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A propos du film “Rio Sonata“
Entretien : Georges Gachot

Documentaire en hommage à la chanteuse brésilienne Nana Caymmi

Article mis en ligne le 1er mai 2011
dernière modification le 13 décembre 2011

par Firouz Elisabeth PILLET

Georges Gachot est un réalisateur et producteur spécialisé dans les films sur la musique classique. Il commença à jouer du piano à l’âge de cinq ans. A dix-huit ans, il quitta Paris pour étudier à l’école polytechnique de Zurich. En même temps, il mena des études de musicologie. Depuis plusieurs années, l’ingénierie a cédé le pas à sa passion pour la musique. Il a déjà réalisé plusieurs documentaires musicaux dont le dernier, Maria Bethânia musica é perfumé (2006).

En mars, les cinémas Scalas ont organisé l’avant-première du film Rio Sonata en présence du réalisateur, lequel est venu avec Nana Caymmi, Maria Bethania, Gilberto Gil. Fille du compositeur hautement emblématique Dorival Caymmi, ex-épouse de Gilberto Gil, muse de Milton Nascimento et amie d’enfance et camarade de classe du pianiste classique Nelson Freire, Nana Caymmi fait partie des plus importants témoins de l’histoire de la musique brésilienne des cinquante dernières années, durant lesquelles elle a joué le rôle de membre conducteur. Ce film part à sa rencontre – sa carrière et son art -, mais sera également une réflexion sur la vie musicale brésilienne de ces 50 dernières années. Rencontre.

« Rio Sonata » avec Nana Caymmi 1997

Comment est venue l’idée de tracer ce portrait original et poétique de Nana Cayimi, plutôt méconnu du public occidental ?
Cela est dû au hasard d’une rencontre avec Nana Cayimi alors que je tournais le documentaire sur Maria Bethânia. Après avoir réalisé des films sur des compositeurs ou des interprètes de musique classique - Debussy, Maxim Vengerov, Martha Argerich - ou sur l’œuvre humanitaire du pédia-tre et violoncelliste Beat Richner en faveur des enfants cambodgiens, je voulais changer d’univers. En 1996, un ami avait insisté pour que je l’accompagne au Festival de Jazz de Montreux où Maria Bethânia donnait un concert. Je suis tout de suite tombé sous le charme de la musique brésilienne. C’est en allant à une autre soirée brésilienne au Festival de Montreux que j’ai découvert Nana sur scène. Elle a un timbre de voix très particulier mais j’ai été séduit par sa musicalité, ses mélodies, son répertoire, les enchaînements d’une chanson à une autre étaient extraordinaires. J’étais aussi fasciné par la façon dont elle se donnait de manière inconditionnelle et tout le public lui répondait en chantant avec elle.

Quand on voit votre film, on a le sentiment que votre caméra se met au service de la musique ...

Oui, et le montage est rythmé comme la mélodie de sa voix. J’ai éliminé tous les plans de coupe qui n’auraient qu’une fonction visuelle et non pas auditive. Des plans de coupes inutiles selon ma démarche qui est d’être là au moment où la création a lieu, dans le corps de Bethânia. Le spectateur sent intuitivement que je ne joue pas avec lui, je ne le manipule pas, je ne le promène pas dans un flot d’images par peur qu’il s’ennuie. Je lui donne à voir ce qu’il entend, l’image a toujours une référence auditive. L’image sonne. Dans les concerts que j’ai monté, il n’y a pas de plan de coupe. Souvent il a été choisi parmi les meilleurs plans sur les trois heures de rushs du concert ! Il faut être honnête avec son sujet. C’était important pour moi de montrer ce partage qui se crée entre Bethânia et son public, la chaleur de sa musique et cette ambiance si personnelle.

