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Entretien : Noémie Lvovsky

Entretien avec la réalisatrice et comédienne Noémie Lvovsky, à l’occasion de la sortie de son film
Faut que ça danse.

Article mis en ligne le mai 2008
dernière modification le 11 juin 2008

par Firouz Elisabeth PILLET

Sujet d’actualité, s’il en est, le refus de la vieillesse d’une société en proie à une crise de jeunisme intempestif touchant toutes les couches sociales. La publicité et les médias contribuent à entretenir la stigmatisation des personnes âgées que l’on « parque » bien rapidement dans des maisons de retraite qui permettent de les passer plus aisément aux oubliettes. Certaines d’entre elles pourtant se sentent et se perçoivent toujours jeunes et dynamiques, comme l’est le personnage de Salomon (Jean-Pierre Marielle) dans Faut que ça danse, la dernière réalisation de la réalisatrice et comédienne Noémie Lvovsky, présente à Genève à l’occasion de la sortie de son film. Rencontre.

Quelle a été l’idée de départ du film ?
La première impulsion envers ce film m’a été inspirée par un homme qui m’est très proche ; quand il a eu quatre-vingt-cinq ans, j’ai vu dans ses yeux une chose ni gaie ni triste, mais une grande perplexité. Cela m’a donné l’envie de raconter quelqu’un qui commence à devenir âgé sans s’en rendre compte, puis comment il en prend conscience à travers le regard des autres, comment le monde semble vouloir le mettre à la porte. Le personnage de Salomon est apparu : un homme de 75-80 ans, Russe, juif, rescapé… Pour ne pas se laisser enterrer vivant, il décide de rencontrer un nouvel amour. De film en film, ce qui m’intéresse, c’est le fait que l’on a plusieurs âges : on a l’âge qu’on a dans la tête, celui qu’on a dans le corps, celui de l’Etat civil, on a l’âge qu’on a dans les yeux des autres, on a les âges passés. On a tous une multitude d’âges et il existe une inadéquation entre tous ces âges, une inadéquation qui nous fonde et forme.

Quand vous écrivez , songez-vous déjà au genre auquel va appartenir votre film ou cela vient-il ultérieurement ?
Je n’ai aucune conscience d’écrire une comédie, cela vient après. Je sais que je ne fais pas une tragédie parce que je n’aime pas faire mourir un personnage. Florence Seyvos (la co-scénariste) et moi, nous parlons de choses très graves, dramatiques ; après, il paraît que cela fait rire, alors, tant mieux ! C’est Salomon qui, sans que nous nous en rendions vraiment compte, nous guidait, avec son expérience du tragique et son goût du comique. On regardait les films de Billy Wilder. On y trouvait le rythme, la légèreté, la drôlerie qu’aime Salomon.

À quel moment avez-vous pensé aux acteurs qui allaient incarner ces personnages ?
Je pense aux acteurs après l’écriture. Quand j’écris, j’ai besoin de me prendre comme exemple pour chacun des personnages. Penser à un acteur ferait écran. Au moment du scénario, on travaille beaucoup un personnage, mais quand je le propose à l’acteur, ce n’est pas parce qu’il ressemble au personnage, mais parce que j’ai envie que le personnage lui ressemble. En fait, c’est une rencontre à mi-chemin entre le personnage et l’acteur. Une fois que l’on a fini d’écrire, j’ai besoin de mettre le personnage de côté pour aller vers les acteurs. Je ne cherche donc pas des acteurs qui ressembleraient aux personnages, je cherche des acteurs, des actrices avec qui j’ai envie de passer du temps, que j’aime, avec qui j’ai envie de faire un bout de chemin. Après avoir mis les personnages en retrait, je reviens ensuite aux personnages avec les comédiens.

« Faut que ça danse ! », avec Salomon (Jean-Pierre Marielle), Sarah (Valeria Bruni-Tedeschi)
© Vega Films

Faut que ça danse ! (2006) est le quatrième film que vous écrivez avec Florence Seyvos. Comment définiriez-vous vos rôles respectifs dans l’écriture ?

