Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

A propos du film « La Forteresse »
Entretien : Fernand Melgar

Fernand Melgar évoque les circonstances ayant présidé à la réalisation de son dernier film.

Article mis en ligne le décembre 2008
dernière modification le 21 janvier 2009

par Firouz Elisabeth PILLET

Dans son dernier film La Forteresse, tourné pendant deux mois au centre de requérants d’asile de Vallorbe, le cinéaste vaudois d’origine espagnole Fernand Melgar donne à voir les coulisses d’un univers souvent imaginé à tort, insoupçonné, où des destins se croisent, échangeant quelques bribes d’humanité.

Léopard d’Or à Locarno, primé au Festival international du documentaire de Téhéran, le documentaire de Fernand Melgar poursuit sa carrière internationale, parcourant les festivals de Buenos Aires, Florence, et de Gijon. Même si le traitement est local, la portée du message du film s’avère universelle.

« La Forteresse »

Comment est né ce film ?
En septembre 2006, le 24 septembre précisément, quand le peuple suisse a approuvé à 68% le durcissement des lois sur l’asile et sur l’immigration extracommunautaire. Je venais, quelques mois auparavant, de me naturaliser suisse. Cela m’a vraiment profondément fait mal. Je me demandais dans quel pays je vivais. En tant que fils d’étrangers saisonniers, cela me replongeait dans mon enfance. Cela m’a rappelait ce qu’avaient vécu mes parents dans les années 70 avec la loi Schwarzenbach qui n’avait pas passé. Je me suis demandé quel allait être l’endroit qui allait cristalliser cette volonté du peuple. C’était un point de départ : une nouvelle loi va être appliquée, elle va être durcie, selon la volonté du peuple, et je voulais pouvoir l’observer quelque part. Le lieu idéal pour le faire était un centre d’asile. Il y a en cinq en Suisse : Vallorbe, Chiasso, Bâle, Kreuzlingen, Altstätten. Un centre de requérants d’asile est un endroit d’observation idéal. La procédure implique que ces centres d’asile sont seulement des lieux de transit. Ces requérants sont confiés pendant soixante jours à ce lieu confiné. Je souhaitais pouvoir y rester soixante jours aussi pour capter la réalité d’un tel lieu, pour pouvoir y observer l’application concrète de cette loi.

Comment avez-vous envisagé ce tournage ?
Des membres de mon équipe et moi-même avons séjourné pendant six mois en amont du tournage pour s’intégrer et se faire accepter. Nous y avons partagé le quotidien des requérants pour comprendre le fonctionnement du centre. Quand nous sommes arrivés avec les caméras, ils nous connaissaient déjà bien. Quand on a gagné la confiance d’un Togolais ou d’un Nigérien, on a celle de toute son ethnie ou nationalité. C’est un phénomène intéressant à constater.

Que recherchiez-vous ?
Comme dans mon film précédent, Exit, qui filmait des personnes en train de mourir, je recherchais la vie. Dans un endroit qui a l’air exclu de l’humanité, qu’y reste-t-il d’humain ? Les choses ne sont pas simples mais au contraire, très complexes. En tant que documentariste, il était important pour moi de ne pas stigmatiser les bons d’un côté, les méchants de l’autre. Comment les frères humains s’arrangent et trouvent un terrain d’entente sur la question ? J’essaie de sortir du discours manichéen qui oppose les moutons noirs et les moutons blancs, comme la fameuse campagne de l’UDC. Je crois que nous devons être capables d’explorer les zones grises.

« La Forteresse »

Comment s’est déroulé le tournage ?
C’était important pour moi d’obtenir des fonctionnaires fédéraux comme des requérants qu’ils apparaissent à visage découvert. Souvent, quand on parle de requérants d’asile, les visages sont floutés et, même si la personne est la plus sincère du monde, on a tendance à sen méfier.
Vous aviez un lien très personnel avec la problématique de l’émigration ?
Ma famille est andalouse. Mon père est arrivé comme saisonnier et a vécu dans des baraquements tout en travaillant pour un salaire de mi-sère. Il a fait venir ma mère clandestinement et je devais vivre caché. Si quelqu’un frappait à la porte, on me cachait sous le lit. En 1996, après 27 années de travail en Suisse, mes parents ont décidé de rentrer en Espagne. Je ne suis Suisse que depuis peu.

Lors du dernier Festival de Locarno, sur la Piazza, vous avez dédié ce film à votre père, trop tôt disparu pour le découvrir ?
Oui, en effet, car c’est grâce à lui et à ce qu’il m’a enseigné que je suis devenu qui je suis. C’était important pour moi de lui rendre hommage car il a vécu plus d’un quart de siècle dans ce pays, y a travaillé à la force de ses mains et de son front sans jamais pouvoir y voter. Du temps de mes parents, il existait un permis « A » qui donnait le droit de travailler neuf mois mais sans pouvoir faire venir sa famille. Une situation idéale pour la Suisse qui disposait ainsi d’une main-d’œuvre expulsable à souhait, renouvelable et sous contrôle. Depuis que la Suisse a signé les accords bilatéraux avec l’Union européenne, ce permis n’existe plus. Du coup, les travailleurs deviennent clandestins et risquent l’expulsion du jour au lendemain. Aujourd’hui, travailler illégalement peut vous conduire en prison. Y compris dans le cas de mineurs : c’est une situation unique au monde.

Frédéric Maire a soutenu votre projet avant que le film ne soit monté ?
Oui, je ne connaissais pas Frédéric Maire auparavant, seulement de nom. Il a tout de suite été enthousiasmé par ce projet et m’a indiqué qu’il programmait mon film pour l’édition 2008 du Festival de Locarno alors que le film en était au montage. Je lui suis très reconnaissant de m’avoir accordé une telle confiance.

Propos recueillis par Firouz-Elisabeth Pillet