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Le cinéma au jour le jour
Cine Die : septembre 2016

Compte-rendu

Article mis en ligne le 6 septembre 2016
dernière modification le 6 août 2016

par Raymond SCHOLER

16e Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF)

Compétition Internationale
Le NIFFF n’est pas le Cannes du cinéma fantastique, car la compétition cannoise se repose depuis des années sur un cheptel de cinéastes maison qui sont régulièrement sollicités, dès qu’ils ont un film en chantier. D’où ces œuvres terminées en catastrophe pour pouvoir être dévoilées sur la Croisette. Le NIFFF serait plutôt le Locarno du cinéma fantastique : sur les 13 films en compétition cette année, nous avons dénombré 8 premiers longs métrages et 3 seconds. Le seul cinéaste réputé était le Britannique Christopher Smith dont le sixième film, Detour , emporta le Prix de la Jeunesse décerné par le Jury du Lycée Denis-de-Rougemont. Un jeune étudiant, dont la mère est mourante, des suites d’un accident causé par son beau-père, veut punir celui-ci. Il s’enivre un soir et promet 20’000 dollars à un mauvais garçon rencontré dans un bar, s’il élimine le beau-père. Le lendemain, le tueur sonne à la porte. Que faire ? Se cacher ou suivre le tueur ? Le film se lance alors dans un parcours ludique, nous faisant voir en montage parallèle alterné, ce qui se passerait dans les deux cas. Jusqu’au moment, à mi-film, où nous nous rendons compte que la version 1 se déroule dans le temps tout simplement avant la version 2, qu’il s’agit en d’autres termes d’une trame unique. L’incident malencontreux qui se passe à l’issue de la version 1 précipite le film dans le registre du film noir : le héros ne peut faire autrement que de suivre le tueur. Une situation désespérée qui rappelle celle du début d’un autre Detour, celui d’Edgar G.Ulmer (1945), dont quelques images passent sur une télé dans une séquence du film.

Bel Powley dans « Detour »
© Bankside Films, UK

Le Prix H.R.Giger "Narcisse" du meilleur film est allé au premier long métrage de l’Irano-Britannique Babak Anvari, Under the Shadow . Le récit se déroule en 1986 pendant la guerre irano-iraquienne. Dans un immeuble de Téhéran, cible des bombardements erratiques de l’ennemi, une mère (Shideh) et sa petite fille (Dorsa) sont restées seules dans leur appartement après le départ du mari au service militaire. A mesure que les menaces se précisent, l’immeuble se vide, les habitants rejoignant des zones moins exposées ou s’exilant carrément en Europe. La mère, qui n’a pas pu continuer ses études de médecine à cause des mollahs, a peu d’affinités avec le régime. Le Coran ne fait pas partie de son paysage personnel, elle ne tient qu’à son livre de médecine. Un beau jour, Dorsa ne retrouve plus sa poupée Kimya et est persuadée qu’elle a été volée par un djinn. Les événements paranormaux se multiplient comme des cristallisations de la détresse psychique de Shideh et Dorsa. La scène où la mère se retrouve comme piégée par l’immense tchador noir d’une apparition, au point de suffoquer, vaut son pesant de frayeur. La recherche frénétique de la poupée transforme l’appartement en champ de bataille. Les deux actrices sont prodigieuses et Amman représente Téhéran à merveille, car cette belle histoire de femmes dont l’espace privé est contaminé par des forces échappant à leur contrôle n’aurait pas trouvé grâce auprès du censeur iranien.

Avin Manshadi dans « Under The Shadow »
© Wigwam Films, US

Le Méliès d’Argent a été attribué à Foraeldre/Parents , premier long métrage du Danois Christian Tafdrup. Quand leur fils unique et préféré quitte la maison pour vivre avec une amie, ses parents ne savent plus comment remplir leurs journées. On voit la mère ramasser les feuilles mortes puis les redisperser dans le jardin ! Quand leur ancien appartement d’étudiants est mis en location, ils se ruent sur l’occasion dans l’espoir de se requinquer au contact de leurs souvenirs. Cela leur réussit tellement bien qu’un jour ils se réveillent littéralement rajeunis de trente ans. L’épouse décide d’en profiter et de recommencer des études, tout en aidant son fils dans les siennes. De fil en aiguille, elle passe beaucoup plus de temps avec lui qu’avec le père. Lequel s’enfonce dans une sinistre et délétère reconstitution de son environnement estudiantin (avec ce que cela comporte de destructions de commodités trop bourgeoises) dans l’espoir de retrouver le bonheur de jadis. Il apprend ainsi à la dure que les tempi passati le sont vraiment. Quand le fils leur communique que la vie incestueuse avec sa mère l’épuise et qu’il aimerait retrouver ses parents, l’enchantement prend fin et les époux apprennent à se satisfaire de leur sort de parents. Ils ramassent dorénavant les feuilles en tandem. Jolie parabole du culte de la jeunesse et des affres de la filiation.

