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Cine Die - septembre 2015

Festival

Article mis en ligne le 5 septembre 2015
dernière modification le 26 août 2015

par Raymond SCHOLER

Petite plongée dans la programmation du 15e Neuchâtel International Fantastic Film Festival.

Japon
J’inaugure le festival avec une conférence de Shion Sono, l’enfant terrible du cinéma japonais, qui semble avoir pris la relève du stakhanoviste Takashi Miike en le dépassant. Par acquit de conscience, je compare les filmos : Miike sort deux films cette année, Sono six ! Que dans cette ivresse productive la qualité puisse rester parfois sur le carreau n’étonne guère et Tokyo Tribe (2014) en est l’illustration. Dans le Japon d’un futur plus ou moins proche, mais probablement alternatif, les gangs de Shibuya se livrent à des luttes hégémoniques où les sympas se mesurent aux méchants. Les sympas sont amoureux et loyaux, quoique filous, et excellent en arts martiaux (surtout la fille du chamane !), les méchants ricanent, grimacent, humilient, torturent et tuent pour un rien et utilisent des artilleries élaborées. Leurs rejetons ont des plaisirs pervers, comme celui d’utiliser comme canapés ou sièges des esclaves à quatre pattes. Zut ! j’ai failli oublier : tout le film est chanté sur des (il y en a plusieurs ?) rythmes de rap et la langue nippone s’y prête étonnamment bien. Tant sur le plan dramatique que sur le plan musical, la répétitivité règne en maître. Mais les plans sont toujours pleins de choses à regarder. Cela se voit donc sans ennui, mais un remontant est indispensable après le film. Monsieur Sono n’a pas dit grand-chose sur le film et ce qu’il a raconté sur ses débuts au cinéma était d’une plate banalité.

« Tokyo tribe » de Shion Sono

Manifestement, il préfère s’exprimer à travers ses films. Tant Why Don’t You Play in Hell (2013) que Strange Circus (2005) étaient autrement plus construits et inventifs que son opéra rap. Dans Strange Circus, Mitsuko, à peine pubère, est contrainte par son père (directeur d’école, pour corser l’histoire) à assister en secret aux ébats de ses parents. Le père la viole ensuite devant maman, qui n’ose rouspéter. Dès lors, le mâle a son harem bicéphale soumis à sa volonté incestueuse. Voilà l’édifiante histoire d’une famille dysfonctionnelle racontée par une femme écrivain en chaise roulante qui ressemble furieusement à la mère de l’histoire. On se dit donc que l’écrivain est peut-être Mitsuko adulte, qui se guérit par l’écriture du traumatisme subi. Mais on n’est qu’au milieu du film et Sono n’a pas dévoilé toutes ses cartes, une plus délirante que l’autre.

Why Don’t You Play in Hell est une ode jubilatoire au 35 mm, où un producteur yakuza (joué par le pince-sans-rire Jun Kunimura) qui veut faire de sa fille gâtée une star de cinéma, confie la réalisation d’un film d’action à une équipe de tournage juvénile (sous les ordres d’un réalisateur in spe qui se prend pour un avatar d’Eisenstein et de Tarantino). Les sbires occuperont les rôles secondaires et compléteront l’équipe technique. Parallèlement, ils sont impliqués dans une guerre sans merci entre gangs, dont le tournage profitera pour des scènes de bataille dantesques qui entraîneront leur lot de vraies morts et mutilations, où seul Dieu reconnaîtra les siens. Quand on aime le cinéma, il faut en baver ! Si les films de Sono ont tendance à se vautrer dans toutes sortes d’excès, ils emportent l’adhésion à cause de leur enthousiasme communicatif.

