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En marge du film “Welcome“
Entretien : Philippe Lioret

Le réalisateur Philippe Lioret nous parle de son dernier film, Welcome.

Article mis en ligne le avril 2009
dernière modification le 23 avril 2009

par Firouz Elisabeth PILLET

De passage à Genève, à l’occasion de l’avant-première de son dernier film Welcome, Philippe Lioret nous a consacré quelques instants.

Quelle a été votre source d’inspiration pour ce film ?
C’est Olivier Adam qui m’a parlé de ce sujet mais comme il était engagé en Chine dans un autre projet, l’écriture s’est faite avec Emmanuel Courcol, avec qui j’avais déjà travaillé sur mon film précédent, Ne t’en fais pas, je vais bien. Comme à chaque fois, j’envisage une nouvelle histoire avec la peur au ventre mais rapidement, la conviction d’avoir trouvé une pépite s’est affirmée. L’histoire de ces clandestins qui sont prêts à tout pour traverser la Manche, même à la nage, et rejoindre l’Angleterre, c’est d’une dramaturgie extrême. Ce qui se passe sur les côtes de la Manche équivaut à ce qui se passe à la frontière mexicaine. Avec Emmanuel, on est allé là-bas plusieurs fois. On a rencontré pas mal de monde, des bénévoles des associations dont une femme formidable qui nous a raconté que certains hommes essayaient de traverser la Manche à la nage pour rejoindre l’Angleterre. C’était tellement fou, qu’on s’est dit qu’on tenait le cadre. Cette histoire nous taraudait mais c’était difficile de se mettre à l’écriture. On a écrit cinq pages, puis dix, vingt, et à chaque page, on se demandait si on allait être à la hauteur de la précédente, ainsi jusqu’à la fin. Certains nous disent que le film est politique ; peut-être, mais nous nous ne sommes pas des politiques, nous avons toujours voulu raconter une petite histoire, avec la dimension humaine.

Philippe Lioret
©Mars Distribution

Définiriez-vous votre film Welcome comme un film engagé ?
Non, ce n’est pas un film engagé, mais un témoignage d’un pays à une époque. C’est un constat, un regard posé. L’engagement est juste là mais l’histoire personnelle de Simon, sa rupture avec sa femme, son désarroi, tous ces éléments sont très importants. J’ai juste eu l’impression qu’en traitant ce sujet des sans-papiers, j’exprimais une sorte de colère devant ce qui se passe aujourd’hui en France. Je l’avais déjà fait avec Tombé du ciel, racontant l’histoire d’un gars bloqué dans un aéroport, qui ne peut même pas repartir chez lui. Je garde toujours en vue tant la fiction que la réalité.
La façon dont on traite ces personnes : dans un pays où l’on protège les loups, où l’on importe des ours, mais d’où l’on expulse des êtres humains, c’est insupportable. Ces clandestins n’ont ni l’envie ni l’intention de rester en France, ils ne souhaitent qu’une seule chose : passer en Angleterre. Ils se retrouvent confinés dans des conditions lamentables là où ils ne souhaitent pas rester. Ainsi, ce sujet m’a permis de raconter une histoire avec une dramaturgie très forte entre deux êtres. Il n’y a que ça qui m’intéresse, l’histoire entre les gens. Le film ne se résume pas à une histoire d’immigration, dure, sociale, engagée. Il y a aussi et surtout une belle histoire d’amour, de l’émotion, du spectacle, l’amour d’un homme pour une femme qui ne l’aime plus, justement à cause de son manque de positionnement politique, l’amour qui s’établit entre un homme et le fils qu’il n’a pas eu mais qui pourrait être le sien. Le film parle des migrants en filigrane.

Avez-vous écrit le personnage de Simon en songeant à Vincent Lindon ou le choix de l’acteur a-t-il été ultérieur ?
J’ai souvent pensé travailler avec Vincent Lindon, mais sans que cela se concrétise vraiment. Durant la phase d’écriture, j’ai fait part de son projet à Vincent qui, très emballé, a immédiatement accepté de faire le film sans lire le scénario. En règle générale j’évite d’écrire un film en pensant à un acteur, j’essaie toujours de se concentrer sur les personnages. Pour Welcome, j’ai fait exception et j’ai écrit le film spécifiquement pour Vincent. C’était une évidence qu’il était Simon.

« Welcome » de Philippe Lioret

La recherche du jeune interprète de Bilal vous a mené en Turquie, en Suède, en Angleterre, en Allemagne, où la communauté kurde irakienne immigrée est importante... vous avez finalement trouvé Firat Ayverdi à Paris. Que partageait-il avec le personnage de Bilal ?
J’ai vu 150 jeunes dans le monde entier. À chaque fois, je leur racontais l’histoire en entier, je leur faisais apprendre un bout de texte et faisais la scène avec eux. C’est un travail énorme... Firat était dans le peloton de tête. Quand je l’ai vu, j’ai su que c’était lui, même s’il n’était pas acteur et ne se destinait pas du tout à ce métier. J’en avais choisi trois, puis deux... L’autre garçon me rassurait plus. Mais finalement, j’ai choisi Firat pour la fragilité qu’il dégageait. Il a à la fois conservé quelque chose de l’enfance et fait très mûr, sûr de ce qu’il veut. Il partage avec son personnage cette obstination qui fascine Simon. Pour retrouver Mina, la femme qu’il aime, Bilal a parcouru 4000 kilomètres à pieds et veut traverser la Manche à la nage car il y a urgence. Simon en est abasourdi, lui qui n’a pas été capable de traverser la route quand sa femme l’a quitté.

Une complicité père-fils s’instaure tout au long du film entre ces acteurs, alors que le personnage de Simon évolue ?
Franchement, quand on voit le film, le maître-nageur de la piscine de Calais, ça ne pouvait être que lui. C’est une évidence. Si je regarde le panégyrique des acteurs français, Simon et Vincent se confondent. Au même titre que Bilal et Firat. C’est pour cela que je suis très content du film.

Le résultat du film correspond à l’idée que vous en aviez ?
Il est vrai qu’il existe toujours un décalage entre l’écriture et le résultat final mais cette fois-ci, c’est exactement le film que j’avais imaginé. D’ailleurs, ma grande récompense, c’est quand un spectateur me dit : « Je n’ai jamais vu un film qui sonne aussi juste, je n’avais pas l’impression d’être au cinéma. »

Propos recueillis par Firouz-Elisabeth Pillet