Swiss Army Man , premier film des Daniels, à savoir les Américains Daniel Scheinert et Dan Kwan, a glané 3 prix : le Prix de la Critique Internationale, le Prix Imaging the Future du meilleur Production Design et le Prix du Public. (Rappelons que les cinq premiers prix cités dans cet article sont décernés par 5 jurys différents.) La radicalité surréaliste du scénario y est sans doute pour quelque chose, quand bien même l’intention philosophique sous-jacente n’est pas lumineuse. Paul Dano (Hank), seul sur une île déserte, est sur le point de se pendre, quand il découvre sur la plage le corps de Harry Potter, pardon Daniel Radcliffe, manifestement sans vie. Seules les flatulences à répétition produites par la décomposition secouent le cadavre. C’est grâce à elles que Paul peut rejoindre la terre ferme, à califourchon sur le mort. Comme un couteau suisse, le cadavre s’avère multifonctionnel. Sa bouche grande ouverte dispense des flots d’eau fraiche. Et quand il ouvre finalement les yeux, Hank apprend son nom : Manny. Mais Manny n’a aucune idée de ce qu’est un humain. Il faut tout lui apprendre. C’est ce à quoi Hank s’attelle avec force reconstitutions d’environnements spécifiques (entre autres, un tramway) qu’il fabrique très ingénieusement avec les détritus trouvés dans la forêt où ils ont abouti. Mais Manny est aussi un détecteur de nénettes. Quand il voit la photo de l’amie de Hank, il a une érection instantanée qui pointe dans une direction définie, intimant au film de la suivre. Manifestement le mâle de l’espèce ne peut pas échapper aux automatismes innés.

Paul Dano et Daniel Radcliffe dans « Swiss Army Man »
© Ascot-Elite

Lo Chiamavano Jeeg Robot de l’Italien Gabriele Mainetti est également un premier long métrage. Le curieux titre provient d’un manga japonais (étendu à une série anime de 46 épisodes) de Go Nagai sur un robot géant redresseur de torts. L’idée de base du cinéaste était de conter les aventures d’un super héros italien. De quoi pourrait-il naître ? Bien sûr des déchets non éliminés, vaste problème dans la péninsule ! Le héros, Enzo, petit truand de son état, tombe dans le Tibre en cherchant à échapper à la police. Il se coince malencontreusement les pieds dans un fût immergé, rempli de déchets toxiques et, une fois sorti du fleuve, n’arrête pas de vomir un liquide visqueux, à la Exorciste. Le lendemain, malade comme un chien, il suit néanmoins son voisin Sergio pour récupérer de la drogue amenée par des mules humaines. L’opération tourne mal. Sergio est tué et Enzo jeté du 9e étage. Il se relève, un peu sonné, et rentre à la maison ! La drogue appartenait à Fabio, un mafieux psychopathe et mégalo. Fabio et son gang terrorisent alors Alessia, la fille de feu Sergio, légèrement handicapée mentale, afin de savoir où est la came. Enzo, qui connaît à peine Alessia, vient à sa rescousse et terrasse les gangsters en deux temps trois mouvements. Pour elle, il devient alors le héros Jeeg Robot. Enzo utilise sa force prodigieuse pour arracher un bancomat. Évidemment tous les billets sont maculés de bleu, et en plus, il a été automatiquement filmé. La vidéo de surveillance passe à la télé, suscitant l’ire et la jalousie incommensurables des mafieux.

« The Transfiguration » de Michael O’Shea

The Transfiguration de l’Américain Michael O’Shea, encore un premier film, suit le quotidien d’un vampire réaliste, qui ouvre la carotide de ses victimes avec un canif, peut vivre à la lumière du jour et manger de l’ail, et se désole des meurtres dont il est responsable. Ce vampire est incarné par un ado noir très réservé et articulé, qui partage un appartement avec son frère aîné vautré constamment devant la télé, et n’a que peu de contacts avec les autres lycéens, dont il subit le mobbing. Il a toujours pris soin de dévaliser ses victimes et de garder ses économies bien au chaud à la maison. Dans l’immeuble, il fait la connaissance d’une jeune fille dont le grand-père est violent et qui est prête à s’enfuir avec lui. Mais il finit par lui donner toutes ses économies, avant de provoquer sa propre exécution par un gang de malfrats qu’il a donnés à la police pour leur implication dans un meurtre. Qui a dit que les vampires étaient immortels et immoraux ?

Films of the 3rd Kind
Baahubali : The Beginning de S.S.Rajamouli, créateur de l’ineffable chef-d’œuvre Eega (2012), rivalise avec les épopées hollywoodiennes en utilisant à fond les effets créés par ordinateur. Un fils de roi mythique, confié, tel Moïse, aux eaux d’un fleuve dans sa prime enfance et élevé par une nounou, tombe amoureux, découvre la vérité de ses origines et vient reconquérir son royaume. Baahubali est grand et musclé comme le sont rarement les jeunes premiers hindous : il gravit des montagnes à toute vitesse, enjambe des précipices béants, lance des rochers gros comme des maisons, arrête et soulève des éléphants. Son royaume perdu au-delà des nuages brille de 1000 temples d’or entourés de végétation luxuriante, pour l’instant encore sous la férule d’un vil usurpateur qui a réduit le peuple en esclavage. L’apothéose est attendu l’année prochaine dans la 2e partie.

Prabhas (au centre) dans « Baahubali »
© Arka Mediaworks, IN

Bad Cat , premier long métrage (d’animation) des Turcs Ayse Ünal et Mehmet Kurtulus, raconte le processus d’apprivoisement entre un père bagarreur, alcoolique et lubrique, incarné par le matou Shero et un jeune chat, Tacao, qui est un de ces rejetons illégitimes qu’il ne veut pas reconnaître. Parallèlement il trouve la chatte de sa vie. Dans la lignée de Fritz the Cat (Ralph Bakshi, 1972), mais sans conviction politique autre que celle que le monde doit être à sa botte. Comme s’il avait peur d’Erdogan.

Alondra Hidalgo, Gael García Bernal dans « Disierto »

Dans Desierto , Jonas Cuaron traite la traversée de la frontière, que Trump veut doter d’un mur, sur le mode de la chasse à l’homme. Un bigot psychopathe et tireur d’élite motorisé, aidé d’un chien bien dressé, fait des cartons sur les pauvres hères qui viennent se réfugier aux États-Unis. Qui va survivre dans le désert ?

Raymond Scholer