« Why Don’t You Play in Hell »

On ne peut en dire autant du dernier film de Mamoru Oshii, Nowhere Girl , où le réalisateur nous inflige pendant une heure les déambulations fatiguées d’une héroïne amorphe, Ai, qui encaisse stoïquement les coups et humiliations que lui infligent ses camarades de la classe d’arts visuels sur fond de « Petite Musique de Nuit » de Mozart. On devine vaguement qu’elle travaille en secret sur une sculpture monumentale qu’elle cache sous une bâche dans la salle omnisports, mais on attend qu’elle se réveille de sa torpeur. Comme la même actrice, Nana Seino, cassait des membres à gauche et à droite dans Tokyo Tribe (c’est elle, la fille du chamane !), on n’est pas étonné qu’au bout d’une heure, un tremblement de terre (ou bombardement ?) secoue l’école et que Ai se mette en mode action pour régler leur compte à ceux qui l’ont enquiquinée et pour liquider des vagues incessantes de soldats russes. Cela se déroule peut-être uniquement dans sa tête, mais son enrôlement ultérieur dans l’armée en branle-bas de combat laisse songeur. Pour Abe et le Tenno ? Vivement qu’Oshii retourne au cinéma d’animation qui l’a rendu célèbre (Ghost in the Shell, 1995).

Asie Continentale
Full Strike (Derek Kwok & Henri Wong), où une championne déchue de badminton retrouve un deuxième souffle, grâce à un coach alcoolique qui renonce pour elle à la dive bouteille, ne m’enthousiasme guère, car il accumule les poncifs obligatoires de la grosse comédie hongkongaise qui tache. Black and White : Dawn of Justice du Taiwanais Yueh-Hsun Tsai est un film catastrophe où un terroriste obnubilé par le désir de nettoyer la planète de son pire ennemi, l’homme, fait exploser tous les accès à une ville située sur une île, pour la tenir à sa merci. Il sème ensuite un virus dont il est le seul détenteur d’anticorps. Sans surprise, le film coche les étapes convenues, rendues intéressantes à la tranche du public qui y est sensible, par un policier au physique agréable. Le seul nouveau film asiatique de belle tenue fut Office du Sud-Coréen Won-Chan Hong (scénariste de The Chaser de Hong-Jin Na, 2009) où une petite stagiaire de bureau se venge des humiliations infligées par ses collègues en les liquidant à l’occasion d’une méprise policière : les détectives croient que les meurtres sont perpétrés par un collègue (qui vient d’assassiner sa famille).

« Office » de Won-Chan Hong

Sphère Hispanique
La Isla Minima (Alberto Rodriguez, 2014) se déroule dans les années suivant la mort de Franco dans le delta poisseux du Guadalquivir : deux flics, dont l’aîné est soupçonné d’un passé pas net dans les rangs des tortionnaires du régime, essaient de mettre la main sur un tueur d’adolescentes. Atmosphère à la True Detective, construction limpide quoique tortueuse, suspense impeccable : pas étonnant que le film ait triomphé aux Goya espagnols en février. El Cadaver de Anna Fritz de Hector Hernan Vicens raconte un méfait particulièrement glauque, le viol, à la morgue, du cadavre d’une actrice jeune et célèbre par trois copains. Mais … Le cadavre se réveille pendant l’acte et n’arrive pas à se défaire tout de suite de sa rigidité mortuaire. Le trio se concerte : quoi de plus simple que de terminer le travail de la nature, ni vu ni connu, et on n’en parlera plus ? Une chose est sûre : il faut se décider vite.

« Scherzo Diabolico » de Adrian Garcia Bogliano

Scherzo Diabolico , du Mexicain Adrian Garcia Bogliano, commence également par un acte de vilenie : un sous-chef masqué kidnappe la fille du directeur et la maintient au secret pendant une semaine dans le but de faire perdre les pédales au papa pour s’emparer de son poste dans l’entreprise. Il réussit son coup, mais en prenant congé du père et de la fille, un minuscule détail sonore met la puce à l’oreille de la jeune victime. Sa vengeance sera cent fois pire que le préjudice subi. Dans Todos Estan Muertos de l’Espagnole Beatriz Sanchis, une grand-mère, sentant sa fin approcher, fait revenir son fils d’outre-tombe pour qu’il sorte la mère de son petit-fils (qui est aussi la sœur dudit fils), devenue autiste au point de négliger l’ado, de sa dépression. Le regard hanté de la belle Elena Anaya reflète les reproches qu’elle se fait à longueur de journée.

