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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - septembre 2014

compte-rendu

Article mis en ligne le 7 septembre 2014

par Raymond SCHOLER

Neuchâtel International Fantastic Film Festival, 14e édition

Comédies
Imaginez un jeune homme bronzé, torse nu et musclé, qui débarque en souriant dans un petit port philippin : toutes les femmes, à sa vue, perdent leur petite culotte qui glisse au sol en faisant un gracieux bruissement. Toutes, des plus jeunes aux plus vieilles (qui, elles, perdent leurs langes) et à chaque fois, cela fait « puiitt ». Très vite, le chemin du village sera jonché de petites culottes. Cette séquence drôlissime et parfaitement innocente est la plus belle trouvaille de Kung Fu Divas d’Onat Diaz.

« Kung Fu Divas » d’Onat Diaz

Le film qui épingle les concours de beauté, ubiquitaires dans l’archipel aux 7107 îles, démarre avec un beau potentiel comique, en faisant s’affronter des candidates très disparates, de la virago à la naine en passant par l’éternelle perdante, mais se fourvoie ensuite dans un conte de fées à dormir debout avec vizir malfaisant, malédictions et monstres, le tout alourdi par des scènes d’arts martiaux numériques pourris. Mais le ton était donné. On allait rire dans ce festival. Effectivement, les deux prix les plus importants furent attribués à des comédies. Le NIFFF rompt ainsi avec une tradition délétère qui veut que seul un film sérieux soit digne des honneurs.

Taika Waititi dans « What We Do In The Shadows » de Jemaine Clement

Le jury international a en effet attribué le Narcisse du meilleur film à Housebound (Gerard Johnstone), une oeuvre néo-zélandaise déjantée sur une maison soi-disant hantée, qui fut autrefois un asile psychiatrique, où une jeune fille fut assassinée par un meurtrier inconnu. La maison a été achetée à vil prix par la mère d’une jeune fille qui vient d’être condamnée, pour braquage de bancomat raté, à vivre chez Mère pendant huit mois, un bracelet électronique à la cheville. La sale gamine n’aura point de cesse qu’elle n’ait identifié l’origine des drôles de bruits nocturnes qui semblent venir du tréfonds de la bicoque. Le Prix du Public est allé, deux fois n’est pas coutume, à un autre film néo-zélandais, What We Do In The Shadows de Jemaine Clement et Taika Waititi, moqumentaire hilarant sur un quartet de vampires qui vivent en colocation. L’équipe de tournage leur a fait signer un contrat en bonne et due forme précisant qu’elle ne sera jamais attaquée par ses clients. Même si le plus vieux, qui a déjà quelques milliers d’années au compteur, a tendance à s’oublier en public. Quand il mord un jeune loubard, ses coreligionnaires essaient de limiter les dégâts et de faire du néophyte un comparse tolérable : ils lui enseignent les bonnes manières, l’art de chasser sur internet, calment ses ardeurs à s’envoler et son agressivité envers les loups-garous rencontrés pendant les virées nocturnes, etc. Les vampires ont aussi leurs humains de maison, une femme qui leur fait le ménage (peu ragoûtant après une orgie de sang) et un homme qui sert de rabatteur. Ces serviteurs n’ont bien sûr qu’un rêve ultime, devenir immortels en se faisant saigner par leurs maîtres. Mais ceux-ci ont l’art de les faire attendre, car le personnel fiable est rare. L’inventivité est soutenue, les idées comiques se télescopent : sans doute, le meilleur film du festival.

Possessions maléfiques
Late Phases de l’Argentin Adriàn Garcia Bogliano est un autre film avec des loups-garous, mais sérieux cette fois. Ce qui prête à sourire (de bonheur), c’est son parti pris d’utiliser des effets spéciaux à l’ancienne pour les transformations sous l’effet de la pleine lune. Le piment de l’histoire, c’est que les victimes déchiquetées sont des retraités qui vivent dans une sorte de zone protégée et que le héros qui affronte les lycanthropes est un vétéran du Vietnam aveugle.

« Late Phases » de l’Argentin Adriàn Garcia Bogliano

Les loups-garous ne retrouvent leur aspect fauve qu’une nuit par mois, mais les possédés par une entité extraterrestre ou du mal vivent une altérité toujours croissante et définitive. Dans Honeymoon de l’Américaine Leigh Janiak, un couple passe sa lune de miel dans le chalet familial, perdu sur le flanc boisé d’un lac, lorsque des lumières étranges parcourent la chambre à coucher et que le comportement de l’épouse commence à inquiéter le mari : que fait-elle nue dans la forêt ? d’où viennent ses ecchymoses ? Pourquoi remplit-elle un petit carnet avec les détails de son identité, comme si elle l’apprenait par cœur ? Le climat de paranoïa s’épaissit de minute en minute. Une nouvelle variation bien terrifiante sur le thème des body snatchers.

