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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - septembre 2020

Compte-rendu

Article mis en ligne le 1er septembre 2020
dernière modification le 2 octobre 2020

Où l’on évoque la réouverture des cinémas, et la version 2020 “online“ du Far East Film Festival, Udine...

Réouverture des salles
Depuis début juin, les cinémas romands sont à nouveau opérationnels, mais le menu des multisalles pâtit de l’absence de produits hollywoodiens, obligeant les rares cinéphiles, dûment masqués, qui seraient prêts à risquer leur vie pour retrouver le grand écran, de se contenter du prêt-à-regarder franchouillard de facture assez convenue. Quelle extase est en effet promise par les titres du genre : T’es pécho , Les blagues de Toto ou Tout simplement noir  ?

De gauche à Droite : Dakota Johnson (Maggie Sherwoode), Ice Cube (Jack Robertson) et Tracee Ellis Ross (Grace Davis) dans « The High Note »
© Glen Wilson/Focus Features)

Un conte de fées nous rappelant l’âge d’or du cinéma américain nous est bien proposé sous le titre de The High Note (La Voix du succès de Nisha Ganatra), mais nos critiques, par la pandémie aigris, ont dénigré d’office cette « bluette sans consistance » qui narre l’histoire de Maggie, l’assistante de la chanteuse légendaire de rhythm & blues Grace Davis. Elle rencontre un aspirant musicien au talent prometteur et à la voix dorée dont elle veut promouvoir la carrière en devenant sa productrice. Sans se douter qu’il est le fils de sa diva de patronne, fils qui veut faire ses armes sous un pseudo sans l’aide de maman. Happy end donc programmé sur toute la ligne, mais tellement bienvenu par ces temps moroses d’économie en berne. Je ne connais guère le monde des musiciens et des enregistrements, mais toute la partie technique me semblait criante de vérité. Les trois comédiens qui portent le film sont charismatiques : Tracee Ellis Ross, la fille de Diana Ross, dans le rôle de la star quinquagénaire ; Dakota Johnson, la fille de Don Johnson et Melanie Griffith (dont elle a hérité la douceur intrinsèque) dans celui de Maggie ; et Kelvin Harrison Jr., musicien professionnel, dans celui du jeune prodige.

Anya Taylor-Joy et Bill Nighy dans « Emma »

Autres mets cinéphiliques plus consistants : Seberg (Benedict Andrews), où Kristen Stewart se coule dans la peau de la petite Américaine, épouse de Romain Gary, qui donna la réplique à Belmondo dans À bout de souffle et nous fait sentir la terreur de se sentir persécutée par le FBI ; Emma (Autumn de Wilde), une nouvelle adaptation irrévérencieuse de Jane Austen par une photographe de renom qui, à 49 ans, réalise son premier long métrage, et son film montre que la relève est assurée chez les jeunes acteurs, Anya Taylor-Joy marchant avec assurance sur les traces de Gwyneth Paltrow, Romola Garai et Kate Beckinsale ; ou encore Where’d you go, Bernadette (Richard Linklater), où l’architecte Cate Blanchett redécouvre, lors d’un voyage imprévu en Antarctique, son sens égaré de la créativité.

Mais les deux meilleurs films découverts ces derniers temps le furent au cinéma Bellevaux à Lausanne. Atlantis de l’Ukrainien Valentyn Vasyanovych est une dystopie qui imagine les effets de la guerre russo-ukrainienne sur la topographie du Donbass en l’an 2025, soit un an après la fin des combats : une catastrophe écologique de proportions tchernobylesques a transformé la région en un désert rocailleux où l’eau doit être amenée en citerne. Serge, un soldat démobilisé, essaie de se remettre des traumatismes du combat en aidant des bénévoles à la recherche et à l’identification des cadavres enfouis dans des fosses communes. Il fait à cette occasion la connaissance d’une archéologue qui, littéralement et métaphoriquement, exhume les tenants et aboutissants de sa propre histoire. Les personnages se déplacent souvent à l’intérieur de longs plans-séquences fixes où l’action peut se révéler surprenante, voire hilarante, en contrepoint avec un environnement post-apocalyptique de désolation : des images sidérantes qui rappellent que Vasyanovych était chef opérateur sur le fameux The Tribe (2014) de Myroslav Slaboshpytskiy.

Petr Kotlar dans « The Painted Bird »

Les lecteurs de Jerzy Kosiński sauront gré au Tchèque Václav Marhoul de s’être attaqué à L’Oiseau Bariolé / The Painted Bird (récit puissant relatant l’odyssée d’un gamin juif en Europe de l’Est pendant la Seconde guerre mondiale) et surtout de n’avoir rien embelli ou édulcoré. Dès la première séquence, lorsque les voyous mettent le feu au putois apprivoisé du petit Joshka (le stupéfiant Petr Kolar), le spectateur aura compris. Rien ne lui sera épargné. Ce que le film comme le livre montrent admirablement, c’est que la guerre n’est qu’une exacerbation de la barbarie quotidienne qu’infligent les croyances et le sens tribal. Seule concession pour assurer au film un minimum d’exploitation : la présence de stars mondiales qui apparaissent brièvement au fil des péripéties et s’expriment en interslave. Udo Kier en meunier jaloux et violent, Harvey Keitel en curé polonais qui confie Joshka au vieux Julian Sands sans se douter qu’il a affaire à un pédophile, ou encore Stellan Skarsgård et Barry Pepper, le premier en soldat allemand, le second en tireur russe, tous deux mus, malgré leurs uniformes, par des sentiments humains.

