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En direct de Cannes 2011 : “We need to talk about Kevin“, “Sleeping beauty“ et “Michael“
Article mis en ligne le 19 mai 2011
dernière modification le 29 octobre 2011

par Firouz Elisabeth PILLET

Après quelques jours sur La Croisette pour cette 64e édition du festival de Cannes, plusieurs films flirtent avec les frontières de la perversion, les franchissant allègrement parfois, et suscitant simultanément fascination ou aversion, applaudissements soutenus ou sifflements véhéments.

We need to talk about Kevin, Sleeping beauty et Michael

La Compétition pour la Palme d’Or a été entamée par la projection du film We need to talk about Kevin , de l’Anglaise Lynne RAMSAY, un film qui revendique une certaine violence comme une noirceur, mais qui ne parvient pas à faire mouche à force de trop vouloir en faire, et ceci dès la scène d’ouverture qui nous entraîne dans les rues ensanglantées de la Fête de la Tomate à Buñol. Lynne RAMSAY s’attaque à un sujet qui a déjà fait les grandes heures de la Croisette, avec des films comme Bowling for Columbine ou Elephant, de Michael Moore ou Gus Van Sant, qui condamnaient fermement l’usage non règlementé des armes à feu, en revenant sur les massacres commis dans des lycées américains par des adolescents.

« We need to talk about Kevin » de Lynne Ramsay

Lynne Ramsay s’intéresse plus particulièrement à la mère du tueur, qu’on va suivre dans une succession de séquences anachroniques à différentes étapes de sa vie et de celle de son fils. On la voit notamment deux ans après le massacre, traquée telle une pestiférée, objet de menaces et d’intimidations quotidiennes, ostracisée par toute la communauté, mais le montage oscillant entre paé insouciant et présent douloureux, la montre aussi à la naissance de son fils, qui hurle incessamment et lui met les nerfs en boule dès les premières couches culottes… La désespérant jusqu’au jusqu’au jour fatal. La mère est formidablement interprétée par la mystérieuse Tilda Swinton, à la beauté diaphane. Le fils meurtrier est interprèté par le jeune Erza Miller, tout juste dix-huit ans, qui électrise l’écran à chacune de ses apparitions, excellant dans le jeu du manipulateur pervers et narcissique, et qui semble au début d’une carrière prometteuse ; tous les acteurs sont excellents, mais le film a tôt fait d’agacer par l’insistance démultipliée et surlignée des effets, sa façon de tout souligner, sa pléthore de métaphores qui rappellent lourdement la culpabilité d’une mère qui n’a pas su s’occuper de son fils, culpabilité exacerbée par le jugement de la société bienpensante.

De la perversion et de la manipulation, les friands du genre en trouveront encore dans un second film de la compétition, lui aussi signé par une femme : Sleeping Beauty , de l’Australienne Julia LEIGH, qui signe ici son premier film. La Belle Dormeuse, alias Lucy, est une étudiante qui cumule les petits boulots médiocres jusqu’à ce qu’on lui propose, contre forte rémunération, de se faire régulièrement endormir pour passer la nuit dans une luxueuse villa. Ce qui se passe la nuit, elle l’ignore, mais pas le spectateur : des vieillards fortunés viennent la rejoindre pour y accomplir, comme ils peuvent, leurs fantasmes séniles et libidineux.

« Sleeping Beauty » de Julia Leigh

Emily BROWNING incarne merveilleusement ce rôle difficile ; le récit, tout en ellipse, contraint le spectateur à laisser galoper son imagination pour combler les lacunes du scenario… Car, il faut l’admettre, cette narration elliptique qui questionne sans jamais répondre finit par agacer. Julia LEIGH est connue comme une excellente romancière, férue de de Sade et Georges Bataille, et assume la forte influence que Jane Campion a sur elle ; elle révèle ici un véritable sens de la mise en scène et de l’image, ce qui est remarquable pour un premier film, un film qui divise beaucoup la critique à Cannes, ce qui est toujours de bonne augure pour une récompense.

Autre premier film d’un ancien directeur de casting, Michael semble être, à s’y méprendre, le calque de la détention forcée de Natascha Kempush bien que le réalisateur, Markus Schleinzer, et son acteur Michael Fuith, s’en défendent : ainsi suit-on la vie exemplaire du parfait employé d’assurance, irréprochable, mais bien solitaire qui fuit même les réunions en famille. Et pour cause, ce personnage solitaire est un pédophile qui conserve prisonnier chez lui un jeune esclave sexuel de dix ans. Le film le suit au quotidien, chez lui, au travail, en vacances de ski, et même lors de la soirée organisée pour fêter sa promotion.

« Michael » de Markus Schleinzer

Mais à force de vouloir pousser l’identification de la caméra avec le tortionnaire, le film ne dit rien qui ne sorte des clichés. Le cinéaste recourt à une écriture glaciale, lugubre, histoire de conserver la distance nécessaire pour éviter l’empathie et le syndrome de Stockholm, sans pour autant éviter les écueils de l’identification, de la dramatisation et du suspens. Bref, le film suggère des réflexions sans y répondre, et la chute laisse insatisfait… Il a déjà suscité la polémique vu le traitement du sujet, d’aucuns l’ont qualifie de putassier….

Firouz-Elisabeth Pillet