« Honeymoon » de l’Américaine Leigh Janiak

Dans Controra de l’Italienne Rossella de Venuto, l’épouse irlandaise d’un architecte italien, dont le défunt oncle, évêque méritoire, est candidat à la béatification, a des visions où une servante du futur saint lui révèle qu’elle avait été violée par lui et qu’on l’avait enfermée jusqu’à son trépas dans le caveau familial après qu’elle eut enfanté. Bouleversée, l’Irlandaise enquête. Mal lui en prendra. Dans The Canal de l’Irlandais Ivan Kavanagh, David, un employé de la cinémathèque nationale découvre dans un film de 1902 que la maison qu’il habite avec sa femme Alice et leur petit garçon, aux abords d’un canal, a été le théâtre d’un drame familial sanglant. Peu après, David croit avoir reconnu le meurtrier de 1902, qu’il soupçonne de hanter sa demeure, en train de jeter Alice dans le canal. La police y trouvera effectivement le cadavre de la jeune femme, et leurs premiers soupçons se portent sur David. Celui-ci essaie de capter des preuves de la présence de l’autre sur film. Mais lorsque sa cheffe meurt de mort violente, la police n’a plus de doutes. Ce que le film de Kavanagh partage avec The Woman in Black (James Watkins, 2012), c’est que la famille est de nouveau réunie à la fin.

« The Canal » de l’Irlandais Ivan Kavanagh

Altérations de personnalité
De vraies altérations de personnalité peuvent aussi découler d’un accord faustien avec le Prince du Mal. Dans Starry Eyes (Kevin Kolsch & Dennis Widmyer), une beauté élancée gagne son bifteck en travaillant dans un temple du hachis Parmentier à Los Angeles, en attendant d’être convoquée à d’hypothétiques auditions. Quand cela arrive, elle se présente à peine à un quidam méprisant et une secrétaire morose que déjà ils la renvoient. Déçue, elle s’enferme dans les toilettes et s’arrache littéralement les cheveux. C’est grâce à cela qu’elle est jugée digne d’intérêt et invitée à un second essai. Cette fois-ci, elle doit faire des choses dans le noir absolu balayé par un faisceau presque stroboscopique. A la troisième invitation, un vieux beau, probablement le patron, lui fait des avances. Elle s’enfuit, tombe malade et décide in fine de tenter le tout pour le tout. Elle deviendra une star, elle renaîtra transformée, sculpturale, parfaite, à condition de se laisser faire et de liquider complètement sa vie précédente. Elle marchera littéralement sur les cadavres de ses amis. A voir en double programme avec Maps to the Stars de David Cronenberg !

Alexandra Essoe dans « Starry Eyes » de Kevin Kolsch & Dennis Widmyer

Blind du Norvégien Eskil Vogt explore les fantasmes d’une jolie blonde, depuis peu aveugle, qui imagine des aventures extraconjugales à son mari et des expéditions porno sur internet à un voisin timide. La voix off de la femme présente des personnages et imbrique ceux-ci dans sa propre histoire et le spectateur doit démêler le vrai du fantasmé. Il est amené tout au long du film à corriger et revalider ce qu’il a vu au préalable, ce qui aurait pu déboucher sur quelque chose d’aussi agaçant que Memento (Christopher Nolan, 2000), mais le rythme du film est tellement tranquille qu’on se laisse prendre au jeu. Pas étonnant que Blind ait été élu meilleur long métrage fantastique européen par le jury.

« Blind » du Norvégien Eskil Vogt

Horreur réaliste
The Harvest marque le retour au cinéma du grand John McNaughton, après une douzaine d’années passées à la télé. C’est l’horrible histoire, révélée au fur et à mesure de l’investigation d’une lycéenne, d’un enfant né avec une insuffisance congénitale que ses parents maintiennent en vie en lui fournissant périodiquement des compléments organiques prélevés – dans une salle d’opération installée à domicile - sur un autre enfant qu’ils ont enlevé, à peine né, dans la maternité de l’hôpital où travaille la mère, médecin de son état. Ce deuxième enfant, qui se croit être l’unique, est bien vivace et a envie de sortir et de se faire des amis, mais ceux qu’il croit être ses parents le persuadent qu’il est trop faible pour sortir et le surprotègent comme un investissement. Samantha Morton joue la mère monstrueuse, Michael Shannon le père résigné.

« The Harvest » de John McNaughton

Dans La Santa de l’Italien Cosimo Alemà, un quartet de voleurs à la petite semaine vole dans l’église la statue de la Sainte locale, mais leur méfait est tout de suite découvert et le village entier les pourchasse pour les châtier : le rançon du crime est sans commune mesure avec le crime lui-même, et la statue retrouve sa place. Killers est le nouveau long métrage des « frères Mo », Kimo Stamboel et Timo Tjahjanto, déjà remarqués pour leur premier film, Macabre (2009).

« Killers » de Kimo Stamboel et Timo Tjahjanto

A Tokyo, un sociopathe torture à mort des femmes dans son studio bien équipé et insonorisé, puis il charge le métrage soigneusement monté sur un site spécialisé. À Djakarta, un reporter humilié tombe sur la vidéo et s’en inspire pour se venger d’un politicien corrompu pédophile. Il l’asperge de combustible et le filme pendant qu’il brûle vif. Une fois sur le net, le film est vu par le Japonais qui trouve facilement l’adresse IP de l’Indonésien et l’invite à essayer des choses plus corsées. La trame développe dès lors un jeu du chat et de la souris, où l’Indonésien passe de l’émulation initiale à la terreur lorsque son « gourou » débarque chez lui. Pour le spectateur qui aurait peur de s’exposer à un excès d’abjection, signalons que le film se termine de façon exemplaire et morale et cela sans faire appel aux forces de l’ordre.

Au mois prochain
Raymond Scholer