Far East Film Festival online (Udine)
Le rendez-vous annuel des amateurs de films asiatiques a eu lieu fin juin, avec deux mois de retard, et seulement on line. Seuls les cinéphiles italiens pouvaient disposer de la totalité des titres, une bonne quarantaine. Le reste de l’Europe dut se contenter d’une portion congrue.

Chine et Hong Kong
La nouvelle politique totalitaire de la Chine est exemplifiée par The Captain (2019), réalisé par Andrew Lau. Ce vieux routier du cinéma avait démarré chez les Shaw Brothers de Hong Kong comme caméraman en 1981, et servi de chef opérateur sur de grands films comme City of Fire (Ringo Lam, 1987) ou As Tears go by (Wong Kar-Wai, 1988) avant de passer à la réalisation avec Against All (1990) et devenir un des plus célèbres cinéastes de l’ex-colonie britannique, spécialisé dans les polars et l’action, notamment la série Young and Dangerous (1996-1998) et la trilogie Infernal Affairs (2002-2003). Depuis l’avènement de Xi Jinping, il semble se conformer aux desiderata du Parti et livre en 2017 avec The Founding of an Army rien de moins que l’histoire officielle de la création, en 1927, de L’Armée populaire de libération.

Hanyu Zhang dans « The Captain »

The Captain se veut l’équivalent communiste de Sully (2016) de Clint Eastwood, la louange d’un héros national. En mai 2018, un avion de la Sichuan Airlines volant de Chongqing à Lhassa, avec 119 passagers à bord, était obligé de se poser en catastrophe à Chengdu après l’éclatement (toujours inexpliqué) du pare-brise du cockpit. La décompression subite endommagea le panneau de commande et le bruit assourdissant de l’extérieur rendait toute communication impossible. De surcroît, le capitaine Liu ne pouvait pas trop réduire l’altitude pour compenser la chute de la pression, car il volait dans une région montagneuse, et un orage rendait la visibilité problématique ! Comme Sully, Liu a réussi à poser son appareil sans mort d’homme, mais contrairement au capitaliste, il a touché une prime de 5 millions de yuan. Bien sûr que le film ne souffle mot de ce petit détail, mais se concentre plutôt sur la droiture du capitaine, qui demande d’emblée à ses hôtesses du jour si elles sont membres du Parti (réponse positive unanime et admiration des passagères qui s’extasient sur leurs ventres plats), puis résiste après l’accident à une température polaire, les mains vissées au manche à balai, pendant qu’un copilote lui masse les bras : homo sinensis superior.

« Chasing Dream » de Johnnie To

Quand il devient dangereux d’exprimer une opinion politique, les cinéastes se cantonnent dans le spectacle sportif ou artistique. Tel Johnnie To qui, après une absence de quatre ans, donne avec Chasing Dream un combiné des deux, faisant éclore une passion amoureuse entre un boxeur versé dans les arts martiaux, Tiger, et Cuckoo, une chanteuse qui veut percer dans les concours, financés par le même mafieux, Gao. Accessoirement, Tiger fonctionne comme agent de recouvrement et Cuckoo éponge sa dette avec du pole dance et du lavage de voiture en petite tenue. Comme les deux veulent sortir de leur dépendance financière, Tiger réunit un groupe de musiciens qui doivent de l’argent à Gao et les oblige à accompagner Cuckoo sur scène pour déclencher l’enthousiasme des foules. Tant les matches de boxe que les numéros pop sont filmés avec une esthétique à la Michael Bay dans une mise en scène ultra dynamique.

Byung-hun Lee et Jeong-woo Ha dans « Ashfall »

Corée du Sud
Ashfall est le nouveau film de l’auteur de Castaway on the Moon (2009), Hae-Jun Lee. Un volcan sur la ligne démarcation entre les deux Corées va entrer en éruption sous peu et occasionner un tremblement de terre apocalyptique. À moins qu’on ne puisse contrecarrer ce mouvement géologique en faisant exploser à proximité dudit volcan des missiles nucléaires enfouis à cette fin dans des mines. L’idée vient d’un savant du Sud, mais les mines sont côté Nord et les missiles appartiennent aux Américains. Comment goupiller tout cela ? L’élément le plus surprenant du film est que l’armoire à glace Dong-Seok Ma (alias Don Lee) joue un vulcanologue tout doux et laisse les séquences d’action et d’amitié virile aux agents des deux demi-pays, des petits formats nerveux.

Louise Abuel et Ella Cruz dans « Edward »

Philippines
Edward de Thop Nazareno décrit le passage à l’âge adulte d’un ado qui doit rester auprès de son père, en traitement prolongé à l’hôpital. Au début, il considère le pavillon des cancéreux comme son terrain de jeu, faisant avec son copain des niches aux infirmières, avant de tomber amoureux d’une jeune patiente qui lui fait réaliser la gravité des vies en péril. Car la fin risque d’arriver à tout moment. L’hôpital construit pour le film est l’image miroir d’un vrai hôpital philippin, à savoir une cour des miracles pleine de bruit et de fureur.

Xianjun Fu dans « Victim(s) »

Malaysie
Victim(s) de Layla Ji (un premier film qui est aussi un chef-d’œuvre) est une puissante accusation de l’omerta qui se pratique dans les internats à propos du harcèlement. Le film débute avec le meurtre d’un élève par un autre, déclenchant automatiquement une mise au pilori médiatique du meurtrier qui s’est livré tout de suite aux autorités. Les raisons profondes de l’acte seront élucidées peu à peu par les deux mères qui, ennemies au départ, se ligueront in fine pour que la vérité puisse sortir. À l’époque où fleurissent les intimidations de toute sorte sur les réseaux sociaux, un film à voir impérieusement.

Raymond Scholer