Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

En marge du festival de Cannes
Entretien : Mathieu Amalric

Rencontre sur la Croisette avec l’auteur d’un film jubilatoire.

Article mis en ligne le septembre 2010
dernière modification le 20 août 2010

par Firouz Elisabeth PILLET

La présentation de ce film a été l’un des événements du 63e Festival de Cannes, un film festif, bigarré, pulpeux, joyeux, jubilatoire, à l’énergie communicative, avec une avalanche de strass et de paillettes, des coups de blues et des fous rires, avec des strip-teaseuses plantureuses et enjouées, dirigées par un metteur en scène heureux qui s’est vu attribuer le Prix de la Mise en Scènes lors de cette 63e édition.

De votre film, Tournée, émane une joie communicative, malgré les bleus à l’âme ; avez-vous eu du plaisir à réaliser ce film ?
J’ai eu beaucoup de bonheur à faire ce film. C’est la récompense de tout le travail d’écriture qui précède. Quant au Prix de la Mise en scène, reçu à Cannes, je ne connaissais pas un tel bonheur. Pour Le Stade de Wimbledon, il y avait quelque chose de formel pour que Jeanne Balibar puisse y évoluer dedans. Dans Tournée, les artistes avaient carte blanche et ont laissé libre cours à l’inspiration pour chacun de leurs numéros.

Selon vous, quelle est la définition d’une mise en scène réussie ?
Cela prend du temps mais surtout il faut ne pas se mentir à soi-même. Chacun a ses trucs pour y parvenir. Pour Tournée, il s’agissait que la mise en scène ne se voit pas afin d’oublier que quelqu’un a fait un film, afin que les spectateurs se laissent embarquer par une troupe. La mise en scène est un travail de vampire : Joachim (ndlr. le personnage d’imprésario interprété par Mathieu Amalric) vampirise leur énergie et croit pouvoir rentrer comme un prince dans son propre pays.

Vous commencez votre film tout en douceur ….
Les lumières du Music-hall offre un univers très doux. Mon projet initial commençait ainsi : une femme ordinaire qui rentrait, la pièce était éclairée aux néons. J’avais eu envie de passer au burlesque : des femmes pulpeuses qui sont transcendées. Je dois vous avouer que ce plan est coupé pour des raisons de crédit, d’où le fait que l’on entende des pas en off sur l’ouverture de cette version.

Mathieu Amalric

Quel est la genèse de votre film ?
Un texte de Colette a vraiment été le déclic mais aussi le désir des productrices – Yaël Fogiel et Laetitia Gonzalez – qui désiraient que l’on fasse un film ensemble – ce qui est toujours touchant. L’envers du Music-hall était une commande d’un journal, publié sous forme de feuilleton. Colette a eu envie de faire cela, des pantomimes un peu scandaleux, déclamant un poème en dévoilant un sein ; je me suis questionné pourquoi une femme qui tombe amoureuse d’une autre femme, pourquoi elle se dit que pour se sentir bien, cela passe sous forme de mise à nue. Je cherchais à faire un film qui décrive son état d’esprit mais je ne prétends pas être féministe.

Et quelle a été votre motivation personnelle ?
Je vous avoue que le tournage a amené toutes sortes d’idées : j’ai lu dans Libération un article qui a très bien décrit le New Burlesque, ma fascination pour les productions, et ce qu’il y a de fictionnel chez les gens, et les gens en uniforme, que j’adore. J’avais le sentiment que le mélange de toutes ces idées allait faire un bon film. Je remercie les filles pour leurs shows et je dois préciser que tous leurs numéros, leurs costumes, leur maquillage sont issus de l’imagination des filles. D’ailleurs, trois semaines avant le film, je n’étais pas censé jouer dans le film.

Cependant, vous n’avez pas cherché à faire un film d’époque ?
Ce n’est pas du tout un film d’époque, mais je dévoile le mouvement du New Burlesque américain qui fait fureur depuis une quinzaine d’années à Broadway. Au début, ce ne sont pas des troupes ; il s’agissait de femmes, puis il y a eu aussi des hommes. Ils cherchent en eux un humour, une ironie, une image, pour un spectacle déshabillé mais pas complètement - elles enlèvent rarement le bas . Elles trouvent un moyen d’être drôles et politiques à la fois par le show. Elles veulent être contagieuses et transmettre cette joie au public.

Leur spectacle comme leur attitude oscillent entre chic et vulgarité ?
Elles jouent avec le chic et le vulgaire, elles ont des influences qui viennent des années 20, des années 40 et 50, elles jouent avec ce mélange. Heureusement qu’elles existent aujourd’hui car elles permettent de comprendre les valeurs de réussite qu’on nous assène à longueur de journée. Elles font avec ce qu’elles ont, c’est cela la solution pour arriver à supporter ce diktat de la réussite.

