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Entretien : Régis Wargnier
Article mis en ligne le avril 2011
dernière modification le 23 avril 2011

par Firouz Elisabeth PILLET

Absent des plateaux depuis Pars vite et reviens tard, Régis Wargnier reprend du service comme cinéaste pour mieux parcourir La ligne droite, son dernier film. Ses deux principaux acteurs, Rachida Brakni - Madame Eric Cantona à la ville - et Cyril Descours – admirable dans Complices, de Frédéric Mermoud - , interprètent un tandem surprenant et émouvant – entre un jeune athlète non voyant et son coach – deux êtres en rupture avec la société et qui parviendront à panser leurs blessures en unissant leurs forces.

L’héroïne, prénommée Leïla, et un temps athlète, sort juste de prison. Lui vient juste de perdre la vue dans un accident. Comment vont-ils se rencontrer ? Tout simplement parce que la seule discipline qu’il peut encore pratiquer malgré son handicap est la course à pied et qu’elle est bonne dans ce domaine. Le tandem se met à courir pour regarder dans la même direction. Un film émouvant, encourageant, porteur d’espoir, dont Régis Wargnier est venu nous parler lors de son passage à Genève.

Comment est né ce projet au sujet aussi poignant ?
C’est l’histoire de deux destins qui se croisent. En août 2003, je me trouvais au stade Charléty. En marge des championnats du monde d’athlétisme, organisés à Paris, je filme alors l’entraînement du légendaire Hicham El Guerrouj. Mon regard flâne aux quatre coins du stade. Et se pose sur Aladji Ba, athlète non-voyant multi-médaillé dans des compétitions internationales handisport. Attaché à son guide, Denis Augé, via un simple lien, Ba enchaîne les sprints. Un champion comme les autres. Cela a été un grand coup de cœur pour moi, ce bout de ficelle m’a fortement ému. Cette simple ficelle qui unit un athlète à son guide, ces foulées coordonnées et en rythme. Le lien du sport. Mais aussi, et surtout, celui des hommes. Quand handicapé et valide ne font plus qu’un, de manière symbiotique, dans la recherche de l’effort et de la performance. Je me suis alors promis : « Si je fais une fiction sur l’athlétisme, je partirai de ce lien-là ».

Le réalisateur Régis Wargner avec l’actrice Rachida Brakni

La ligne droite vous permet de concilier vos deux passions, le cinéma et l’athlétisme ?
En effet, je mêle ici ma passion de l’athlétisme, sport auquel j’ai déjà consacré deux documentaires, à mon envie de plonger le public au cœur des problématiques du monde du handicap. Cette histoire amène deux écorchés vifs réunis autour d’une aventure sur la piste, qui va leur permettre de se reconstruire comme de se découvrir. Interprétés avec grâce et passion par Cyril Descours et Rachida Brakni, les deux personnages nous plongent dans une histoire où chacun va puiser sa force dans le caractère de l’autre pour bouleverser sa propre trajectoire. J’ai eu la chance de disposer d’une scène finale tournée sur la piste du Stade de France lors du dernier MEETING AREVA à laquelle participe, entre autres, Aladji Ba

Cela fait huit ans que vous nourrissiez ce projet…
On ne sait jamais vraiment pourquoi certains sujets vous attrapent. Le fait est qu’il y a deux émotions fortes à l’origine de ce projet : la victoire de Colette Besson, à Mexico, et ma rencontre avec Aladji Ba, champion de France non-voyant, lors du documentaire que je tournais sur Hicham El Guerrouj. Et puis, avec l’âge, j’ai besoin d’être secoué pour pouvoir faire un film. La relation d’un athlète aveugle et de son guide a eu cette vertu.