« Rio Sonata »

Qu’avez-vous découvert sur le tournage ?
Nana Cayimi est une réelle icône vivante de la musique brésilienne. Ce n’est pas une chanteuse populaire car elle chante vraiment ce qu’elle veut. Elle est venu deux fois au Festival de Montreux : une première fois où elle avait chanté avec Caetano Veloso et le guitariste Joao Gilberto. La seconde fois, toute la famille Cayimi est venue : le père, grand compositeur, Nana et son frère. Son père est très respecté car il a toujours conservé son style, sans jamais se plier à la samba, à la bossa nova ni au tropicalisme. Nana Cayimi a suivi ses traces en restant à contre-courant. Son timbre de voix si particulier permet de l’assimiler quasiment à une chanteuse d’opéra soprano. Milton Nascimento a beaucoup aimé son style car il compose beaucoup a cappella, ce que Nana interprète à merveille. Il y a trente-deux chansons dans le film qui montrent sa palette d’interprétation et de registre, j’espère pouvoir sortir un Cd des chansons du film quand Rio Sonata sortira en DVD.

Les transitions dans votre film sont si fluides qu’on imagine un immense travail de montage en amont ?
Le tournage n’a duré que neuf semaines – en trois tournages tous réalisés à Rio comme Nana est carioca (ndlr. De Rio de Janeiro), mais le montage s’est étalé sur un an et demi. C’est un film musical, donc la musique décide du scénario, de la narration, le son influence l’image. En fait, j’ai travaillé au montage comme un compositeur sur sa partition, en décidant des cadrages et des plans de coupes afin de mettre en relief certains passages d’une chanson, un vibrato, un allegro vivace, ou souligner un forte ! On disposait d’archives magnifiques comme les extraits avec Antonio Carlos Jobim, grand compositeur brésilien de Bossa nova ; on a d’autres archives très émouvantes avec le père Cayimi. La dynamique de la bande son est mise en valeur par le montage, à travers les changements de plans et les cadres. J’ai recours à ces changements d’atmosphère comme césure musicale pour mettre en forme mon interprétation de la chanson. C’est ici que ma formation comme musicologue intervient. On peut changer de plan et d’ambiance, passer de l’atmosphère très vive d’un concert à une discussion familiale en coulisses très intimiste ou au studio d’enregistrement en conservant la même chanson. Nous avons effectué un énorme travail de recherches en amont pour que le film conserve sa cohérence musicale. Je voulais que l’on ressente son intuition, son inspiration quand elle compose, et les émotions qui la traversent en chantant comme dans une symphonie.



« Rio Sonata » Nana Caymmi

Le travail sur la bande son aussi est particulièrement peaufiné ?
Il est primordial, d’ailleurs la décision de coupe est musicale. Je crois que mon travail de réalisateur de film musical est aussi de faire découvrir les chansons de Nana Cayimi, soutenues par un montage dynamique, tant sur le plan auditif que visuel. Le son prolonge l’image, il faut donc lui accorder une place à sa juste valeur.

Vous nous permettez d’enter dans l’intimité de la création, vous filmez les répétitions, le travail en studio, les échanges avec les musiciens, les réflexions avec ses proches sur son interprétation vocale ; cela a-t-il été facile ?
Je voulais pénétrer l’univers créatif de cette immense chanteuse que les Brésiliens vénèrent ; son répertoire est connu par tout le monde et son public entonne aussitôt la chanson à chaque concert. Mais elle est aussi connue pour son sale caractère ; on assiste à une scène dans la voiture où elle s’énerve car elle trouve qu’on a pris une voiture trop petite et que la chaussée est cabossée. Son caractère bien trempé fait partie de son charisme. Je voulais capter ces moments, car c’est là que ça se passe. J’aime bien filmer les concerts, mais j’adore aussi ces moments privés. Ces moments d’inspiration, de doute, de joie, d’exaltation et d’allégresse quand brusquement un arrangement surgit. Musicalement, ce sont pour moi des moments clés pour cerner l‘artiste et partager des émotions musicales.

Propos recueillis par Firouz-Elisabeth Pillet