A chaque film, cela change. Alors que les films ne sont pas encore écrits, qu’ils n’existent pas encore, ce sont les films eux-mêmes qui guident la manière de travailler. Il y a des scenarii que nous avons écrits à deux, ensemble, au café, et pour ce film, on parlait beaucoup des scènes puis on allait écrire chacune de notre côté. Puis, on se lisait les scènes que l’on avait travaillées séparément. Comme à chaque fois, je retrouve beaucoup de Florence dans le film : dire le moins pour dire le plus, glisser des choses spirituelles comme ça, drôles sans en avoir l’air…


Le film raconte aussi une histoire de famille. Comment avez-vous construit le scénario ?
Parce que la société lui fait sentir qu’il va bientôt mourir, Salomon est obligé de se poser la question de savoir où il va être enterré. Cette interrogation le ramène à son passé, auquel il déteste penser, et dont il refuse de parler. Tous les membres de sa famille sont morts à Auschwitz, « partis en fumée » comme il dit. Il n’y a pas de caveau de famille, pas de tombe, pas d’inscription de noms ni de dates.
Pendant l’écriture du scénario, le Mur des Noms a été inauguré à Paris. C’était la première fois qu’en France, il y avait un endroit où étaient inscrits les noms. Nous avons intégré cet endroit au présent de Salomon. C’est un début d’apaisement et d’acceptation de son passé.
Salomon change au cours du film : au début, il se pense et se veut immortel. À la fin, il se sait mortel.

Dans un film qui raconte une histoire de famille, on se dit que l’autobiographie n’est souvent pas loin. Est-ce le cas ?
Maintenant que le film est là, je pense que les personnages sont proches de leurs interprètes. Au départ, je me suis sans doute inspirée de gens que j’ai pu connaître. Quand nous écrivons, Florence et moi, nous nous inspirons d’une réalité que l’on connaît intimement. Il y a la réalité de nos émotions, de nos sentiments, celle de certains événements, de certaines situations, et celle de personnes que l’on aime, qui nous intéressent, et qui nous sont proches. Mais dès que l’on écrit, on oublie aussi la réalité des gens pour aller vers la fiction. On s’inspire aussi de livres et de films qui nous habitent. Lorsqu’on se met à écrire, on décroche très vite de nos sources d’inspiration. Nous préférons la fiction, on a l’impression qu’elle raconte mieux la réalité.

Dans Faut que ça danse, vous surprenez les spectateurs en créant des couples improbables, dissonants, comme celui constitué par Sabine Azéma et Jean-Pierre Marielle ?
La vie nous apporte des surprises, et très rarement là où on les attend. Le couple de Violette et Salomon (Sabine et Jean-Pierre) est insolite, mais cela est aussi vrai pour plein de couples dans le film. J’avais envie de raconter que ce qui fait un couple est sentimental avant tout alors que cela peut être des couples en apparence très désaccordés, des couples qui n’ont pas vraiment un statut de couple, qui n’ont a priori rien pour faire couple et ils forment vraiment un couple. Violette et Salomon forment un couple bizarre car ils n‘ont pas du tout le même âge, il n’est pas question qu’ils se marient (puisque Salomon est marié et ne veut absolument pas divorcer même s’il est séparé de sa femme) ou qu’ils aient un projet de vie commune comme un enfant. Il n’est même pas question qu’ils habitent ensemble puisque Salomon habite seul et cela lui va très bien. Ils n’ont pas à construire alors que l’on attend d’habitude qu’un couple construise. La société somme les gens de construire les choses en couple. Salomon et Geneviève (Marielle et Bulle Ogier) forment aussi un couple ; pourtant, socialement, ils sont séparés depuis trente ans, donc ils ne seraient pas un couple. Ils sont restés amoureux mais ils ne font plus l’amour. Ils ne vivent pas ensemble. C’est vrai pour Bulle Ogier (Geneviève) et Bakary Sangare (Monsieur Mootoosamy qui est à la fois l’employé de Geneviève mais aussi son seul et meilleur ami). En apparence, ce couple est très désaccordé puisqu’ils n’ont pas du tout le même âge et ne viennent pas du même milieu, ils ne sont pas de la même couleur, ils n’ont pas la même culture.

N’avez-vous pas eu envie de l’interpréter vous-même ?
Quand je suis spectatrice et que je vois un acteur jouer dans son propre film (Xavier Beauvois, Yvan Attal ou Valeria…), cela me semble toujours apporter quelque chose de vital au film. Mais quand je suis réalisatrice, je n’ai pas envie de me filmer. Je suis également incapable de voir mon film en tant que spectatrice. Quand il n’y a plus de travail, je ne peux pas voir mon film. Je sais juste que j’ai aimé et ces personnages et ces acteurs. Je me suis laissée émerveiller par eux, guider par eux comme eux se sont laissés guider par moi.