Le lien, physique et symbolique, entre ces deux êtres est le thème central de votre film ; souhaitiez-vous montrer la dépendance entre ces deux êtres ?
Oui, sincèrement, c’est cette image d’une corde reliant le coureur non-voyant et son guide qui a joué le rôle de déclic. J’avais envie de trouver ce qui passe dans ce lien. Il y a là à la fois quelque chose de très concret et de métaphorique. C’est dans ce sens que je l’ai filmé. Je me rappelle que, lorsque le compositeur m’a demandé comment mettre en musique la scène où, pour la première fois, les deux personnages utilisent le fil, je lui ai donné une seule indication : c’est la séquence du mariage.
J’ai construit le film sur ce principe. Leïla n’a la force d’affronter son beau-frère que lorsqu’il se passe quelque chose à l’entraînement, que lorsqu’elle a puisé en Yannick l’énergie de surmonter ses doutes ; lui affronte ses peurs et ses angoisses, par exemple dans cette scène terrible en Bretagne où il tente de conduire le bateau. Leïla doit retrouver la confiance des autres et apprendre à leur redonner la sienne, elle travaille avec quelqu’un qui lui offre sa confiance au-delà de toute raison, ce qui lui donne à son tour de la force pour affronter le quotidien.

« La ligne droite »
© Gaumont



Comment avez-vous choisi les acteurs ?


Pour Rachida ça a été assez simple, j’aimais énormément son travail, j’avais donc l’envie de la côtoyer et, quelque part, l’intuition que l’on collaborerait ensemble un jour ; je connaissais son passé d’athlète au niveau régional. Encore une histoire de lien, mais invisible celui-là, qui unissait nos destins ! Pour Cyril Descours, c’était un peu plus compliqué. Il y avait plusieurs contraintes : le jeu, son métier, la non-voyance, un challenge, à quoi il fallait ajouter le fait d’être un athlète crédible. Pour la dernière séance d’essai, j’avais écrit une scène de course spéciale, à l’INSEP. Les entraîneurs m’ont convaincu que c’était lui qui avait le plus de potentiel. Mais je crois surtout que c’était le plus motivé par ce rôle, le plus investi dans ce défi.
Qui plus est, un athlète n’a pas le droit à l’erreur. Vous ratez une course et votre saison est à l’eau. Un coureur se fixe des objectifs incroyables, parfois inimaginables pour le commun des mortels. Mais quand il les atteint, ces performances aèrent la tête, donnent confiance et, surtout, reviennent vers l’autre. Ce sport est terrible et c’est ce qui le rend beau. Cyril Descours a passé des mois à s’entraîner et observer les autres athlètes sur le stade, il a montré tant de persévérance qu’il a forcé l’admiration des athlètes qui le voyaient progresser. 


Le lien, cette ficelle, réside au centre de l’histoire ?

Complètement. C’est cette force métaphorique qui m’a séduit dans le projet de Régis. L’idée du lien est présente jusque dans la construction des personnages. Tant que Yannick et Leïla n’auront pas résolu leurs problèmes, leur relation sportive ne marchera pas. Il faut qu’ils s’abandonnent l’un à l’autre pour enfin avancer. Je pense que toute La ligne droite tient là-dedans. On ne réalise jamais à quel point on a besoin de l’autre pour s’épanouir. C’est en Yannick que Leïla puise la force de se relever. Et la réciproque est vraie. J’ai construit le film sur ce principe.

Qu’est-ce qui vous émeut dans l’athlétisme ?

Ce qui me touche le plus c’est qu’on y est, comme dans tout sport individuel, face à soi-même. Régis parlait de Colette Besson tout à l’heure, personnellement c’est le duel homérique entre Carl Lewis et Mike Powell qui a consacré mon amour de ce sport. J’y trouve un sens de la démesure qui est assez fascinant. Il faut l’avoir pratiqué pour comprendre cette quête qui consiste à produire tant de travail, mettre en œuvre tant de précision pour grappiller à peine quelques dixièmes de secondes à un chronomètre. J’admire la force de ses champions.


Propos recueillis par Firouz-Elisabeth Pillet