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En marge du film “Dirty Money"
Entretien : Dominique Othenin-Griard et Fausto Cattaneo

Dominique Othenin-Girard s’est inspiré du livre de l’ex-commissaire de police Fausto Cattaneo pour son dernier film, L’infiltré.

Article mis en ligne le mai 2009
dernière modification le 10 mai 2009

par Firouz Elisabeth PILLET

Après le très réussi Henri Dunant, le nouveau film du réalisateur
neuchâtelois Dominique Othenin-Girard, L’infiltré (Dirty money) s’inspire largement de l’expérience de l’ex-commissaire de police tessinois Fausto Cattaneo, dévoilée dans son livre sorti en 2001, Comment j’ai infiltré
les cartels de la drogue
.

Marc Girard doit agir au plus vite ; agent infiltré de la police secrète genevoise, Marc se soucie peu du protocole : il ment, il triche, il se joue de tout le monde, et si nécessaire, même de ses supérieurs hiérarchiques ! Il ne poursuit qu’un but : attraper des mafieux de haut vol qui arrivent à Genève pour blanchir 60’000’000 de francs suisses. Les policiers sont sur les nerfs. Comble de l’infiltré : Marc tombe éperdument amoureux de la fille de sa cible, un impitoyable trafiquant international.
Le film ne marquera certainement pas les esprits, ni par un jeu d’acteurs convenu et figé, ni par un scénario peu original, mais par les remous si inhabituels qu’il suscite à l’aurore de sa sortie sur les écrans romands.
Entretien croisé entre l’ex-commissaire devenu auteur et le cinéaste, lors de leur passage à Genève.

Est-ce la lecture de la biographie de Fausto Cattaneo qui a suscité votre envie de faire ce film ?
Oui, j’ai reçu le livre écrit par Fausto Cattaneo, Comment j’ai infiltré les cartels de la drogue, par le producteur André Martin. Je me suis beaucoup identifié avec Fausto pour son analyse logique de continuer ses actions.
En refermant ce livre, je pensais qu’il n’était pas possible que dans les endroits où j’ai grandi : le Château d’Ouchy, Le Débridé à Rolle, il y ait eu du trafic de drogue. C’est une image de la Suisse que l’on ne connaît pas. Je me suis dit qu’il fallait raconter cette histoire d’une Suisse que l’on ne connaît pas, qui détonne de la carte postale. J’ai été inspiré par Fausto qui a été extraordinaire. Il mène une vie impossible, où il lui est difficile de concilier vérité et mensonge, vie publique et vie professionnelle. Devant sa cible, il ne doit pas être découvert. La police, la politique le mettent souvent en danger.

Dominique Othenin-Girard

Fausto Cattaneo, comment vivez-vous l’adaptation de votre livre sur le grand écran ?
Dominique Othenin-Girad a touché de nombreux points qui sont réels, que j’ai vécus personnellement, au risque de ma peau. Je suis devenu agent infiltré par nécessité d’enquêtes. Chaque jour, je devais charger de petites fourmis, plus faciles à attraper, alors qu’on laisse les éléphants dehors. Cela satisfait les hommes politiques car cela alimente les statistiques qu’ils souhaitent présenter. On peut faire un million d’enquêtes sur les fourmis mais cela ne sert à rien. J’aime dire que la mère des imbéciles comme la mère de la corruption est toujours enceinte. Ce n’est pas vrai de dire qu’il existe le crime organisé mais il est juste de dire qu’il existe , au niveau mondial, un système politique corrompu qui soutient les divers trafics.

Votre parcours est jalonné d’étapes-phares, de gros coups ?
J’ai infiltré les cartels de la drogue à la fin des années quatre-vingts. En 1987, je suis parvenu à faire tomber un réseau turc, la Lebanon connection. En 1989, l’arrestation d’un réseau colombien, importateur de cocaïne en Europe, me vaut des récompenses, des distinctions multiples. La chance tourne en 1991 quand je suis démasqué ; au Brésil, je dois me cacher dans les favelas et rentrer en Suisse. Mis à l’écart, je me suis retiré pour écrire l’histoire de mon expérience.

Quel a été votre contribution pendant le tournage ?
Dominique m’a surtout questionné sur l’infiltration. L’infiltration relève de la haute spécialité, tout le monde ne peut pas s’infiltrer. Ce qui importe, c’est de gagner la confiance de la personne que vous poursuivez, en restant dans les limites de la loi. On ne peut pas accepter les provocations. Il faut parvenir à contrôler ses émotions face à son adversaire. Parfois, j’avoue que, caché dans ma chambre, j’ai pleuré pour sortir tout le stress émotionnel que j’avais en moi. Souvent, j’ai du retenir et contrôler mes émotions face à un des grands trafiquants d’armes ou de stupéfiants. Dans ces situations, j’ai toujours beaucoup pensé à ma femme, à ma fille, à tous ceux que j’aime et qui m’aiment. Les intérêts en jeu sont énormes, on n’arrivera jamais à trouver une solution. On continuera à se battre contre les moulins comme Don Quichotte.

