Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

En marge du FIFDH
Entretien : Abderrahmane Sissako

Abderrahmane Sissako évoque la création de l’Association des Cinémas pour l’Afrique, et l’importance qu’elle revêt.

Article mis en ligne le avril 2010
dernière modification le 25 mai 2010

par Firouz Elisabeth PILLET

Abderrahmane Sissako était parrain, avec Juliette Binoche, du Pavillon Les cinémas du monde, lors du 62e Festival de Cannes ; un pavillon destiné à promouvoir la diversité culturelle, en offrant une visibilité aux films d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique, le parent pauvre des programmations.

Sensibilisation
Présidé par le cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako, l’Association des Cinémas pour l’Afrique a donc entamé en 2009 une campagne de souscription auprès de donateurs publics et privés en mettant en vente symboliquement à un prix forfaitaire des fauteuils de cinéma afin de réhabiliter la salle Soudan Ciné, à Bamako (Mali). La comédienne Juliette Binoche a rejoint l’association en devenant sa vice-présidente.
L’ampleur du travail à effectuer est immense, l’importance de poursuivre les efforts fondamentale. Ainsi, le cinéaste mauritanien et l’actrice française ont poursuivi leur campagne de sensibilisation à la cause du cinéma africain lors du Festival international du Film des Droits humains.
La 8e édition de ce Festival, qui s’est tenue du 5 au 14 mars à la Maison des arts du Grütli, base sa programmation sur la ligne conductrice – un film, un sujet, un débat. Les thématiques de l’édition 2010 sont d’une brûlante actualité : Solidarité avec le peuple iranien ; Respect pour les Roms ! ; Les peuples autochtones sacrifiés ; Russie : la liberté de se taire ; La traite des femmes ; Birmanie : élection sous surveillance ; L’Irak après les élections ; L’Islam en Europe.

Le 7 mars, dans la salle Michel Simon, au CAC, le FIFDH a accueilli Juliette Binoche, Abderrahmane Sissako et Barbara Hendricks – marraine de l’Association - qui sont venus présenter au public du Festival l’initiative “Des cinémas pour l’Afrique“ et ont témoigné de l’importance de ce projet.

Abderrahmane Sissako plaide la cause du cinéma africain, ici en compagnie de Juliette Binoche

Comment est née votre association pour les cinémas d’Afrique ? Dans un souci de sauvegarder la densité des cultures du continent ? Pour éviter l’ « acculturation », pour reprendre vos termes ?
L’Association pour les cinémas d’Afrique a pour mission de soutenir la rénovation des salles de cinéma du continent en les dotant de la technologie numérique permettant ainsi de palier les problèmes actuels de l’exploitation et de la distribution des films. En effet, alors que le public africain a besoin de voir ses propres images, les salles de cinéma ferment les unes après les autres, faute d’un modèle économique adapté au contexte.

Le continent africain a vu disparaître progressivement ses salles de cinéma. A quoi est dû ce désintérêt pour un lieu de culture populaire par excellence ?
Les priorités de nos politiciens sont ailleurs, au détriment de notre patrimoine culturel et de notre diversité…

Les nouveaux supports (internet, téléphones portables, etc.) ont-ils contribué à la perte des salles de cinéma ?
Je fais des films pour qu’ils soient projetés dans une salle. Paradoxalement, mes films sont vus ailleurs que dans mon pays d’origine, la Mauritanie, essentiellement dans les festivals européens. Il faut évoluer avec son temps et accepter l’exploitation sur les téléphones portables ou les ordinateurs. Mais le spectateur doit avoir le choix. Le numérique va jouer un grand rôle ; ainsi, on restaure la salle Soudan Ciné, à Bamako (Mali), qui sera première salle numérique de l’Afrique sub-saharienne. Un format qui évitera le problème de la circulation des copies, un problème récurrent et prédominant en Afrique actuellement.

Dans la plupart des festivals européens – Cannes, et même Locarno qui accueillait le cinéma africain il y a encore quelques années – l’Afrique semble le continent oublié des programmations ? Comment expliquez-vous ce manque de visibilité ?
Une politique de soutien affirmée des films en Afrique fait défaut. La plupart des réalisateurs africains s’autoproduisent. La France dispose de moins de moyens que les Etats-Unis mais elle a un cinéma. Elle a aussi la culture d’aller dans les salles de cinéma car il existe une volonté politique de soutenir et favoriser la création cinématographique. Or, sans politique d’encouragement, très peu de jeunes Africains vont y croire et envisager leur avenir dans cette voie.

De manière corollaire à la réhabilitation de salles de cinémas, votre association envisage-t-elle de solliciter un soutien politique pour assurer la viabilité de vos actions ?
J’estime qu’il est urgent de montrer les drames qui se jouent en Afrique – l’exploitation des enfants-soldats, la traite et les viols des femmes – et le cinéma est le moyen le plus efficace pour le faire. L’Afrique est un continent qui ne se raconte pas ; le cinéma doit servir à informer et sensibiliser le public aux blessures du continent africain.

Quels sont vos objectifs et vos priorités quant à l’action de l’Association ?
Dans l’immédiat, la réhabilitation de la salle Soudan, à Bamako. Dans un pays où la qualité artistique de nombreux réalisateurs (Sembène Ousmane, Souleymane Cissé) est reconnue, seuls quelques écrans restent en fonctionnement. Le Soudan Ciné, fermé depuis 14 ans, était jadis un haut lieu de diffusion du cinéma en Afrique de l’Ouest. C’est dans ce cinéma mythique que sont nées les vocations cinématographiques de cinéastes maliens de renom.

Propos recueillis par Firouz-Elisabeth Pillet