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En marge du film “Complices“
Entretien : Frédéric Mermoud

Frédéric Mermoud nous parle de Complices, son dernier film, présenté à Locarno.

Article mis en ligne le novembre 2009
dernière modification le 24 novembre 2009

par Firouz Elisabeth PILLET

Présenté à Locarno, lors de la 62e édition du festival, Complices de Frédéric Mermoud a reçu un accueil chaleureux sur le Piazza Grande. Ce premier long métrage du cinéaste sédunois, entre polar noir et romance d’ados, raconte avec brio les amours tragiques d’un couple d’adolescents. Le film sortira en janvier sur les écrans romands.

Le Valaisan était à Locarno pour la première présentation de son long métrage. Ses trois courts métrages avaient été très remarqués à Locarno, depuis Son jour à elle, 1998. En 2003, L’Escalier, avec Nina Meurisse, recevait le Pardino d’Oro à Locarno, le premier prix pour un court métrage prometteur, et le prix du cinéma suisse. Rachel, toujours avec Nina Meurisse, a été présenté en 2006 sur la Piazza Grande. En 2007 Le Créneau, avec Emmanuelle Devos et Hippolyte Girardot, marquait le passage du cinéaste suisse dans l’Hexagone. Présenté à Locarno dans la section Ici et Ailleurs, Bonhomme de chemin, un téléfilm produit par la TSR fut le tremplin qui incita Frédéric Mermoud à tenter l’aventure des longs métrages. Cette étape lui a permis de recevoir le prix du meilleur téléfilm suisse au Festival Cinéma Tout Ecran de Genève.
Complices – sorte de Roméo et Juliette moderne, sombre, dramatique, demeure pour autant lumineux grâce à la sensibilité du cinéaste et au jeu époustouflant de ces acteurs – a été tourné en quatre semaines à Lyon, dans des décors naturels, et achevé à Paris – ville d’adoption du cinéaste qui y vit avec sa famille - pour les intérieurs. Le film débute par la découverte d’un cadavre dans le Rhône. Les policiers chargés de l’enquête (tandem très convaincant constitué par Emmanuelle Devos et Gilbert Melki) découvrent très vite que Vincent (Cyril Descours) se prostituait, racolant ses clients sur internet. Le film entremêle deux histoires, superposées, qui s’enchevêtrent au fil de la narration : l’enquête policière proprement dite et l’histoire d’amour entre Vincent et Rebecca (Nina Meurisse, resplendissante).
Rencontre en toute convivialité avec un ancien collaborateur de Scènes Magazine.

Frédéric Mermoud

Quelle a été la genèse de ce projet ?
Un fait divers : deux jeunes étudiants de l’école de commerce en France avaient mis en ligne des annonces de prostitution pour des gens encore plus jeunes qu’eux. Toute cette petite clique, en fait, provenait de la classe, ce n’était même pas des personnes issues de la classe très défavorisé. Cela m’avait frappé que, tout à coup, il y ait un rapport totalement décomplexé au corps, à la sensualité. Je crois qu’il y a un nouveau rapport au corps chez les jeunes aujourd’hui.

Il est parfois difficile pour un auteur de définir le genre auquel appartient son film ? Complices est un polar, une romance, un harmonieux mélange des deux ?
Je crois que c’est d’abord une histoire d’amour qui s’inscrit effectivement dans le registre du film policier, mais c’est surtout un film de personnages, deux mondes qui se frôlent et le monde des adultes qui découvrent le monde des jeunes.

Quelle motivation vous a poussé à parler d’un sujet assez délicat, la prostitution des jeunes ?
Je trouve qu’aujourd’hui il existe un hiatus entre une précocité sexuelle très forte et, en même temps, les histoires d’amour à dix-huit, dix-neuf ans, qui restent toujours les mêmes quelque soit la génération. Ce clivage est assez symptomatique de ce qui se passe aujourd’hui. Il me semblait intéressait d’explorer la façon dont ces jeunes sont prêts à aller très loin tout en conservant des désirs et des sentiments amoureux assez classiques.

Comment définiriez-vous le monde des adultes ?
Le monde des adultes évolue plus dans une routine, une solitude, un désert affectif. Les deux adultes investis sur cette affaire – Gilbert Melki et Emmanuelle Devos – sont deux solitaires, ils découvrent tout un coup un monde pour lequel ils n’ont pas toutes les clefs. Ces policiers qui enquêtent vont découvrir que ces deux jeunes ont fait des bêtises, qu’ils ont été pris dans un engrenage et sont allés très loin. A un moment donné, les policiers doivent prendre une décision, ils se rendent compte que quelque chose leur échappe. C’est à ce moment-là que les deux univers se rejoignent et c’est d’ailleurs un des moments clefs du film. Je trouvais important d’avoir, d’une part, l’histoire des jeunes, frénétique, et d’autre part, ce regard des adultes qui médiatise presque celui des spectateurs. Les deux policiers pourraient aussi être notre regard à nous.

« Complices »

Vous êtes coutumier de Locarno pour vos cours métrages ; comment s’est déroulé le passage au long métrage ?
Ce qui est dur, c’est qu’il faut être très exigent tout le temps. Il faut assumer les décisions rapides, tout le temps suivre le parcours de son film et ne pas le perdre. On est souvent sollicité par des problèmes extérieurs, de scénario, de logistique, de finances, etc. A un moment donné, il faut prendre les bonnes décisions, c’est exaltant – c’est le travail du réalisateur, le seul garant de la cohérence et de la finalité du film in fine, c’est ce travail qu’il faut tout le temps assumer, inlassablement.

Le festival de Locarno est-il important pour la visibilité de vos films ?
Oui, c’est un moment important parce que, d’abord, c’est émouvant de présenter son film pour la première à un public qui le découvre. En plus, Locarno est un festival qui a pour vocation de défricher de nouveaux films, de nouveaux talents, de nouveaux réalisateurs et c’est vrai que j’ai un rapport assez privilégié avec ce festival avec mes courts métrages. C’est un bonheur de présenter mon premier long métrage ici même s‘ il y a un peu d’appréhension.

Qualifierez-vous votre œuvre de cinéma d’auteur ou cinéma populaire avec une exigence de qualité ?
Je pense qu’il faut être auteur et défendre un univers qui nous est propre, c’est là la force de notre cinéma. Si, en plus, notre cinéma est populaire et de qualité, c’est important de pouvoir s’adresser à un destinataire, peu importe le nombre, et que ce public ait plaisir en voyant mon film.

Votre film a un financement essentiellement français, des acteurs français, des lieux français ...
Il est vrai que le financement étant en majorité français, il coulait de source d’avoir des acteurs et des décors français. Je suis installé à Paris et j’ai donc plus de contacts professionnels en France. Mais j’avais besoin pour ce film de me raccrocher à un élément qui m’est proche, qui me rappelle mes racines, c’est pourquoi j’ai voulu tourner à Lyon où passe le Rhône qui naît en … Valais.

Propos recueillis par Firouz-Elisabeth Pillet