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Cine Die - septembre 2008

Petit bilan du festival de Cannes 2008, entre découvertes, confirmations et doutes.

Article mis en ligne le septembre 2008
dernière modification le 23 mai 2012

par Raymond SCHOLER

Découvertes
Hunger du Britannique Steve McQueen décrit le calvaire pleinement assumé de Bobby Sands et de ses amis de l’IRA à la prison de Long Kesh au début de l’ère Thatcher. Comme le gouvernement britannique refuse en 1976 d’accorder aux condamnés républicains le statut de « politiques », ceux-ci protestent en ne se lavant plus et refusent tout uniforme, se contentant d’une couverture. En 1978, ils se mettent à badigeonner de leurs excréments les murs des cellules. L’escalade aboutit à la grève de la faim de 1981 qui fera 10 victimes et ne s’arrêta que 5 mois après la mort de leur initiateur Bobby Sands lorsque le gouvernement fit enfin des concessions. McQueen ne cherche aucunement à justifier la stratégie des Républicains (le fameux plan-séquence de 20 minutes où Bobby et son aumônier se disputent sur le bien-fondé moral de l’opération et les retombées éventuelles en dit long à ce sujet), mais examine l’épuisement des deux côtés, la surenchère produite par un entêtement aveugle sur des positions rigides amenant fatalement à une déshumanisation. Ainsi, un officier anglais semble avoir comme seule tâche celle de frapper les prisonniers récalcitrants jusqu’au sang. Lorsqu’il rend visite à sa mère sénile dans un EMS, un tueur de l’IRA fait irruption et l’exécute d’une balle dans la tête devant les pensionnaires, mais ceux-ci sont tellement cloîtrés dans leur démence qu’ils ne bronchent même pas. Belle métaphore de tant de luttes intestines dont les dégâts furent considérables pour les concernés, mais guère importants pour le cours du siècle. Comme la plupart de ses collègues, le débutant sud-coréen Hong-Jin Na affiche une mise en scène ultracinétique où la caméra voltigeante épouse le stress des personnages.

« Hunger » de Steve McQueen

The Chaser introduit dans le film policier les mêmes éléments que The Host (Joon-Ho Bong, 2006) avait amalgamés au film de monstres : conscience politique aiguë et surtout acceptation d’une fin malheureuse de la (en)quête et possibilité d’une autre vie par ré-aiguillage. Au lieu du monstre né de la pollution nous avons ici affaire à un tueur en série qui torture à mort de jeunes prostituées et qui exploite sans vergogne les échappatoires permises par la loi. Lorsque Joong-Ho, un ancien flic devenu proxénète, se met à sa recherche, parce que ses filles disparaissent les unes après les autres, on se dit que ce n’est plus qu’une affaire de temps avant qu’il lui règle son compte. La dernière femme à disparaître a laissé une petite fille dont Joong-Ho ignorait l’existence et qu’il a maintenant sur les bras. Dans la course contre la montre pour retrouver la maman, l’homme change imperceptiblement de comportement, bien que le happy end hollywoodien avec la création de la famillle nucléaire à trois ne soit pas de mise dans la réalité crue du cinéma coréen. Le pire est irrémédiable. Mais Joong-Ho aura changé ses priorités : on le voit dans la séquence finale au chevet de la petite fille à l’hôpital.