Fausto Cattaneo, Dominique Othenin-Girard a-t-il su rendre les sentiments que vous avez traversés ?
Oui, surtout la terrible solitude, le sentiment d’abandon, je pensais souvent au suicide comme à une libération. En froid avec Carla del Ponte, qui ne m’a pas soutenu alors qu’elle était procureur de la Confédération, j’ai pris une retraite anticipée. En écrivant, le livre, je perdais de la valeur aux yeux de mes adversaires puisque je dévoilais tout ce que je savais, je me libérais ainsi du contrat de mort qui avait été placé sur ma tête. C’était un stress psychologique fort, j’étais au bout du rouleau.
Avec conviction, et surtout avec de bons magistrats comme Dick Martin, on a réussi à obtenir de bons résultats.

Dominique Othenin-Girard, votre nouveau film est un thriller, un genre que vous affectionnez ?
Je trouve que le genre thriller-polar est très actuel. Nous sommes bombardés par des publicités, des affiches, des messages divers, notre attention est beaucoup plus courte qu’il y a trente ans. Ce genre se prête donc à notre capacité d’attention. Mes modèles sur ce film sont les grands films américains. Mais j’ai en tête une citation de Berthold Brecht qui disait : « Il y a pire que braquer une banque, c’est d’en fonder une. » Cette phrase m’a guidée dans mon travail.

« Dirty Money » (L’infiltré), de Dominique Othenin-Girard.
Photo Philippe Christin

Quel travail avez-vous fait en amont du tournage ?
L’écriture du scénario a pris à peu près quatre ans, pour arriver à une histoire naturaliste mais aussi une fiction. Tous les personnages passent par moi, deviennent moi, l’identification est nécessaire mais c’est surtout Fausto qui m’a inspiré de manière extraordinaire.
Nous n’avons pas eu de véritables empêchements ou de menaces. J’ai eu un avertissement. Un haut placé à l’UBS à Munich m’a averti de ne pas faire ce film, me rappelant que le pouvoir est dans certaines mains. Tous mes personnages sont tourmentés, nourris et en quête de pouvoir. Nous avons tourné les scènes dans le quartier des banques sans autorisation et avec une équipe volante. Nous avons demandé à pouvoir tourner dans certaines banques mais ces demandes ont toutes été rejetées (éclats de rires).
Il fallait adapter les situations au contexte actuel, avec les multiples problèmes qui touchent les banques.

Quelles ont été les difficultés rencontrées sur le tournage ?
C’est difficile de faire un film avec un budget limité et autant de lieux – la Turquie, Paris, Genève, l’Italie – mais j’ai bénéficié d’une équipe soudée qui se serrait les coudes. Antoine Basler est magnifique mais tous les autres acteurs, essentiellement romands, ont tous été fabuleux. Fausto m’a beaucoup aidé et j’ai reçu le soutien et l’appui de ses collègues. Jacques Kaeslin m’a aidé à être précis et véridique dans les détails. Le commissaire infiltré est toujours en porte-à-faux.
C’est une histoire forte, avec un ton décapant, mais il y a aussi de l’humour, du romantisme. C’est une fiction. La romance appartient au film, et non au livre.

Dominique Othenin-Girard, vous êtes un cas à part dans le paysage cinématographique suisse ; vous avez touché au film d’horreur, au thriller, à l’action, mais aucun film intimiste ne figure dans votre filmographie ? Etes-vous réellement Suisse ?
(rires) Je suis bel et bien un réalisateur suisse (né au Locle il y a cinquante ans) et j’adore mon pays. Chaque film représente une psychothérapie. Chaque film permet de soigner quelque chose. L’infiltré est sur le mensonge, sur le port du masque qui me dérange. Je retrouve mes racines avec ce film. Il y a environ vingt ans, avec la Télévision suisse romande, j’ai fait un film très fort, Piège à flics, très décapant. Les sujets forts, qui vont loin, qui osent parler de politique et d’actualité, me motivent. Je suis là pour donner une image positive de la Suisse, et cela peut se faire seulement par l’honnêteté.

La sortie de votre film intervient au moment où la place financière suisse est malmenée ; votre film vient confirmer ce qui se dévoile actuellement. On vient d’apprendre qu’un avocat genevois a tenté de retirer le film des affiches romandes mais sa requête a été déboutée.
Cela ne m’étonne pas du tout. Nous sommes très proches de la vérité. Nous souhaitons raconter et dénoncer le système qui permet aux banques suisses d’accepter de l’argent sale, appuyé par une corruption de hauts magistrats placés au sein de notre Confédération. Le film va se faire attaquer de tous côtés car nous racontons comment on peut, en Suisse, accepter de l’argent sale pour le blanchir. Il faut savoir nettoyer la table, accepter nos erreurs. Maintenant, l’UBS commence à détruire l’image d’une Suisse de carte postale à l’étranger. Corrigeons le tir. Nous savons parler de nous-mêmes et nous reconnaissons nos erreurs. Le film est une table ouverte pour le dialogue. Je reste confiant.

Propos recueillis par Firouz-Elisabeth Pillet