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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - septembre 2009

En septembre, Cine Die nous entraîne à Udine, au 11e Far East Film Festival, ainsi qu’à Neuchâtel où se déroulait le 9e Festival International du Film Fantastique.

Article mis en ligne le septembre 2009
dernière modification le 29 janvier 2012

par Raymond SCHOLER

11e Far East Film Festival, Udine


Japon
Dans Fish Story/Fisshu sutori (Yoshihiro Nakamura, 2009), un tube rock japonais des années 70 sauve la race humaine de l’annihilation par une comète. Le film voyage entre quatre époques, introduisant, dans chacune, des personnages différents, dont les actions combinées ont comme conséquence logique le happy end final. Malgré cette structure complexe de causalité temporelle, le film, qui allait remporter le Narcisse du meilleur film au NIFFF en juillet, m’a semblé d’une insupportable niaiserie.

« Doroppu » de Hiroshi Shinagawa

Drop/Doroppu (Hiroshi Shinagawa, 2009) est une resucée de Crows : Episode 0 (2007) de Takashi Miike, la sauvagerie extrême un tantinet adoucie. De nouveau, des bandes de lycéens se tapent dessus comme des malades pour affirmer leur suprématie. De nouveau, un des leaders ressemble furieusement à Johnny Depp. De nouveau, des vertus ataviques de camaraderie et de loyauté sont glorifiées, à l’instar du bushido. D’autres films du même acabit se profilent à l’horizon : le genre (« Rumble Nips » ?) bat son plein. Miike vient même de finir un Crows Zero II.
A Udine, on pouvait voir son film précédent, une adaptation live d’une série télé animé des années 70 : Yattaman (2009). Le scénario de base est aussi crétin que celui des Transformers : Yattaman, un duo formé d’un garçon en bleu (Gan) et d’une fille en rose (Ai), accompagné d’un robot canin géant, Yattawan, protège le monde d’un gang de méchants constitué de Lady Doronjo et de ses deux acolytes, Boyacky, génie mécanique à la face de rat, et Tonzura, paquet de muscles au faciès de cochon. Miike tire rapidement cet univers de jouets vers le délire surréaliste en truffant le film d’allusions érotiques que les distributeurs occidentaux estimeront sans doute impropres à la consommation des chères têtes blondes. L’archiméchante Doronjo est ultrasexy : elle montre ses appas dans une combinaison de cuir révélatrice. Un robot femelle géant et nu – les sous-titres nous informent que son nom est Bridesmaidiot, tout un programme - envoie des missiles depuis ses mamelons et atteint un orgasme violent après s’être frotté contre Yattawan et fait envahir par des centaines de fournis mécaniques. Boyacky rêve de faire les orteils de milliers d’écolières. Gan suce du venin de scorpion de l’intérieur de la cuisse d’une jeune femme. Ce n’est donc pas tout à fait du Michael Bay, mais cela reste malgré tout empreint d’une innocence enfantine (secret des Japonais) et se déroule dans une avalanche de couleurs acidulées, d’explosions et de surenchère décorative et vestimentaire. Car, sobriété et Miike font deux.

Tonzura Dorongo et Boyacky dans « Yattaman »

Climber’s High/Kuraimazu Hai (Masato Harada, 2008) montre les efforts d’un journal de province pour couvrir le plus grand désastre de l’aviation japonaise en 1985, lorsqu’un vol commercial s’était écrasé contre une montagne avec plus de 500 personnes à bord. Nous ne voyons pas le crash, uniquement les réactions des journalistes. Au moment où éclate la nouvelle de l’accident, Yuki, reporter au Kita Kanto, s’apprêtait à faire de la varappe avec un ami. Stante pede, il doit tout laisser tomber pour se consacrer nuit et jour à la collecte d’informations. La salle de rédaction se transforme en fourmilière sous adrénaline. Alors que la concurrence des médias nationaux, dotés de moyens bien plus importants, aurait dû permettre l’émergence rapide d’une stratégie commune (l’internet et les portables n’existaient pas encore), les petites rivalités et doléances entre chefs de secteur mettent les bâtons dans les roues. Comparée aux pressions que subit Yuki alors dans son travail, l’escalade d’une paroi verticale ressemble à une promenade dans le parc. Harada, s’inspirant de The Paper (Ron Howard, 1994), talonne ses personnages dans le décor restreint de la rédaction avec une fluidité accomplie et une tension qui ne se dément pas un instant. Après tout, c’est déjà son 18e film en 30 ans de carrière. Mais vous ne le trouverez pas dans le dictionnaire de Tulard. Miike non plus d’ailleurs.

