Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Humeur
Cinéma : L’Air du temps

avis

Article mis en ligne le 7 avril 2021

par Raymond SCHOLER

« CANCEL CULTURE » sonne comme CANCER DE LA CULTURE...
Michel Ciment met les points sur les i : voilà ce qui nous pend à notre nez culturel !

« Des vents mauvais soufflent des États-Unis, et cette fois, ils n’émanent pas de l’ex-président et de son parti. Il faudra du courage au centriste Joe Biden pour freiner les éléments les plus radicaux chez les démocrates. Récemment, sous l’influence de la cancel culture, deux universités du Wisconsin ont supprimé toute référence à Fredric March, leur ancien étudiant, et enlevé son nom des salles de cinéma de leur campus. Un groupe d’activistes a découvert qu’à 21 ans, l’interprète de Sérénade à trois, lauréat de deux Oscars pour Dr Jekyll et Mr Hyde et Les Plus Belles Années de notre vie, avait appartenu en 1919, pour quelques mois, à un groupe proche du Ku Klux Klan sans qu’on ait pu trouver une seule déclaration qui ferait de lui un suprémaciste blanc. Ainsi, une des consciences de Hollywood, fondateur, avec Fritz Lang et Dorothy Parker, de la Ligue antinazie en 1936, défenseur des droits civiques et des Afro-Américains, combattant contre l’antisémitisme, ami de Martin Luther King, se trouve condamné à l’oubli par les universités de Madison et d’Oshkosh. Autres enfants du pays, hier, c’était Lillian Gish, demain peut-être, Orson Welles. Comme le membre du Congrès Adam Schiff le dit : Sur les réseaux sociaux, la peur, le mensonge et la colère voyagent beaucoup plus vite que la vérité. »(Michel Ciment, éditorial, Positif janvier 2021)

Matthew Macfadyen dans « The Assistant »
© Forensic Films

Lillian Gish avait bien sûr été l’interprète sublime et fidèle de cet horrible raciste qu’était David W. Griffith. John Wayne avait, en 1971, dit des conneries (reflétant probablement ce que pensait à ce moment-là la majorité de ses concitoyens) dans une interview de Playboy, ce qui lui vaut maintenant de voir son nom retiré d’un aéroport du Texas et l’annulation d’une exposition qui lui était consacrée dans une université. Et dernièrement le pauvre Dr. Seuss, mentor fidèle de tous les bambins américains de toutes races et convictions religieuses, voit retirer une demi-douzaine de ses ouvrages pour Dieu sait quelles indélicatesses insoupçonnées.

À la suite de #MeToo et du mouvement Black Lives Matter, l’horizon de l’expression libre s’obscurcit de plus en plus outre-Atlantique et les nuages avant-coureurs arrivent aussi dans nos pays éclairés. À la Berlinale de 2020, un des films les plus acclamés (lire les textes sur l’affiche ci-contre) fut THE ASSISTANT de l’Américaine Kitty Green. Comme il a eu sa sortie romande coupée après 10 jours d’exploitation, il va sans doute refaire surface en avril. C’est la raison pour laquelle je joins la critique, que je juge fondamentale, de Jean-François Rauger dans le Monde du 12 octobre 2020, où il parle du festival de Deauville sous le titre Le cinéma indépendant américain saisi par le puritanisme.

Julia Garner dans « The Assistant »
© Forensic Films

« Le film détaille la terne journée de travail de Jane, qui est l’assistante d’un producteur de films. Si l’homme n’apparaît jamais à l’image, on devine très vite qu’il s’agit d’un grand consommateur de femmes, qui les possède notamment sur le canapé de son bureau ou dans une chambre d’hôtel aux heures du déjeuner. Réduite à effectuer des tâches ingrates, en proie à la misogynie condescendante de ses collègues masculins, l’héroïne du film tente de dénoncer les agissements de son patron pour un motif difficile à saisir. Elle n’est, en effet, aucunement l’objet d’une menace sexuelle de celui-ci, et rien dans ce que l’on perçoit de la conduite de l’homme ne dénote la moindre violence vis-à-vis de ses maîtresses de passage. Tout se passe comme si les auteurs cherchaient, en décrivant une victimisation imaginaire, un objet d’indignation désespérément introuvable. Cette déclinaison paranoïaque d’un univers qui ne serait pas encore sauvé par #metoo sombre dans l’absurdité totale lorsque le film laisse tout le loisir au spectateur de soupçonner que la jeune assistante réagit par dépit et en veut à un homme qui ne témoigne d’aucun désir sexuel à son égard. THE ASSISTANT ne constitue pas seulement l’exemple d’un film qui souffrirait d’un scénario mal écrit. Il apparaît comme une pure construction idéologique, le cauchemar d’un monde où l’homme serait fantasmé comme un prédateur ontologique. » Rauger constate aussi que, dans les autres films du festival, la « nudité féminine semble désormais devoir être contournée, voire évitée, même dans les scènes de lit pourtant nécessaires à la narration. Les personnages féminins font l’amour en gardant systématiquement un soutien-gorge. Le souci des cinéastes semble être aujourd’hui celui de ne pas se voir soupçonnés de vouloir rassasier un regard masculin qui, par essence, serait suspect. » Dont acte.

Raymond Scholer