« The Chaser » de Hong-jinn Na
© Haut et Court

PVC-1 (2007) est un film colombien réalisé par un Grec immigré, Spiros Stathoulopoulos, qui a filmé son premier long-métrage avec une steady-cam en un seul plan de 85 minutes, à l’instar du Sokurov de L’Arche Russe (2002). Un quarteron de criminels envahit une petite ferme pour rançonner la famille. Comme ils ne trouvent pas de liquide sur place, ils mettent un collier en plastique bourré d’explosifs autour du cou de la mère, relié électroniquement à un détonateur qu’ils gardent avec eux. Le mari a deux heures pour trouver l’argent. En attendant, les gangsters s’éclipsent. Commence alors une haletante virée de la famille à pied vers le poste de police le plus proche. Un jeune policier abandonne sa femme et sa petite fille (en leur intimant de s’éloigner) pour venir s’occuper de la dame et tenter d’ouvrir le collier à retardement avec un couteau. Pendant ce temps, le mari et la fille adolescente de la victime ainsi que le chef de police observent la scène à distance. Il n’y aura pas de happy end. La réalité colombienne est aussi impitoyable que la sud-coréenne. On ne pense cependant guère à la famille de la femme explosée qu’on a vue mourir d’inquiétude pendant une heure et demie, mais à celle du policier, à peine entrevue trente secondes, et qui n’a guère eu le temps de réaliser que son homme était devenu un dommage collatéral. J’ai toujours apprécié les cinéastes qui réussissent à gérer avec une telle émotion le non-dit ou les absences. L’autre mérite du film est que la gageure de base – le plan unique – ne devient jamais pesante : le fait que la caméra n’est pas subjective y est pour quelque chose.

« Johnny Mad Dog » de Jean-Stéphane Sauvaire
© TFM Distribution

Johnny Mad Dog, sur la prise de Monrovia par les enfants soldats de Charles Taylor, est le premier film de fiction de Jean-Stéphane Sauvaire, qu’on ne connaissait que pour son documentaire Carlitos Medellin (2004), qui montrait déjà un évident courage de témoigner d’une réalité sordide. Avec ses acteurs non-professionnels qui sont de vrais anciens combattants, quoique toujours ados, et qui ont, sous le vernis commun de fanfaronnade guerrière, des personnalités très diverses, il a réussi, par la mise en situation de moments qu’ils ont vécus, une saisissante plongée (qu’on espère thérapeutique) dans leur enfer personnel.

Confirmations
Les autres films exceptionnels sont tous l’œuvre de cinéastes déjà plus ou moins expérimentés. Ainsi Ari Folman (Waltz with Bashir) en est-il à son 3e long métrage, Paolo Sorrentino (Il Divo, film opératico-satirique sur le Monsieur Téflon de la politique italienne, Giulio Andreotti) et James Gray (dont Two Lovers renouvelle le thème de l’homme hésitant entre une femme idéalisée et fantasque et une jeune fille inexpérimentée, mais aimante) à leur 4e.

« Waltz with Bashir » de Ari Folman

Wolke 9 sur les amours adultérines d’une sexagénaire est l’œuvre du Berlinois Andreas Dresen qui a déjà plus de 10 films à son actif. Sans ostentation ni fausse pudeur, Dresen nous met en présence des désirs et de l’intimité de « vieux » qui découvrent avec ravissement qu’ils ont encore une fois la chance de tomber amoureux. Mais il n’évacue pas les doutes, la douleur ou l’impuissance, ni le drame (le mari délaissé préfère en finir). Surtout il nous oblige à modifier un peu nos habitudes de voir.

Doutes
Cannes offrait aussi son lot de déceptions. On se demande quel était exactement le but recherché par Steven Soderbergh avec la mise sur film appliquée (268 minutes !) de la carrière de guerillero du Che : si la partie cubaine se suit avec un intérêt certain, justifié par l’envie de vérifier si le cinéaste jongle avec la vérité et la chanson de geste révolutionnaire, la partie bolivienne n’est que trop réaliste, illustrant platement un quotidien sinistre et répétitif. Où est le regard du cinéaste ?
Ashes of Time Redux (1994/2008) montre que l’esthétisme de Kar Wai Wong peut lui jouer de mauvais tours : à quoi riment ces ridicules arrêts sur image, ponctuant les scènes d’action par des plans fixes où les flous sont comme issus de coups de pinceau ? Wong, le « peintre » de la toile lumineuse ? Ces simagrées n’amènent aucune profondeur. Comme My Blueberry Nights (2007), cela reste désespérément superficiel : et si M.Wong n’était qu’un poseur ? Le fond du panier est atteint par Takashi Miike, l’excessif favori du cinéma japonais. Avec God’s Puzzle, où des ados potaches essaient de recréer un micro-Big Bang en laboratoire tout en alignant doctement des explications empruntées à la théorie des cordes, on patauge dans le ridicule le plus bavard. Gageons que Miike, qui a le secret de l’œuvre en dents de scie, se rattrapera avec son prochain film.

Raymond Scholer