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A propos du film « Un homme et son chien »
Entretien : Francis Huster

Francis Huster évoque la réalisation de son dernier film, qui met en vedette Jean-Paul Belmondo.

Article mis en ligne le mars 2009
dernière modification le 25 mars 2009

par Firouz Elisabeth PILLET

Pour son film Un homme et son chien, Francis Huster a su convaincre Jean-Paul Belmondo, gravement handicapé par un accident cérébral, de revenir au cinéma.

Sans céder à la facilité, puisqu’il s’agit de rien de moins que d’une nouvelle version de cette formidable médiation sur la vieillesse et la solitude qu’avait été, en 1952, Umberto D, le film de Vittorio De Sica, Francis Huster offre un magnifique retour sur scène au comédien, malmené par la vie et rejeté par le milieu artistique. Pour ce projet, Jean-Paul Belmondo a tenu à ne pas être doublé, assumant pleinement sa nouvelle image. Les inconditionnels de l’icône de la Nouvelle Vague, à la gouaille intarissable et aux cascades multiples, risquent d’être un brin déçus. Quant aux autres, ils seront médusés de découvrir un acteur mis à nu qui se révèle empli d’émotion et d’authenticité. De passage à Genève, le temps de réaliser quelques entretiens, Francis Huster est si enthousiaste au sujet de son film qu’il est superflu de lui poser des questions. Rencontre.

Comment est née l’envie de faire ce film ? Avez-vous tout de suite pensé à Jean-Paul Belmondo pour le rôle de Charles ?
C’est un remake d’un des films de la fameuse trilogie du néorélisme de de Sica : Miracle à Milan, le Voleur de bicyclettes, Umberto D. D’ailleurs, l’affiche du film rappelle les affiches de cette époque. Je connais Jean-Paul depuis 40 ans. C’était au tout début de sa carrière, et il déboulait comme un cataclysme. Il réinventait le jeu d’acteur : le grand Belmondo, celui de Godard, de Melville, de Peter Brooks. Et puis voilà que L’homme de Rio lui est tombé dessus, comme un coup du destin. Un triomphe qui a tué Jean-Paul Belmondo et l’a fait devenir Bébel : une carrière immense, qui a engraissé tout le cinéma français pendant des décennies. Et puis, vers 50 ans, il a eu envie d’autre chose. Pierre Dux lui demande de revenir au théâtre : il achète un théâtre, pour réaliser ses rêves, jouer Cyrano, jouer Kean. Il lui était difficile alors de revivre au cinéma, qui n’était plus tout à fait celui qu’il avait connu. A quoi se sont ajoutés des drames dans sa vie, et pour finir son accident cérébral en 2000. Le monde du cinéma a alors pensé que c’était fini pour lui. Moi, j’ai toujours pensé le contraire. Et c’est pour cela que j’ai voulu faire ce film.

« Un homme et son chien » avec Jean-Paul Belmondo

Le résultat sur le grand écran vous donne raison …
J’ai eu la chance que le Bébel, le cascadeur qui sautait sur des hélicoptères, à la gouaille fameuse, fasse un film social, politique, qui, j’en suis certain, touchera le public profondément. Je n’ai rien exagéré par rapport à la France d’aujourd’hui qui est très proche de l’Italie peinte par de Sica. Jean-Paul est un boxeur ; avec ce film, c’est comme s’il gagnait un dernier match sur le ring par K.O., une revanche sur les épreuves de la vie et sur les personnes qui lui ont tourné le dos.

A-t-il été difficile de le convaincre à revenir sur un tournage ?
Il avait fermé sa porte. Beaucoup de propositions lui avaient été faites, il les avait refusées. Et puis est arrivé Jean-Louis Livi, qui voulait absolument le convaincre. Je lui ai dit qu’une idée m’obsédait depuis longtemps : reprendre Umberto D et l’ancrer dans la réalité de la France d’aujourd’hui. Je m’étais dit qu’il n’y avait pas d’autre acteur pour jouer ça : c’était un rôle pour Jean-Paul, le vrai, pas Bébel, Belmondo. On s’est donc mis à travailler le scénario, en focalisant tout sur Jean-Paul dans le rôle : et sans plan B. S’il n’acceptait pas, on ne le faisait pas. Quand le scénario a été prêt, on le lui a fait passer. Trois semaines après il nous appelle et nous dit : C’est d’accord, je le fais, mais à une seule condition : me filmer tel que je suis. C’est la grandeur de ce comédien qui a absolument tenu à ne pas être doublé, malgré son élocution ralentie. Il faut savoir que, quand Jean-Paul a eu son accident vasculaire cérébral, il ne pouvait plus ni bouger ni parler. Il a dû tout réapprendre. Les AVC restent méconnus du grand public, on n’imagine pas que cela peut aussi arriver à des personnes jeunes. Mais il y a une vie après un AVC et c’est ce que Jean-Paul a voulu montrer.

Le tournage a-t-il été fatigant pour lui ?
Ce n’était pas évident à préparer, d’autant que je voulais tous ces grands acteurs, de sa dimension, à ses côtés. Le jour où nous avons commencé, on devait tourner à 14h30. À 11h30, il était là, fin prêt. Et il a été là tous les jours, à l’avance, et toujours prêt. Et toujours le dernier à quitter le plateau le soir, à 20h. Ce film était son 85e. Je crois que pour lui, ça a été un des deux ou trois tournages les plus marquants de sa carrière. Jean-Paul a montré ici son vrai visage, ses rides, sa barbe, ses traits tirés. Sa vérité, sa vie. Et moi, la vie, il n’y a que ça qui me passionne. Je le montrais tel qu’il était et il n’a jamais été aussi beau. La scène où il joue avec ma fille cadette, Toscane, assis sur le banc public, est emplie d’émotion ; Jean-Paul comme Toscane se sont laissés prendre par la scène et l’émotion les a tous deux submergés.

Une pléiade d’acteurs l’entoure ; était-ce une volonté de lui rendre hommage ?
Jean Dujardin m’a sollicité car il admire tellement Jean-Paul qu’il tenait à jouer avec lui. Il y a plusieurs générations d’acteurs : les anciens copains des années 50-60 qui tenaient à lui donner la réplique en clin d’œil à leur amitié, comme Daniel Prévost, Max von Sydow, Pierre Mondy, Jean-Pierre Marielle, Charles Aznavour, Micheline Presle ; et la jeune génération qui voulait rendre hommage tant à l’homme qu’à ce qu’il représente pour la profession : José Garcia, Michel Bernier, Antoine Duléry, Anthony Delon.

Votre héros se prénomme Charles, comme votre père ?
J’ai choisi Charles en songeant à Charles Chaplin, Charles Aznavour, Charles Trénet, sans savoir que le deuxième prénom de Jean-Paul Belmondo était Charles ; j’ai réalisé ensuite que mon propre père s’appelait aussi Charles.

Avez-vous besoin de digérer ce film ou remettez-vous déjà au labeur ?
Je n’ai pas besoin de me reposer, au contraire, le travail stimule mon inspiration. J’ai attendu plus de vingt ans après On a volé Charlie Spencer pour réaliser Un homme et son chien ; j’ai de nombreux projets : un remake du Topaze de Pagnol, un nouveau Cid, un remake du Kid de Cincinnati (le classique de Norman Jewison avec Steve McQueen) et même un nouveau Sissi… Dans l’immédiat, je pense m’atteler à La Bête humaine.

Propos recueillis par Firouz-Elisabeth Pillet