« Tournée » de Mathieu Amalric

A un moment donné du film, votre personnage, Joachim, leur dit « I love you » ; Tournée est-il une déclaration d’amour à ces femmes ?
Quand mon personnage leur dit « I love you », c’est ce qui est pratique en anglais car on ne sait pas si le producteur parle au groupe ou à l’une d’elle, on ne sait pas. Joachim leur dit : « Tout est suspect sauf votre corps, sauf vous ». J’ai cherché à découvrir à travers ces femmes comment on fait pour continuer à avoir des sensations, pour continuer de le sentiment qu’on n’est pas prisonnier, comment elles font pour transformer le strip-tease qui est souvent une nécessité pour beaucoup de personnes en activité acceptable. Au départ, c’est un mouvement lesbien, gothique et très en colère. Elles essaient d’attraper l’intimité de chacun, que chacun soit troublé, qu’il y ait une grâce. D’ailleurs, on faisait de vraies tournées au Havre, à La Rochelle, à Toulon. pour tourner le film ; après la représentation, certains spectateurs venaient nous trouver et nous disaient : « Cela devrait être remboursé par la Sécu tellement cela nous met de bonne humeur, cela nous donne du peps. »

Comment raconteriez-vous votre personnage de manager paternaliste et amant ?
Joachim est quelqu’un qui a travaillé à la télévision en France, il a certainement inventé des choses et croit pouvoir encore en inventer ; il a avalé quelques couleuvres et quelques désillusions, a rêvé des Etats-Unis et a fini par partir là-bas alors que ses acolytes sont restés en France, amers. Son voyage n’est pas neutre. Mon film questionne sur la place de la résistance et comment fait-on pour continuer.

Dans le film, vous vous battez pour que ces filles puissent continuer leur tournée et finir en apothéose à Paris. C’est un hommage que vous rendez aux producteur s et les prises de risques qu’ils osent ?
Ce film a été déclenché par le suicide de Humbert Balsan, producteur français qui a produit Bresson, Chahine. J’ai beaucoup travaillé comme assistant pour un producteur portugais, Alberto Branco. J’ai été fasciné par la manière dont ces gens prennent des risques pour pouvoir continuer à produire, quitte à jouer au casino pour trouver l’argent nécessaire à terminer une production.

Ces filles portent une solitude derrière leur nom de scène ?
Pour être aussi extraverties, pour rire autant toute la journée, cela cache beaucoup de fêlures, de bleus à l’âme, de solitude, on n’a pas cherché à faire un travail journalistique, on a préféré faire un film de garçons qui ne peuvent pas rentrer dans l’intimité des filles, en imaginant quelle personnalité se cache derrière le personnage de scène qu’elles se sont créés. Il n’y a pas besoin de raconter leur passé car leur show, leur corps, leur personnage scénique le révèlent. Un tournage est un précipité de vies, le fait qu’elles étaient réellement des actrices, cela passe par des dévoilements très intimes. On a imaginé, c’est l’inverse d’un documentaire, on s’est dit qu’il fallait être protégé par la fiction, que leur intimité serait plus palpable ainsi que dans un documentaire.

C’est votre quatrième long-métrage ? Après la projection de Tournée, les critiques font beaucoup référence soit à Cassavetes, soit à Fellini ?
Si on voit du Fellini dans mes films, c’est dû aux femmes à rondeurs. Dans les films de Fellini, on croit que c’est fantasque mais il y a un réel désespoir derrière cela. Je n’ai pas voulu faire un hommage à Fellini. On s’est dit que Joachim a vu des films de Cassavetes. On traîne des tonnes d’alluvions avant de parvenir à ce résultat et essayer de tout oublier sur le plateau. Sinon, on est dans l’imitation et tout est mort.

Vous faites partie de la clique à Arnaud Desplechin et affichez un parcours impressionnant en tant qu’acteur ; pourtant, vous semblez plus vous épanouir comme réalisateur ?
C’est le travail de Otar Iosseliani, ami de mes parents, immense cinéaste géorgien, qui m’a donné l’envie de faire des films. Depuis l’âge de dix-sept ans, j’ai travaillé dans tous les métiers du cinéma. C’est seulement dès l’âge de trente ans que Desplechin a vu en moi une capacité que je ne soupçonnais pas.

Propos recueillis par Firouz-Elisabeth Pillet au festival de Cannes 2010