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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - septembre 2017

Compte-rendu

Article mis en ligne le 2 septembre 2017
dernière modification le 28 août 2017

par Raymond SCHOLER

17e Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF)

Takashi Miike
L’enfant terrible du cinéma nippon était présent les trois premiers jours pour présenter ses trois derniers films :
The Mole Song : Hong Kong Capriccio (2016) est la suite des aventures loufoques ( The Mole Song : Undercover Agent Reiji , 2014) d’un flic infiltré dans un clan de yakuzas, Reiji Kikukawa, qui risque constamment d’être découvert parce qu’il a beaucoup de peine à maîtriser sa libido et à diminuer sa volubilité, ayant tendance à se donner une contenance en braillant plus fort que les autres. Cette méthode lui a d’ailleurs bien profité, puisqu’il est devenu un homme de confiance du chef suprême et le garde du corps de sa fille délurée, qu’il extrait au bout de péripéties délirantes d’un bordel de luxe de Hong Kong où elle était sur le point d’être vendue aux enchères. Le jeu électrique de Toma Ikuta, acteur protéiforme autant à l’aise dans la comédie déjantée que dans les drames romantiques (cf. Close-Knit dans notre rubrique de juin), en perpétuel hurluberlu, est en soi un objet de délectation et renforce le ton ironique du film.

Takuya Kimura et Hana Sugisaki dans « Blade of the Immortal »

Blade of the Immortal (2017), basé sur le manga L’Habitant de l’infini de Hiroaki Samura, épais de 30 tomes, dure 140 minutes. Miike avait averti qu’on serait sur les genoux à la fin, car l’essentiel de l’histoire est la vengeance qu’exerce un samouraï immortel, Manji, pour le compte d’une toute jeune fille, qui a perdu toute sa famille dans une guerre entre écoles de bretteurs. Son père, qui dirigeait un tel dojo, refusait en effet de se soumettre à la tyrannie d’une école concurrente, le Itto-Ryû, qui voulait phagocyter toutes les autres. Manji a beau être blessé dans les combats contre une armée de sabreurs, de petits vers magiques recousent en un clin d’œil l’homme et même ses vêtements. Comme Miike invente sans cesse de nouvelles feintes et chorégraphies, le film, malgré l’éternel recommencement, se moque de la répétitivité. Comme jadis pour Crows Zero (2007), où des bandes de lycéens se bastonnaient à n’en plus finir, tout en nous scotchant à nos sièges, le cinéaste réussit à imposer à un unique élément dramatique une infinité de variantes qu’on regarde médusé et subjugué.

Le 102e (et plus récent) film de Miike (dont la carrière a débuté en 1991 !) s’intitule Jojo’s Bizarre Adventure : Diamond is Unbreakable (2017). À l’instar des deux films précédents, c’est une adaptation d’un manga (de Hirohiko Araki) et qui plus est, du deuxième meilleur manga de tous les temps, selon les experts. Pour les béotiens de mon espèce, il s’agit simplement d’escarmouches entre superhéros (qui peuvent extérioriser leurs psychés combatives, sortes de doubles de taille et force surhumaines qu’ils font surgir au gré de leurs intentions) cherchant à prouver leur supériorité à leurs congénères. Il y a bien sûr des malveillants et des bienveillants, mais ce qui les distingue de leurs semblables américains, c’est qu’ils font moins de dégâts collatéraux. Miike a ainsi pu tourner à Sitges en Catalogne, dont il peupla les rues de figurants aux yeux bridés, donnant à cet environnement « bien de chez nous » un charme exotique particulier.

Films of the Third Kind
On retrouve l’idée du double dans Colossal de l’Espagnol Nacho Vigalondo. Anne Hathaway, alcoolique autodestructrice, découvre un jour à la télévision qu’un kaiju gigantesque, surgi de nulle part en plein milieu de Séoul, fait les mêmes gestes qu’elle. Le monstre apparaît toujours à la même heure pour un certain laps de temps, si la jeune femme se place à un endroit précis du terrain de jeux de sa bourgade. Pour ne pas mettre inutilement en danger des Sud-Coréens qui ne lui ont rien fait, Hathaway essaie de ne pas bouger tant que l’apparition est là. Les affaires se gâtent lorsque son ami d’enfance, avec lequel il y a des contentieux non résolus, provoque également l’apparition d’une créature au même endroit. De fil en aiguille, les deux monstres en viennent aux mains avec des victimes civiles à gogo. Hathaway n’ose plus bouger de la maison. Mais son ami menace de massacrer la population de Séoul, si elle n’accepte pas ses avances. Monstrueusement original, le film semble dire que l’Amérique exporte nolens volens ses névroses et oublie qu’elle est complice dans la création de souffrances planétaires.

