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En direct du Festival de Cannes
Entretien : Lambert Wilson

Lambert Wilson s’explique sur son interprétation du Père Christian de Chergé.

Article mis en ligne le octobre 2010
dernière modification le 13 octobre 2010

par Firouz Elisabeth PILLET

Lambert Wilson, présent à Cannes pour les films de Bertrand Tavernier, La Princesse de Montpensier , et de Xavier Beauvois, Des hommes et des dieux, avait dû quitter précipitamment La Croisette pour être opéré en urgence d’une péritonite. L’acteur est finalement revenu à Cannes, se montrant presque fougueux à la conférence de presse, histoire de démentir les rumeurs au sujet de sa santé, et surtout pour défendre le magnifique film de Xavier Beauvois, dans lequel l’acteur interprète le Père Christian de Chergé, prieur du monastère cistercien de Tihbirine et tristement célèbre pour l’assassinat de sept moines trappistes en avril 1996.

Vingt ans après L’hiver 54, vous reprenez la soutane pour incarner Christian de Chargé, le père supérieur d’un moine cistercien. Comment vous êtes-préparé à ce rôle ?
C’est un hasard que j’interprète à nouveau un homme d’église et ce n’est pas là pas ma spécialité. Je me suis rendu à l’Abbaye de Tamié, comme les autres acteurs. J’ai beaucoup lu les ouvrages sur Christian de Chergé. Les faits divers me marquent ; j’ai toujours été sensible à la mort des gens quand j’entends la radio ou regarde la télévision parler des morts en Irak ou en Afghanistan. J’ai de la compassion pour ces victimes et pour les familles. Je me demande chaque fois : « Pourquoi eux ? »

Lambert Wilson dans « Des Hommes et des Dieux » de Xavier Beauvois

Vous parvenez à faire oublier le travail d’interprétation : en regardant le film, on croit côtoyer les frères de Tibhirine…
On ne décide pas de recevoir la grâce, on nous la donne. En vivant avec les moines, on réalise qu’il y a autant de conflits que sur un bateau. Il y a une fusion apparente par le costume et la vie communautaire mais il y a un individualisme révélé. Mais ces hommes sont soudés par les prières et le travail. Cela commence à quatre heures du matin, ils prient pendant une heure et demi. Nous nous sommes tpus astreints à la rigueur des sept offices quotidiens. Les chants nous ont profondément soudés, unifiés. J’ai découvert à quel point les individualités restaient vivantes, tout en formant un ensemble. C’est une vie dont le rythme est éprouvant. C’est comme faire un film sur des danseurs de tango ; on ne peut pas demander aux danseurs d’accélérer leurs pas de danse. Pour filmer la vie des moines, c’est identique ; on doit suivre leur rythme, ponctué de prières et de chants. On ne peut pas modifie le rythme de leurs journées.

Que vous a apporté ce rôle ?
Christian de Chergé est un personnage génial, homme de foi et d’intelligence profonde, et un sacré caractère, aussi. Je crois que la clef de sa personnalité, c’est cette passion presque physique pour l’Algérie, contractée dès l’enfance. Il a voulu construire une passerelle entre la chrétienté et l’islam. J’ai beaucoup travaillé sur ses écrits, qui sont passionnants et magnifiques, comme son testament, sorte de déclaration d’amour aux Algériens, y compris à celui qui le tuera, et à qui il donne rendez-vous au ciel. On se devait d’être juste car ces moines que nous interprétions avaient existé et avaient été massacrés. Ce drame est très récent pour les familles des moines qui attendent toujours de connaître les auteurs de ces assassinats. Un procès est d’ailleurs en cours. Ce n’était donc pas un rôle fictif, il fallait rendre vie à des personnes ayant vécu avant de mourir tragiquement. Par respect pour leur mémoire, on devait être proche de leur vie. Quant au personnage que j’interprète, Christian, il recherchait un langage commun qui va à l’essentiel et débouche sur un sujet universel de partage par tous les peuples, toutes confessions confondues. C’est un vrai sujet : qu’est-ce que c’est d’être humain, d’hommes à hommes, au-delà des religions ou de la politique.

Propos recueillis par Firouz-Elisabeth Pillet, Cannes 2010