Votre film regorge de références au cinéma : Le Parrain, La Mouche 2, In the Soup, comme à la musique d’avant-guerre (Fred Astaire) ?
Je n’avais pas conscience que le cinéma était à ce point présent dans le film au moment où on le faisait. Cela vient de ce que j’ai suivi Salomon, et Salomon a un besoin vital de spectacles, de fictions, de cinéma et de musique. Le cinéma est une source constante d’inspiration. Il fait partie de ma vie, mais aussi de la vie des personnages. L’époque de Fred Astaire est une époque bénie pour Salomon, celle d’avant 39-45 et l’extermination de sa famille. Pour lui, la guerre a été tragique. Au fil des années, je me rends compte que les films me nourrissent, m’habitent, m’accompagnent autant que les gens qui me sont proches. Les films font autant partie de ma vie que des personnes, naturellement je les intègre dans les miens.

À propos du lien qui unit Salomon et Sarah, les deux personnages se trouvent à un moment dans une situation presque symétrique : le père qui refuse d’envisager la mort qui approche, la fille qui oppose un déni très net à sa propre grossesse qui vient de lui être annoncée. Il y
a d’un côté le déni de la mort, l’autre le déni de la vie ?

C’est une manière d’être en résistance pour chacun. Geneviève aussi est en résistance. Celui qui est peut-être le moins en résistance, c’est Mootoosamy (Bakary Sangare) car il a la foi. On ne l’a pas réfléchi en écrivant mais il se trouve que le père et la fille vivent quelque chose de particulier à la génération de chacun. Les survivants ont échappé à la mort, les enfants de survivants, eux, étaient censés ne pas naître. Le programme était d’assassiner les indésirables mais aussi d’empêcher leur descendance. Ce que je veux dire, c’est que, pour les enfants de survivants, le simple fait d’être né ne va pas de soi. Sarah a trop à faire avec sa propre naissance pour pouvoir elle-même songer à donner naissance. Du moins au début, parce qu’après, heureusement, ça change…
Apprendre qu’on attend un enfant, c’est aussi devoir accepter que les parents sont faits pour mourir et les enfants pour nous survivre. Après un moment de refus, Sarah se libère et trouve sa place dans ce mouvement.

Le film est plein de trouvailles qui appartiennent justement à ce registre, notamment cette belle idée de faire jouer à Salomon sa pension d’orphelin de la déportation au casino.
Chez beaucoup de gens que je connais, cette « pension d’orphelin de la déportation » constitue vraiment de l’argent impossible. Impossible à refuser, impossible à accepter. Et parfois même impossible à nommer. Alors nous avons pensé que Salomon avait décidé de claquer cet argent au casino. C’est aussi pour lui le moyen de donner une petite forme à la chance et à la malchance de sa vie. Une forme un peu dérisoire, mais une forme quand même…

Le titre du film, Faut que ça danse ! (2006) se retrouve dans le rythme et dans le ton du film, mais aussi dans sa musique, signée Archie Shepp. Comment s’est passé votre collaboration avec lui ?
J’ai eu de la chance avec la musique. Je sentais que la musique du film serait du jazz puisque c’est la musique de Salomon, il fallait donc le suivre. J’ai eu peur de faire appel à un compositeur de musiques de films. Je n’avais en tout cas pas envie de demander à quelqu’un de faire à la manière « jazz ». Je sentais qu’il fallait faire appel à un jazzman. Le jazz, c’est la musique de Salomon. C’est Brigitte Sy, une amie réalisatrice et comédienne, qui m’a présenté Archie Shepp qui avait composé pour elle. Je n’arrivais pas à croire que c’était un ami à elle et qu’il habitait à Paris. Je l’ai rencontré ainsi et cela a été une grande chance pour le film comme pour moi. Il travaille de manière inhabituelle pour le cinéma, de façon très souple, libre et spontanée. Par exemple, il arrive au studio et se met à composer, ou décide que telle séquence ne sera pas écrite mais improvisée. J’étais impressionnée et sous le charme, à le voir chercher et proposer, à l’entendre jouer et chanter. Il est une espèce de géant. Le film était en fin de montage, on a beaucoup regardé le film ensemble, parlé des personnages, et des moments où j’avais envie de musique, de l’énergie, du rythme, des sentiments de ces moments. On n’a pas fait de maquette, on est arrivé en studio et Archie a beaucoup improvisé avec des musiciens qu’il connaît depuis des années. 


Quels sont vos projets après ce film ?
Très vite après avoir fini le film, je me suis occupée de sa sortie en France. Je me suis aussi occupée du film de Valeria Bruni-Tedeschi que j’ai co-écrit et dans lequel j’ai joué. Tout cela m’a amenée jusqu’en janvier. Actuellement, je prends des notes, je pense.

Propos recueillis par Firouz Elisabeth Pillet