de la peine et l’avenir n’existe pas. Il y a quelque chose de très ludique à travailler avec des gens d’un certain âge, parce qu’il y a une finesse, ils sont un peu esthètes, ils sont dans une espère de recherche de la beauté immédiate, il n’y pas de perte de temps.

Et le choix de la comédie ?
La comédie, j’y tenais beaucoup. C’était là la difficulté de rajouter ce piment au noir et blanc. Cela m’amusait énormément d’apporter cette touche comique. Je n’aime que les gens qui ont de l’humour. Si terrible soit-il parfois. Même dans les peintures chez Goya, on trouve de l’humour. Je voudrais vraiment que le film soit très populaire. J’ai vu beaucoup de films en noir et blanc des années soixante, comme Le Pigeon, des films en 1/37, des films à sketches et qui étaient très populaires. En ce moment, je suis plus comique que tragique, j’avais donc envie de comédies, de choses légères, drôles.

A 35 ans, Benchetrit l’éclectique cultive un inconfort existentiel qui le préserve de ce qu’il craint le plus : l’embourgeoisement. En ancien banlieusard, il était venu habiter Saint-Germain-des-Prés, mais va déménager pour un quartier plus bigarré. Paris ne lui a pas fait oublier sa banlieue, ni sa « poésie du néon » : « Le béton, les parkings déserts, les clartés blafardes... . C’est par amour pour sa banleiue qu’il écrit, met en scène et réalise.

Les cheveux en pétard, il s’apprête à prendre la relève auprès de sa compagne, Anna Mouglalis, pour bercer leur fille, Saul, et lance : « Vous croyez que le film va marcher ? » Malgré son immense talent, Benchetrit a gardé le doute des artistes modestes, les vrais.

Propos recueillis par Firouz Elisabeth Pillet