« Baahubali : The Conclusion »

Baahubali : The Conclusion du cinéaste télougou S. S. Rajamouli confirme la maîtrise constatée l’année passée dans Baahubali : The Beginning (2015). Depuis son impressionnante fable romantique, Eega (2012), où un fiancé tué par un rival, renaît dans le corps d’une mouche et protège sa dulcinée des coups tordus du criminel, il est évident que Rajamouli poursuit un cinéma d’exception, qui ne se coule ni dans le modèle bollywoodien, ni dans le cinéma réaliste façon Satyajit Ray ou Ritwik Ghatak. Rajamouli veut retrouver le secret des grands récits épiques mythiques. Où les royaumes sont nichés dans des montagnes proches des nuages, où des cascades d’eau descendent sur des kilomètres et des kilomètres, où des capitales entourées de murs d’enceinte mégalithiques regorgent de palais recouverts d’or aux colonnades infinies, de sculptures gigantesques et de vastes jardins de plaisance, où des complots infâmes sont ourdis par des fourbes exemplaires issus de la même famille, comme chez les Grecs, où les saris des femmes rivalisent de splendeur et où des princes nobles et musclés comme des dieux (toujours grecs) doivent gagner leur place légitime par des actes de grande violence et de force surnaturelle, souvent dans des batailles démesurées où sont expérimentées des techniques et des armes novatrices, où le voilier sur lequel s’embarque le héros avec sa promise peut s’élever dans les airs, accompagné de légions d’oiseaux : bref, où les travaux d’Hercule ne mériteraient même pas une note en bas de page dans la gazette locale. Voilà le diptyque Baahubali , premier film proprement homérique de l’histoire du cinéma. Le Mahabharata et le Ramayana ont trouvé leur adaptateur.

« Le Serpent aux mille coupures », avec Tomer Sisley, Victoire De Block

Le Serpent aux mille coupures est un film du Français Eric Valette, un des meilleurs spécialistes du film de genre. Des trafiquants colombiens, ayant un rendez-vous nocturne en France avec des acheteurs, sont liquidés par un motard mystérieux près d’une ferme habitée par un couple mixte et leur fillette. Les acheteurs prennent peur et alertent le caïd de Bogota. Comme le fils de ce dernier est parmi les morts, il envoie un tueur chinois qui a depuis belle lurette quitté la confrérie des humains. Pendant ce temps le motard se cache à la ferme, mais se comporte en parfait gentleman avec la famille. La ferme est aussi le point de mire des racistes du cru qui s’interrogent sur les liens du massacre avec l’agriculteur noir. Les sbires colombiens, la police et les fachos convergent simultanément sur la ferme, lieu d’un finale à mi-chemin entre Lautner et Tarantino. C’est autrement plus costaud et intéressant qu’un film de Justine Triet ou d’Antonin Peretjatko. Et le motard, joué avec une économie de moyens sidérante par Tomer Sisley, garde son mystère jusqu’au bout. Comme le justicier de Shane (George Stevens, 1953).

Compétition internationale
Mon Mon Mon Monsters du Taïwanais Giddens Ko est une véritable mise au pilori de la société de Taipei. Cela démarre dans une sombre impasse de la capitale, où un SDF est mangé vivant par un duo de créatures vaguement humaines, une jeune femme et sa sœur cadette. Cette entrée en matière terrifiante n’est rien en comparaison des conditions dans un lycée, où le harcèlement des élèves timides, socialement modestes ou obèses semble être considéré comme un sport national, toléré, voire encouragé par des professeurs indignes. Éprouvants également, les traitements révoltants (appuyés par des selfies obscènes) que ces petits chéris infligent aux vieillards dont ils sont censés s’occuper dans le cadre de leur cursus scolaire. La bande tombe un jour sur les deux créatures du début et s’empare de la plus jeune, heurtée par une voiture : ils l’attachent et la torturent à volonté dans leur tanière. Les cris de détresse de la sœur aînée, à la recherche de sa cadette, vous transpercent le cœur. Les vrais monstres ne sont pas ceux qu’on croit.

Dave Franco et Aubrey Plaza dans « The Little Hours »

Heureusement qu’une comédie alerte inspirée du Décaméron de Boccace, The Little Hours de l’Américain Jeff Baena, s’est glissée parmi tous ces films dramatiques et sérieux. Un serviteur persécuté par son seigneur pour avoir couché avec Madame, est recueilli par le confesseur d’un couvent de nonnes et engagé comme jardinier. Ce qui lui donne l’occasion de montrer ses abdos et de réveiller chez les trois plus jeunes de ces épouses de Dieu des envies très naturelles qui ne demandent qu’à être assouvies. Le charme, en dehors du jargon américain juteux et moderne des dialogues, résulte surtout du fait que le film fut entièrement tourné à Garfagnana en Toscane, qui ne semble pas avoir tellement changé depuis le XIVe.

Dave Made a Maze de l’Américain Bill Watterson est peut-être une comédie à la base, puisque les prémisses sont totalement loufoques : Dave a en effet construit dans son salon un labyrinthe en carton, mais il n’arrive pas à retrouver la sortie, car à l’intérieur, le labyrinthe est bien plus grand qu’à l’extérieur (sans doute, une nouvelle forme de relativité !), et en cours de route, les amis qui s’y aventurent pour le tirer d’embarras, sont décimés à coups de scie circulaire (en carton), quand ce n’est pas de cornes de minotaure (toujours en carton), et les rires restent dans la gorge. Du surréalisme novateur.

Mon Ange du Belge Harry Cleven a comme héros un homme invisible, fils de l’union d’un magicien qui s’est fait disparaître lui-même et de son assistante qui prend le parti d’élever son moutard sans habits pour qu’il passe sous le radar. L’invisible garçon se lie d’amitié avec la fille aveugle des voisins. Idéal, dites-vous ? On peut se demander pourquoi la jeune fille ne se rend pas compte que son copain est nu en toutes circonstances. Mais cela soulève des raisons que la poésie ne connaît pas.

Au mois prochain

Raymond Scholer