Sphère Nordique
Alors que le fantôme espagnol se révélera bénéfique, le revenant du crooner japonais qui accompagne les heures creuses et rêveuses de la malheureuse Liza, the Fox-Fairy du Hongrois Karoly Ujj Meszaros s’avère fourbe et maléfique : il s’ingénie à provoquer la mort des rares amants de la pauvrette. Arrivera-t-elle à trouver une âme sœur qui restera en vie ?

« Liza the fox-fairy » de Karoly Ujj Meszaros

Lovemilla du Finlandais Teemu Nikki est une pochade de science-fiction, où un jeune cuistot, inquiet de ne plus être à la hauteur à cause des flirts innocents de sa dulcinée, se fait renforcer par un exosquelette qui, tout en lui donnant des forces surhumaines, le rend monstrueux aux yeux de sa belle. Son cœur se brise et il le fait remplacer par un exemplaire mécanique, qui n’a plus le moindre sentiment. Du coup, la jeune femme se sent destinée à la reconquête de son mec ! Très coloré (les parents alcoolos ressemblent à des zombies) et peuplé de façon hilarante d’individus qui pratiquent le métier de super héros par la bande.

Dans I Am Here du Danois Anders Morgenthaler, Kim Basinger joue une femme d’affaires hambourgeoise quadra qui ne peut avoir d’enfants. Plaquant tout, elle roule jusqu’à la frontière tchèque où les prostituées, lui a-t-on dit, vendent volontiers leurs bébés. Elle se fait happer par ce demi-monde d’où elle émergera, après six semaines d’inconscience due à la drogue, comblée, puisqu’enfin enceinte. Le titre se réfère à la voix de l’enfant à naître qui lui parle tout au long de son périple.

« Men & Chicken » de Anders Thomas Jensen

Men & Chicken / Maend & Hons de Anders Thomas Jensen, est une allégorie sur l’eugénisme et la différence fondamentale entre le civilisé et l’humain. Deux demi-frères dotés d’un bec-de-lièvre mais d’intérêts très divergents, apprennent à la mort de leur père qu’ils ne sont que des enfants adoptés. Leur vrai géniteur vit sur une île reculée et lorsqu’ils veulent lui rendre visite, ils découvrent qu’ils ont encore trois frères supplémentaires, qui arborent tous le bec-de-lièvre familial, et vivent, coupés du monde, dans une maison de maître délabrée et sale, où des pièces entières sont occupées par des animaux de ferme. Le père n’est plus qu’une momie non déclarée, la fratrie interdisant tout accès au domaine. Au cours de leurs investigations, les nouveaux arrivés découvrent que leur père a trafiqué l’ADN de chacun de ses fils, y insérant un bout d’ADN animal. Le fait que Mads Mikkelsen soit constamment en rut s’explique par le fait que son matériel génétique a été combiné à celui d’un taureau !

« Der Bunker »

Der Bunker de l’Allemand Nikias Chryssos épingle la coquille vide de l’éducation, quand un couple vivant en autarcie dans un bunker en forêt confie l’instruction de son rejeton, qui a l’air trentenaire, à un étudiant qui est venu vivre chez eux pour rédiger en paix sa thèse scientifique. Un extraterrestre logé dans la jambe de la femme prodigue à celle-ci des conseils, telle la pythie de Delphes. Les parents exigeants promettent à leur fils qu’il deviendra président dès qu’il saura par cœur les capitales des pays.

Au mois prochain

Raymond Scholer