Indonésie
De 2000 à 2005, l’Américain Brian Yuzna, auteur du délirant Society (1989), s’était établi à Barcelone où sa compagnie de production Fantastic Factory avait donné un salutaire coup de fouet au cinéma de genre espagnol. Le chef-d’œuvre de Stuart Gordon, Dagon (2001), en reste la preuve la plus indélébile. Se souvenant sans doute que jadis l’Indonésie produisit des films d’horreur avec une forte dose de mysticisme local traditionnel - notamment les œuvres de H. Tjut Jalil, Mystics in Bali (1981) et Lady Terminator (1988) - et estimant que cette veine valait la peine d’être réexploitée, Yuzna s’est associé au Hollandais San Fu Maltha (producteur de Zwartboek (2006) de Paul Verhoeven) pour fonder à Djakarta une compagnie, Komodo Films, dont Takut : Faces of Fear (2008) constitue la première production. Y sont agglomérés 6 courts métrages (par 7 réalisateurs) qui vont du passable à l’excellent et montrent qu’en matière de maîtrise de la narration ou de direction d’acteurs, les cinéastes indonésiens se débrouillent plutôt bien. On est loin de l’amateurisme et du manque de moyens d’autrefois. S’il y a différence de qualité, c’est plutôt une affaire de scénario ou de rythme. Le plus faible segment, The Rescue de Raditya Sidharta, pourrait faire partie d’un des films de zombies de George A. Romero, tant l’hommage à la saga du cinéaste américain est évident, mais malheureusement cela se résume strictement à ça et rien de plus. Le sketch de Riri Riza (par ailleurs réalisateur du très émouvant The Rainbow Troops (2008) sur une école musulmane qui accepte des élèves dont les parents sont trop pauvres pour payer l’écolage public et leur inculque des valeurs républicaines d’ardeur à l’excellence), Titisan Naya montre une jeune fille participant à contrecoeur à un rituel de purification dans son village de province : elle se retrouvera « possédée » malgré elle. Comme quoi les croyances populaires hébergent un puissant capital d’autosuggestion.

« Peeper », sketch de « Takut, Faces of Fear »

Dans Show Unit, Rako Prijanto, réalisateur prolifique de comédies et de drames sentimentaux pour ados, décrit une soirée au cours de laquelle un invité tue une petite fille par inadvertance et essaie de faire disparaître les traces de sa maladresse. Dans Peeper du néophyte Ray Nayoan, un voyeur invétéré reluque d’un peu trop près la sœur du roi qui a des pouvoirs démoniaques : il en subira les conséquences. Dans The List de Robby Ertanto, débutant lui aussi, une jeune femme engage les services d’un dukun (chaman) pour se venger du copain qui l’a trompée : scorpions, vers, sangsues et autres cancrelats envahiront à l’envie le corps de la victime. Le meilleur sketch est dû aux « frères Mo », Kimo Stamboel et Timothy Tjahjanto : Dara est une femme ravissante qui est connue pour sa table d’hôte sans pareille. Quand un homme esseulé s’égare du côté de sa cuisine, il découvre que les mets succulents qu’elle sert sont à base de chair humaine. Il ne tardera pas à être enfermé dans la chambre froide en attendant d’être « préparé ». Arrivera-t-il à s’échapper ? Un suspense d’une précision maniaque, malgré tout réaliste dans ses moindres développements, fait de ce film de 22 minutes non seulement un des points culminants de ce festival, mais aussi une œuvre maîtresse du cinéma indonésien. On attend avec impatience le premier long métrage des frères Mo, Macabre.

9e Festival International du Film Fantastique de Neuchâtel (NIFFF)


Hommage à William Castle
Beaucoup de cas est fait depuis quelque temps des soi-disant inventions de William Castle en matière d’interactivité avec le public, mais la seule trace semble en être la fin alternative de Mr.Sardonicus (1961). En effet, avant la scène finale, le public était invité par Castle en personne à l’écran de manifester son avis, à l’instar des Romains dans l’arène, au moyen d’un pouce luminescent sur une carte distribuée avec le billet d’entrée : fallait-il ou non punir le personnage principal, le tuer ou le guérir ? Comme le public ne votait jamais favorablement en faveur de la deuxième issue, il n’a jamais fallu projeter la fin « heureuse ». Existe-t-elle ? Les autres gimmicks (trucs) de Castle, censés stimuler l’intérêt du public, ne sont finalement que des attrape-nigauds de fête foraine.

« 13 Ghosts » de William Castle

Pour 13 Ghosts (1960), « filmé en Illusion-O », le spectateur tenait devant ses yeux un visualiseur de fantômes, un cadre en carton avec deux bandes de cellophane, une rouge et une bleue. La rouge était censée faire apparaître les fantômes, la bleue les faire disparaître : je n’ai personnellement pas vu la moindre différence – couleur mise à part – entre les deux et le film se laisse bien voir sans lunettes du tout. A part le fait que l’apparition d’un fantôme sauve le petit gamin qui allait se faire tuer et punit le méchant d’un juste châtiment, la diégèse se passe d’ailleurs très bien des incursions spectrales. Le plus jouissif peut-être des films d’horreur de Castle est The Tingler (1959), où la peur aiguë fait naître sur la colonne vertébrale un parasite qui se laisse uniquement désactiver par les cris de frayeur. Si vos cordes vocales sont coupées, cette créature aura votre peau. On voit donc tout de suite les prémisses d’un scénario malicieux et l’invitation au public de ne pas se retenir.

Darryl Hickman, Pamela Lincoln et Vincent Price dans « The Tingler »

Dans House on Haunted Hill (1959), une cuve remplie d’acide dissout celui qui y tombe : seul les os subsistent. A l’instant même où le squelette à l’écran sort de l’acide, un squelette en plastique suspendu à un fil se promène au-dessus des spectateurs de la salle. Le meilleur des Castle montrés au NIFFF fut peut-être celui qui ne faisait pas appel à des trucs : I Saw What you Did (1965), servi par d’excellents jeunes acteurs, raconte avec un art certain du suspense les conséquences d’un jeu de potaches qui consiste à téléphoner à des gens au hasard pour leur annoncer : « Nous avons vu ce que vous avez fait et nous savons qui vous êtes ». Quand le quidam au bout du fil vient de tuer sa femme, il ne va pas simplement raccrocher.

Au mois prochain
Raymond Scholer