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A propos de « Le silence de Lorna »
Entretien : Jean-Pierre et Luc Dardenne

Jean-Pierre et Luc Dardenne parlent du Silence de Lorna, leur nouveau long métrage.

Article mis en ligne le novembre 2008
dernière modification le 4 décembre 2008

par Firouz Elisabeth PILLET

Le Silence de Lorna, nouveau long métrage de Jean-Pierre et Luc Dardenne, auréolé par le prix du meilleur scénario décerné au Festival de Cannes, a révélé dans le rôle de Lorna, jeune femme albanaise en quête du bonheur en Belgique, Arta Dobroshi.

Cette actrice albanaise, découverte sur casting, lumineuse et bouleversante, affiche déjà un bon parcours dans son pays, tant au théâtre qu’au cinéma. Son beau regard porte tout le film. Dans le rôle de son pseudo mari, perdu par la drogue, Jérémie Rénier est très touchant lui aussi. Ce film tourné entièrement à Liège et dans sa région est l’œuvre la plus linéaire et la plus accessible des frères Dardenne. Fidèles à leur habitude, Luc et Jean-Pierre se sont livrés, dans une parfaite symbiose, alternant dans un profond respect la prise de parole.

Jean-Pierre et Luc Dardenne, lors de notre dernière rencontre, vous disiez trouver votre source d’inspiration dans les faits divers relatés dans les journaux ?
Oui, c‘est en feuilletant la presse que l’on trouve nos sujets. Un jour, nous avons lu un article sur les mariages arrangés par la mafia entre des ressortissants de l’Europe de l’Est qui cherchent à obtenir la nationalité belge et des Belges. Nous avons alors découvert que la plupart de ces mariages se font avec des toxicomanes que la mafia élimine sous le couvert d’une overdose. Ainsi, la mort ne paraît pas suspecte et la personne fraîchement naturalisée est contrainte à se marier pour honorer ses obligations envers ses passeurs.

« Le silence de Lorna »
photo © Christine Plenus

Arta Dobroshi est le personnage central de votre film, autour duquel gravitent les personnages secondaires, contrairement à vos films précédents où chaque personnage est au même plan que les autres…
Arta était un peu l’ambassadrice du Kosovo qui venait de naître en tant que nation. Leur première actrice internationale. A son retour, dans le petit aéroport de Sarajevo, elle a été accueillie triomphalement. Pour interpréter le rôle de Lorna, elle a appris le français en deux mois. En effet, dans ce film, elle porte sur ses épaules le personnage de Lorna qui mène le récit. Les comédiens amènent beaucoup lorsqu’ils donnent vie aux personnages. Même si Lorna n’est pas Arta, ce que vous voyez à l’écran c’est la rencontre entre Arta et Lorna. Si cela avait été quelqu’un d’autre qui avait rencontré Lorna, les choses auraient été différentes. La façon de rire de Lorna est telle quelle parce que c’est Arta qui est là. C’est pour ça qu’à un moment donné, on se dit que c’est elle qui pourra la rencontrer, que c’est cette douceur, ce visage, qui pourront porter le personnage.

Parlez-nous du scénario ?
C’était d’abord le désir de faire un film avec une femme. On s’est souvenu d’une histoire qu’une fille nous avait racontée. Celle de son frère, un garçon comme Claudy, toxicomane, qui avait été contacté pour épouser une prostituée albanaise contre un peu d’argent au mariage et un peu d’argent au divorce, enfin un peu beaucoup au divorce. Et elle savait, de par sa profession, que l’argent n’arrivait pas forcément au divorce, mais que c’était plutôt l’overdose. Elle a donc dit à son frère de ne pas le faire. On a pris d’autres éléments ensuite mais cette histoire nous avait frappés. On s’était dit que ça serait bien d’avoir une femme au lieu de prendre le frère comme personnage principal. Une femme qui ne serait pas prostituée car cela aurait été un stéréotype, mais une femme qui serait prise, comme ça, entre un homme avec lequel elle va faire un faux mariage mais avec lequel elle doit vivre réellement tout en connaissant son destin.

Votre réalisation est ici moins étouffante, plus lumineuse. Cela permet notamment de laisser vivre d’avantage le personnage de Lorna, avec une touche optimiste à la fin…
C’est vrai que nous sommes un peu plus loin, que la caméra bouge un peu moins. Nous pensions qu’il nous fallait observer cette femme plutôt que d’être dans son énergie. C’est une femme mystérieuse qui a plusieurs plans, plusieurs stratégies. C’est un personnage avec cinq hommes et avec chaque homme, elle a une intrigue différente. Fabio : elle est dans le complot avec lui au départ, mais elle va en sortir car il y a des choses qu’elle ne peut pas lui dire, comme le divorce qu’elle prépare. Sokol : elle l’aime, mais ne peut pas lui dire qu’elle a aimé aussi Claudy. Claudy : elle ne peut pas lui dire qu’il est destiné à disparaître. Spirou : elle ne lui dit pas qu’elle va prendre la pierre. Le Russe : elle se demande si elle lui parle ou non du bébé qu’elle attend. Elle est à chaque fois prise dans des intrigues, soit qu’elle mène elle-même, soit qui la dépassent. En tous cas, c’est quelqu’un qui est compliqué (rires). On s’est dit qu’on allait la regarder, et voir comment elle gère ces différents aspects.

Vous essayez de trouver l’humanité dans le drame. En laissant libre à chacun d’interpréter la fin, vouliez-vous donner une note d’espoir ?
On est dans la fiction. Pas sûrs que dans la réalité cela se passerait comme ça. Ce qui est formidable dans la fiction, c’est que cela permet de proposer d’autres horizons. Ce qui nous intéresse c’est que Lorna a changé, elle est bouleversée au sens propre. Tellement bouleversée qu’elle parle avec son enfant dans cette forêt. Pour nous, c’est une belle fin pour Lorna. Finir là, avec ce côté un peu étrange, c’est beau, c’est bien.

Et pour Claudy, vous avez tout de suite pensé à Jérémie Rénier ?
C’est venu assez vite. En fait, on voulait surtout faire attention à la caricature. C’est un rôle de drogué, il ne fallait pas tomber dans le travers de l’acteur qui joue le drogué. Le spectateur ne devait pas voir un acteur jouer un rôle. Claudy se raccroche à la vie à travers Lorna et l’énergie qu’elle dégage.

Propos recueillis par Firouz-Elisabeth Pillet